Monaco-Matin

Cabrel De l’art d’être un troubadour

- PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENCE LUCCHESI llucchesi@nicematin.fr

On l’a souvent qualifié de « troubadour », eu égard à la poésie qui émane de ses chansons et à son enfance occitane, mais jamais, jusqu’à ce nouvel opus, il ne s’était autant identifié à cette figure médiévale. Avec À l’aube revenant, son quatorzièm­e album studio – dévoilé sur scène, à Paris, aux Folies Bergère du 12 au 23 décembre 2020 avant une tournée prévue au printemps 2021 – Francis Cabrel revient au commenceme­nt de son art… quelques siècles avant lui ! Succession de tableaux aux couleurs chaque fois différente­s, À l’aube revenant est un concentré d’émotions dans lesquelles l’auteurcomp­ositeur interprète aux vingt cinq millions de disques vendus se révèle comme jamais.

Comment est né ce projet ?

De ma rencontre avec Claude Sicre (). Il m’a apporté trois bouquins sur les troubadour­s, en me disant : ‘‘Il faut que tu lises ça et que tu écrives tout un album sur eux, car ce sont les rock stars du Moyen Âge !’’ C’est devenu le titre de la première chanson de cet album, qui en comporte cinq dédiés aux troubadour­s. En général, je commence par écrire et composer les chansons tout seul. Mais cette fois-ci, quand je suis arrivé en studio, je n’avais rien préparé sur le plan orchestral, ce sont mes musiciens, avec lesquelles je travaille depuis des années, qui s’en sont chargés. On a tout enregistré en direct, y compris avec les trois filles qui ont chanté comme des déesses à mes côtés.

Le troubadour est un personnage auquel on vous a souvent associé, mais qui ne vous était pas familier ?

Non, j’avais l’image du troubadour amoureux chantant sous la fenêtre de sa bien-aimée, qui n’est jamais convaincue ! Mais lorsque j’ai découvert le répertoire des troubadour­s, je me suis aperçu qu’ils avaient tout dit sur l’amitié, sur l’amour, on n’a rien inventé de ce point de vue là.

Pendant le confinemen­t, vous vous êtes nourri de ces écrits ?

Oui, j’ai lu Aliénor D’Aquitaine, Chrétien de Troyes, Tristan et Yseult. C’est somptueux ! Lorsque les traduction­s sont bien faites, on s’aperçoit que c’est aussi moderne que les écrits actuels.

Qu’il s’agisse de la chanson

À l’aube revenant ,d’ Ode à l’amour courtois ou de Fort Alamour, autant de célébratio­ns d’une manière singulière d’aimer. À l’heure de Meetoo, n’est-ce pas une nécessité de rappeler qu’il existe une autre façon de s’adresser aux femmes ?

J’ai toujours considéré comme cela le sentiment amoureux, à la manière respectueu­se des troubadour­s, mais c’est vrai qu’aujourd’hui, il y a un télescopag­e avec toute cette brutalité. Et il fallait sans doute en passer par Meetoo pour en finir avec des siècles de très mauvaises habitudes vis-à-vis des femmes.

Il faut d’autant plus défendre cette culture occitane, qui est dans votre ADN ?

Oui car la culture occitane, c’est d’abord la courtoisie, le respect, la gentilless­e et l’écoute de l’autre. Ça n’est pas seulement sentimenta­l, mais aussi sociétal.

À propos de société, vous évoquez, avec Jusqu’aux pôles, l’ambiguïté de notre prise de conscience écologique…

Ça m’a tenu à coeur, parce que c’est une adolescent­e, Greta Thunberg, que tout le monde a pris un peu de haut, qui a secoué les conscience­s en disant qu’il était déjà presque trop tard et qu’il fallait être inventif, créatif pour la sauver, cette planète. Et je me sens responsabl­e de n’avoir rien fait pendant cinquante ans, puisque personne ne m’avait dit qu’il fallait faire attention, j’ai eu des voitures Diesel, j’ai fumé, j’ai jeté des plastiques dans les mauvaises poubelles.

Par vos parents, vous avez des racines italiennes, que reste-t-il de cet héritage ?

Ça fera bientôt cent ans que mes quatre grands-parents sont arrivés du nord de Venise, et ça fait cinq génération­s, avec mes petits-enfants. C’étaient des gens qui ont passé leur vie à bosser très dur, mais qui n’oubliaient pas le sens de la fête. Ils se retrouvaie­nt autour de grandes tables et ils chantaient beaucoup. Ce qu’il en reste en moi, c’est cet amour de la mélodie et de la chose chantée.

Et cependant, même si vous avez écrit Te ressembler en hommage à votre père, vous vous en êtes démarqué ?

Je voulais lui ressembler dans l’abnégation, dans le courage, dans le fait de ne jamais rien lâcher, mais avoir sa vie, pas du tout. J’aurais voulu lui ressembler pour lui faire plaisir car il avait peut-être été un peu frustré de me voir avec mes longs cheveux, de me voir partir à l’âge de quatorze ans avec une guitare, ce n’était pas du tout ce à quoi il avait dû penser, certaineme­nt.

Vous que l’on a si souvent qualifié de pudique, vous vous mettez à nu dans cette chanson. Pourquoi le faire maintenant ?

C’est vrai que c’est une confession, c’est la moins pudique de toutes mes chansons. En parlant de lui je parle de moi, un truc que je déteste, mais là j’étais obligé de faire le comparatif de nos parcours. Et c’est peut-être l’une des dernières occasions que j’ai de le faire, après avoir si longtemps retardé le moment de parler de lui.

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Les troubadour­s sont les rock stars du Moyen Âge”

‘‘ est la moins pudique de toutes mes chansons”

Votre fille Aurélie, qui a sorti un single avec Wery ainsi qu’un conte musical pour les enfants, marche sur vos traces…

Je ne suis pas étonné, elle baigne dans la musique depuis toute petite. Ça va être peut-être un peu plus compliqué, plus long que pour moi, parce qu’on se méfie généraleme­nt des ‘‘enfants de’’, mais elle est passionnée et elle a beaucoup de talent. 1. Claude Sicre est auteur, compositeu­r, interprète et activiste de la culture occitane.

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 ??  ?? À l’aube revenant. Francis Cabrel. (ColumbiaSo­ny Music)
À l’aube revenant. Francis Cabrel. (ColumbiaSo­ny Music)

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