« On enterre nos commerces, ça suffit ! »
Restaurateurs, patrons de bars, boulangers, coiffeurs, artistes… Une soixantaine ont manifesté, hier, contre les arrêtés préfectoraux qui restreignent leur activité à cause de la Covid
Un cercueil drapé de noir ouvre la marche. Une marche silencieuse. Lente. Funèbre. « On enterre nos commerces, nos professions, ça suffit ! », lâche d’une voix blanche Michel Palagonia, patron de trois bars (le Shapko, l’Akhator et le Chik’s bar) et président de l’association Nice la vie qui organise la manif. Dans le cortège, hier en fin d’après-midi, une soixantaine de personnes défilent de la mairie à la préfecture du Vieux-Nice contre l’arrêté préfectoral qui restreint l’activité nocturne et la musique « amplifiée » dans les rues. Des restaurateurs, des commerçants, mais aussi des musiciens, des artistes, des boulangers, des coiffeurs. Des pris à la gorge, des ruinés ou quasi, des au bord du gouffre.
« On demande à rouvrir comme avant »
« Si on continue comme ça à fermer à 22 heures ou à minuit et demi, on ne survivra pas, tranche Michel Palagonia, la Covid fera plus de morts chez les commerçants que chez les petits vieux. On demande à rouvrir comme avant et, en contrepartie, on a rédigé une charte dans laquelle on s’engage à respecter les gestes barrière : on est des commerçants responsables ! » C’est dur, très dur, confirme Dave Riquier, qui tient le bar de nuit Saint-Riquiers. «On essaie tant bien que mal de joindre les deux bouts…, souffle-t-il. Il y a eu des aides : les 1 500 euros et la prolongation du dispositif de chômage partiel jusqu’à la fin de l’année, c’est bien, c’est un réel effort mais ça ne suffit pas à nous sortir la tête de l’eau : le loyer, l’Urssaf, les factures, les charges pèsent lourd. »
Voilà France, « amie des artistes et des musiciens ». Elle porte une couronne mortuaire et elle est « très, très triste pour tous ceux qui ne peuvent plus exercer leur art. C’est leur gagne-pain, je les accueille chez moi, ils jouent. Mais je ne peux pas être la seule à les soutenir… » À côté d’elle, Christopher, 27 ans, guitariste et plus un sou en poche. Il est inquiet : « La situation est catastrophique. » Avant il jouait « dans les établissements du Vieux-Nice ou dans la rue, c’est fini à cause de ces arrêtés pris à la volée sans explication pour répondre à une pandémie que personne ne comprend vraiment. »
« Je mange au Secours populaire »
« Quand on n’est pas intermittent, on n’a plus aucune source de revenu », résume
François, jazzman. Rideau aussi pour cet artiste transformiste qui ne se produit plus ou presque : « Je touche une toute petite retraite. Les cachets de mes spectacles me permettaient de compléter… Aujourd’hui, je mange au Secours populaire. »
Le discours est aussi sombre du côté de Francis et Sonia, les boulangers de La Capeline : « On galère, on ne s’en sort plus : il n’y a pas un chat dans le Vieux-Nice, on n’a plus de clients. On est solidaires des restaurateurs, certains venaient se servir chez nous en pain ou en desserts : ils ne viennent plus. On est à l’agonie… »
Pareil pour Valérie dont le magasin de souvenirs n’a marché qu’en août : « Qui dit souvenirs, dit touristes. On est au dixième mois de l’année et on n’a pas travaillé pendant neuf mois… On pioche dans nos poches mais jusqu’à quand ? »
Le cortège arrive devant le palais préfectoral. On dépose le cercueil sans un mot. Le silence. Mais, «on pourrait faire du bruit une prochaine fois, menace un manifestant. On ne les laissera pas nous tuer sans rien dire… »