Monaco-Matin

« J’ai l’envie, le temps et l’énergie de tout reconstrui­re »

Quelques jours après le passage de la tempête Alex dans la vallée de la Roya, le maire de Breil, Sébastien Olharan, s’est confié à nos journalist­es dans le cadre d’un reportage vidéo. Extraits

- PROPOS RECUEILLIS PAR AURÉLIE SELVI ET FRANCK FERNANDES. TEXTE : RACHEL DORDOR

Maire de Breil-sur-Roya depuis le 23 mai dernier, Sébastien Olharan a vu en quelques heures sa commune de 2 300 habitants dévastée par la tempête Alex. Mais si elle a emporté avec elle nombre de projets qu’il souhaitait mettre en oeuvre pour l’avenir de son village, elle n’a pas détruit sa volonté, ni son énergie, même si la tâche s’annonce énorme. Sébastien Olharan revient sur cette nuit d’horreur et les jours suivants. Et envisage l’après-tempête, avec angoisse, mais aussi déterminat­ion.

La veille, le départemen­t est placé en vigilance rouge. Étiez-vous inquiet ?

Jeudi soir, les informatio­ns me laissaient penser que c’était surtout le secteur de SospelMoul­inet-Menton qui était exposé, pas trop la vallée de la Roya. Je suis remonté à Breil le soir même pour activer le poste de commandeme­nt communal. À  h le vendredi, j’étais à la mairie avec les représenta­nts des sapeurs-pompiers, de la gendarmeri­e, du service des routes du départemen­t, les services de la mairie et la police municipale pour gérer l’évolution des événements. Le matin, tout était calme, trop calme… En début d’aprèsmidi, on a eu d’énormes rafales de vent. C’était impression­nant, effrayant, peut-être plus encore que la pluie d’après, car au moment de la crue, il faisait nuit, on ne voyait rien. Mais là, il faut vous imaginer que des tuiles, des pots de fleurs, des planches, des poutres, des toits, des tôles… volaient dans les rues du village. C’était même difficile de tenir debout !

Et la pluie a suivi. Le début de l’horreur…

On voyait la pluie, mais ce n’était pas très impression­nant, on avait du mal à imaginer que la Roya puisse atteindre des niveaux comme ceux annoncés. Car, au départ, les prévisions donnaient une crue similaire à celle de , c’est-à-dire  m par seconde ; je voyais l’eau du lac qui montait à  m seconde et il était déjà bien haut. Puis il a atteint  m, et là je me suis dit, s’il monte à

‘‘  m, ça va être énorme. D’autant que de nouvelles prévisions faisaient état de  à

 m vers  h.

Comment avez-vous réagi ?

Nous avons quitté la mairie, située en zone à risque inondable, pour la caserne des pompiers où nous avons installé le PC communal. La nuit est tombée, l’eau de la Roya est montée, au niveau des services techniques, puis de la Poste, puis l’eau était carrément dans le centre du village. J’ai suivi ces événements, impuissant, sans voir ce qui se passait, car il faisait nuit. On avait évacué plus tôt le camping, tout le secteur de l’Isola, des personnes en aval de Breil qui ont d’ailleurs perdu leur maison. Tout ce qu’on pouvait faire, c’était attendre, tout en gérant les hébergemen­ts d’urgence. Ce soir-là,  personnes ont été accueillie­s.

Vous avez pu alerter les secours ?

J’ai appelé la préfecture, et c’est la dernière communicat­ion que j’ai eue avant que le réseau téléphoniq­ue ne saute.

Je leur ai dit que les dégâts allaient être immenses. Et qu’il fallait mettre en place dès le lendemain matin un pont aérien, pour nous fournir des groupes électrogèn­es, de l’eau et du carburant pour nos forces de sécurité.

Comment avez-vous vécu cette nuit-là ?

Je n’ai pas pu dormir, je suis resté avec les pompiers à attendre le matin. Il fallait que je sois sur le terrain. J’ai été sur la place du village, et je me suis éclairé avec la lumière de mon téléphone. Je marchais dans une montagne de boue et je ne voyais pas tout, j’entendais la Roya pas très loin. J’ai vu des commerces saccagés, le rez-de-chaussée de la mairie aussi. Et je me suis rendu compte que quand le jour allait se lever, nous aurions un paysage d’apocalypse.

Quand avez-vous pris conscience du point de bascule ?

Je pense que c’est au moment où la Roya a atteint les  à  m. Je me suis dit que rien ne résisterai­t à sa puissance. La réalité serait même qu’on aurait été plus vraisembla­blement entre  et   m ! Une crue centennale, voire millénaire. Même lors de celle restée en mémoire – la crue de  – l’eau était arrivée au niveau du pont ; là, elle a atteint trois mètres plus haut ! Sur la place du village, il y avait , m d’eau, c’était quelque chose d’inédit.

Et quand le jour s’est levé ?

Je suis descendu sur la place et me suis rendu compte que c’était extrêmemen­t grave. Sous mes pieds, je voyais l’étendue des dégâts, la place du village et le boulevard très abîmés et toutes les voitures renversées, déplacées, emportées… Autour de la Roya, il n’y avait plus rien. Plus aucun arbre, plus de route, les maisons avec jardins recouverts de boue, et le pont Charabot très dégradé. Dans le lac, il y avait de tout, des planches, des voitures, des troncs d’arbres. Un véritable paysage de désolation. Je recevais des informatio­ns sur les personnes qui avaient disparu, sur les routes et les ponts qui étaient partis. C’était extrêmemen­t lourd et triste, avec un sentiment d’impuissanc­e. Et autour de moi, des habitants sidérés.

Quel a été votre premier réflexe de maire ?

Immédiatem­ent, on a décidé de réinstaure­r une route d’accès le plus rapidement possible par le col de Brouis, pour ne pas être coupés de l’extérieur.

Et les secours ?

J’ai attendu les renforts aériens demandés la veille, j’ai scruté le ciel, car on était sans eau,

‘‘ sans électricit­é, et les forces de sécurité civile manquaient déjà de carburant. J’ai vu passer à  h  un premier hélicoptèr­e, mais tellement haut… Puis, plus rien. Il s’est passé plusieurs heures. Alors j’ai pris ma voiture pour aller à Sospel et j’ai trouvé du réseau. J’ai appelé un certain nombre de numéros en préfecture, en vain, et finalement la députée m’a rappelé. Je lui ai décrit notre situation, que nous étions coupés du monde et que si Breil était désenclavé­e, ce n’était pas le cas pour les autres villages, dans l’isolement total.

Que vous a-t-elle répondu ?

La députée m’a alors passé le Premier ministre Jean Castex ! Je ne savais pas qu’il était venu dans le départemen­t. Je lui ai expliqué la situation. Il m’a répondu qu’il essaierait de survoler la zone. En raccrochan­t, le Premier ministre aurait dit : « Il y a un vrai problème dans la Roya, il faut s’en occuper. » Je pense que personne n’avait mesuré l’ampleur de la catastroph­e.

Quel a été votre sentiment ?

Je suis retourné à Breil, mais aucun hélicoptèr­e ne nous a livré quoi que ce soit. Le soir, la députée et le président de la Carf nous ont apporté  bouteilles d’eau, et un train est arrivé avec   petites bouteilles. Mais je me suis senti totalement abandonné. Je l’ai d’ailleurs dit au président de la République lors de sa venue.

Et finalement, les secours sont arrivés…

Ça a été lent à se mettre en place ! Et là, ça a été un flux très important de moyens humains, pompiers, gendarmes, militaires, toutes les forces de sécurité qui auraient dû se répartir sur l’ensemble de la vallée… Je dois dire que ça a été très dur de coordonner autant d’acteurs sur un seul territoire. À partir du lundi, c’était un vrai ballet aérien, très intense, puis par la route et le rail, beaucoup de choses ont été acheminées, et là ça a été une explosion de générosité, des dons de partout. Breil était devenue la base arrière pour l’approvisio­nnement des quatre communes du haut de la vallée, tout en étant au coeur du drame. C’était une logistique immense qui nous tombait dessus. Heureuseme­nt, nous avons pu compter sur les bénévoles et les logisticie­ns de la sécurité civile.

Quel bilan dressez-vous aujourd’hui ?

Cinq pertes humaines d’abord – on ne s’attend jamais à vivre quelque chose comme ça. La situation avait été difficile à gérer avec la crise sanitaire, mais elle paraît désormais dérisoire à côté de ce qu’on vit. J’ai passé le début de mon mandat à reprendre en main le camping municipal pour l’ouvrir à force d’énergie et de coeur, et il n’en reste rien ; la piscine avait rouvert la semaine dernière grâce à des bénévoles, elle est saccagée. C’est sûr, on ne les remettra pas en état et on ne pourra jamais reconstrui­re au même endroit. C’est ce qui m’inquiète car il n’y a pas d’autres endroits pour ce genre de structures sur la commune…

Comment envisagez-vous l’avenir ?

Tous les projets n’ont plus lieu d’être. J’avais tout misé sur le développem­ent touristiqu­e, mais à présent notre vallée est défigurée. Et comment retenir les gens dans les villages ? J’ai pu rouvrir une e classe élémentair­e, qui était fermée depuis , pour attirer de nouvelles familles, et là on est en train de perdre des enfants. Le plus dur et le plus gros est devant moi. J’ai l’envie, le temps et l’énergie pour tout reconstrui­re.

Des enseigneme­nts à tirer ?

Il faudra comprendre le dysfonctio­nnement des secours aériens, mais aussi, d’un point de vue local, revoir notre dépendance vis-à-vis de l’extérieur. Une réflexion sera aussi à mener sur la constructi­on des maisons. En tant que jeune maire, je sais pouvoir compter sur une population rassemblée et solidaire. Il y aura forcément un avant et un après, aussi bien dans mon mandat que dans ma vie. Je vais m’attacher à toujours être sur le terrain, proche des gens, je ne me sens bien et utile qu’aux côtés de la population. C’est le sens de mon mandat.

Avez-vous un message particulie­r ?

Merci à tous ceux qui nous ont aidés et sont à nos côtés dans cette épreuve. Mais Breil ne pourra pas se relever si elle ne peut pas compter sur le soutien de l’État et la solidarité nationale.

Retrouvez prochainem­ent l’intégralit­é de cet entretien sur nicematin.com,ApplePodca­st,SpotifyetD­eezer,dansunpodc­astréalisé avec le soutien de la Métropole Nice Côte d’Azur.

Un paysage de désolation”

Un sentiment d’impuissanc­e”

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(Photo C.C.) Sébastien Olharan, le maire de Breil, veut avoir foi en l’avenir.

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