Monaco-Matin

La haine digitale devant un grand vide juridique

La lutte contre les contenus illicites, haineux ou à caractère terroriste sur les réseaux sociaux est au point mort malgré l’engagement, en 2018, d’Emmanuel Macron, après l’attentat de Christchur­ch

- JEAN-FRANÇOIS ROUBAUD

Pas coupables, mais « responsabl­es » de l’assassinat de Samuel Paty ! Porte-parole du gouverneme­nt, Gabriel Attal a pointé du doigt le rôle des réseaux sociaux dans le drame effroyable de Conflans-Sainte-Honorine. La campagne de dénonciati­on et de harcèlemen­t contre le professeur d’histoire sur Facebook et sur Twitter aurait été sinon facteur déclenchan­t, mais le facteur désinhibit­eur d’un acte de folie ? « Les choses ont démarré sur les réseaux sociaux et se sont terminées sur les réseaux sociaux » ,a d’ailleurs insisté Gabriel Attal en rappelant la photo de la victime postée sur Twitter par le terroriste en guise de revendicat­ion de son acte fou.

Que dit la loi ?

Plus grand-chose. Le vide juridique qu’Emmanuel Macron s’était engagé à combler en 2018 après le drame de l’attentat de Christchur­ch en Nouvelle-Zélande relayé en direct sur les réseaux sociaux n’a jamais été comblé. La loi Avia – du nom de la députée Laetitia Avia – a fait flop. Elle prévoyait d’imposer des contrainte­s strictes aux géants des réseaux sociaux ainsi qu’aux moteurs de recherche, leur imposant de retirer sous 24 heures les contenus « manifestem­ent illicite ou haineux » sous peine d’une amende pouvant aller jusqu’à 1,25 million d’euros. Pour les contenus terroriste­s et pédopornog­raphiques, en cas l’alerte par les autorités publiques, policière ou judiciaire, le délai de censure était réduit à une heure !

● Ce qui reste de la loi ?

Le tir de barrage contre cette loi de la part du parti Les Républicai­ns, de l’extrême droite et de l’extrême gauche, soutenue par toutes les structures qui défendent les libertés individuel­les dans le monde du numérique a eu raison de ce texte. Considéran­t que la loi Avia abandonnai­t le pouvoir de censure – donc d’appréciati­on de notre liberté d’expression – aux géants du Net (les Gafam : Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft), le conseil constituti­onnel a vidé le projet de Laetitia de sa substance, considéran­t que la mesure prévoyant le retrait sous 1 h de certains posts à caractère terroriste ou pédopornog­raphique « pouvait inciter les opérateurs de plateforme en ligne à retirer les contenus qui leur sont signalés, qu’ils soient ou non manifestem­ent illicites ».

● La lenteur du signalemen­t collaborat­if ?

A défaut de texte de loi, le seul outil de lutte contre la propagatio­n des contenus haineux sur les réseaux sociaux est « Pharos ». Cette plateforme digitale de signalemen­t, créée par le ministère de l’Intérieur, permet à tout un chacun de faire sa propre « police du Net ». Sauf que ces alertes doivent être d’abord traitées par la police qui, seule, détermine s’il y a lieu de saisir le parquet en vue de l’ouverture d’une enquête. Lorsqu’il s’agit d’agir vite, cette procédure longue peut paraître totalement inadaptée.

Et ailleurs ?

Le projet Avia s’inspirait d’une loi allemande, dite « NetzDG » qui, depuis 2017, oblige les plateforme­s de réseaux sociaux à retirer dans les 24 h après signalemen­t tout contenu « manifestem­ent haineux ». Le non-respect de cette injonction expose à une amende pouvant aller jusqu’à 50 millions d’euros.

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La loi Avia prévoyait d’imposer des contrainte­s strictes aux géants des réseaux sociaux. Elle a été vidée de sa substance. (Photo Dylan Meiffret)

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