Monaco-Matin

Woodkid «Unaveu de faiblesse »

Le Français s’est laissé sept ans pour revenir, après le gros succès de son premier album. Sur S16, il avance entre intime et universel.

- PROPOS RECUEILLIS PAR JIMMY BOURSICOT jboursicot@nicematin.fr

Woodkid, ou Yoann Lemoine pour l’état civil, est un artiste protéiform­e. Chanteur, producteur, graphiste et réalisateu­r, il a d’abord accédé à la renommée internatio­nale en façonnant des clips pour Katy Perry, Lana Del Rey, Drake, Taylor Swift ou encore Harry Styles. En 2013, il avait fait une entrée fracassant­e dans le paysage musical avec The Golden Age, un album de pop ambitieux, taillé pour la conquête, porté par des percussion­s martiales, des mélodies grandiloqu­entes et la voix puissante de Woodkid. Sept ans, 800 000 ventes (essentiell­ement à l’étranger), et 200 dates à travers le monde plus tard, on le retrouve avec S16, comme l’élément chimique de numéro atomique 16, autrement dit le soufre. Conçus tout en contrastes, à la fois tournés sur des enjeux universels et des questionne­ments intimes, à la fois lumineux et sombres, les onze titres de l’album confirment que le « volcan » Woodkid est encore en pleine éruption.

Était-il nécessaire de prendre de la distance après le succès de The Golden Age ?

Dans mon premier album, j’avais mis toute mon expérience de jeune trentenair­e. Je n’aime pas trop me répéter, je savais que j’avais besoin de temps. Je ne voulais pas surfer sur le succès de ce disque. Et l’idée de repartir à zéro me plaisait. Entre-temps, j’ai fait beaucoup de projets, sans faire de communiqué­s de presse ou d’interview. J’aime aussi être dans l’ombre.

Vous disiez pourtant qu’à un moment, vous vous preniez très au sérieux...

C’est le prix à payer. Peu de gens ont connu une ascension fulgurante sans être confronté à ça. Si je n’avais pas eu ce sentiment un peu adolescent de surpuissan­ce, je n’aurais pas pu faire le premier album de cette manière. Je ne regrette pas une seconde. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’avoir moins de choses à prouver. Je peux jouer de mon art. Ce recul m’a mis face au danger d’être oublié. C’est devenu un stimulant.

Vous avez commencé à travailler sur ce disque juste après les attentats de Paris. Dans quel état d’esprit étiez-vous à ce moment ?

Forcément, mes émotions étaient teintées de cela. Cela ne veut pas dire que c’est le sujet de l’album, mais on était dans ce climat-là, imbibé d’un voile de toxicité. En revanche, par la suite, j’ai aussi connu de grands moments de joie, d’apaisement, qui ont guidé cet album.

Vous êtes considéré comme quelqu’un qui est toujours dans le contrôle. Avez-vous tenté de lâcher prise ?

J’ai essayé d’ouvrir la porte à plein de collaborat­ions. Certaines ont terminé sur l’album, d’autres pas. Mais chacune d’elle a nourri mon imaginaire. Il y a eu une collaborat­ion très fructueuse avec Tepr. Il m’a permis d’accoucher cet album, il m’a pris sous son aile. Depuis , j’ai planté des graines et j’ai laissé pousser. Le temps est un vrai sujet politique. On presse tout le monde en permanence. Je pense que donner du temps à ses chansons, c’est leur donner un peu de valeur aussi.

Ce registre social, politique, a-t-il orienté votre création ?

Ce sont quand même des chansons d’amour, qui relèvent de l’intime, du doute. Cet album, c’est un aveu de faiblesse. Je cherche toute la beauté que l’on peut trouver dans la fragilité, une certaine idée du masculin aussi. J’ai mis un vernis musical qui me permet d’avoir un écho plus large, social, politique. Comme un effet de résonance entre l’intime et le collectif. Je ne scelle jamais les champs lexicaux, je laisse une ouverture pour que les gens puissent projeter leur propre vision.

La chanson Goliath laisse place à de nombreuses interpréta­tions...

Il y a l’idée de monstres qui créent des monstres. On peut lire ça de manière intime. Mais les métaphores visuelles autour de cette chanson peuvent évoquer le changement climatique, la montée du populisme et même la crise sanitaire actuelle, même si je n’avais pas pensé à cela.

Pourquoi vous êtes-vous attaché au symbole du soufre ?

Lors de mes recherches, j’ai visité des centrales nucléaires, des sites industriel­s classés, des barrages, des mines de charbon... Le soufre est un élément naturel. On l’utilise pour faire des engrais, avec toute ce qu’il y a de négatif là-dedans. Mais c’est aussi un symbole que l’on associe souvent au diable, et c’est l’un des éléments qui entre dans la fabricatio­n du gaz moutarde. Il y a quelque chose de très ambigu avec cet élément. D’un point de vue intime, ça m’intéressai­t d’aborder ces grandes forces, qui peuvent être aussi nocives que fascinante­s, repoussant­es qu’attirantes.

Ce dernier aspect vous effraie ?

Jusqu’à maintenant, j’ai refusé de faire des live sur Instagram ou autre. Pour beaucoup d’artistes, c’est salvateur. Mais je crains que ça ouvre la porte à une habitude. Le pire, ce serait qu’un modèle économique viable très puissant porté par un Goliath du numérique, se mette en place autour de ça et menace le modèle du concert...

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Je cherche toute la beauté que l’on peut trouver dans la fragilité”

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Le temps est un vrai sujet politique”

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