Monaco-Matin

« J’AI ÉTÉ VICTIME DU “PAS DE VAGUE” »

- V. M.

On l’appellera François. Cet enseignant en collège public à Nice fait partie de ces profs chevronnés du haut de ses  ans de carrière. Sur lui, on n’en sera pas plus pour éviter de l’identifier. « Beaucoup de collègues ont eu, comme moi, des mésaventur­es avec leur hiérarchie. Dans le meilleur des cas, elle ne les soutient pas, dans le pire, elle les désavoue. »

En janvier , au lendemain de l’attentat contre Charlie Hebdo, François décide de faire cours à ses élèves sur la liberté d’expression, comme cela s’est passé dans bon nombre d’établissem­ents scolaires en France.

« Dans ma classe, raconte-t-il, j’ai monté un kiosque à journaux présentant des quotidiens et des magazines auxquels le CDI (Centre de documentat­ion et d’informatio­n) est abonné. Rien donc de subversif. J’ai ajouté l’hebdomadai­re satirique, ce qui allait de soi après l’attentat contre Charlie. Ce kiosque, installé à demeure dans ma classe, n’a tenu que deux jours. »

« Elle m’a sommé de démonter mon kiosque »

D’un ton posé et calme, il raconte qu’il a été convoqué par sa principale de collège. « Elle m’a dit que deux parents avaient déposé plainte contre moi, que je n’avais pas le droit de parler de religion en classe et m’a sommé d’enlever mon kiosque immédiatem­ent. J’ai tenu bon en demandant le soutien de mes collègues et de l’administra­tion. » Dans son ancien collège – il a depuis été muté à sa demande – sur la cinquantai­ne de profs, six ont accepté de signer la « belle lettre » que François avait écrite à son IPR (inspecteur pédagogiqu­e régional, en général professeur agrégé supervisan­t sa discipline et les profs qui l’enseignent). Pour lui raconter, par le menu, son cours sur la liberté d’expression et son kiosque à journaux, aux lendemains de ce terrible attentat.

« L’IPR m’a répondu que ma cheffe d’établissem­ent était souveraine et légitime pour prendre la solution. J’ai enlevé Charlie Hebdo, démonté mon kiosque à journaux et j’ai arrêté de parler de la liberté d’expression », lâche-t-il amer.

« Pendant des mois sur les nerfs »

Difficile après ça, de reprendre ses cours comme si rien ne s’était passé. François avoue avoir été « pendant des mois sur les nerfs », « mal à l’aise » avec ses collègues, défiant envers sa hiérarchie qui l’avait

« désavoué ». « Un an après, j’ai demandé et obtenu ma mutation, souffle-t-il. Dans l’histoire terrible de ce collègue décapité, je m’y suis un peu vu. Dans sa lâcheté, cette cheffe d’établissem­ent m’a évité peut-être le pire. »

Alors que faire ? Comment réagir et dire stop ?

« L’avancement des chefs d’établissem­ent est inversemen­t proportion­nel aux incidents qu’ils font remonter à leur hiérarchie, indique François. Plus ils dissimulen­t ce qui se passe dans leur établissem­ent, plus ils seront bien notés. C’est le fameux “pas de vague”, dont j’ai été victime. L’une des solutions serait d’inverser, enfin, la vapeur. »

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