Monaco-Matin

5 questions sur l’affaire Mediapro

Rien ne va plus sur le marché des droits télé de la Ligue 1. Mediapro ne veut pas payer. Les clubs sont sur un fil.

- PAR LEANDRA IACONO Dossier : Leandra Iacono Infographi­e : Aurore Malval Photos : AFP, EPA, S.B.

Le diffuseur principal du foot français, Mediapro, qui détient l’essentiel des droits de la L1 et de la L2 pour la période 2020 - 2024, n’a pas honoré une échéance de paiement de 172 M€ et demandé à renégocier son contrat avec la Ligue de football profession­nel. Un coup dur de plus pour les clubs français aux finances déjà fragilisée­s par la crise sanitaire.

Qui se cache derrière Mediapro ?

Inconnu du public français jusqu’en 2018, date où il a fait main basse de façon spectacula­ire sur les droits du foot tricolore, Mediapro est un groupe espagnol créé en 1994 par l’homme d’affaires catalan Jaume Roures (ci-dessus). Il est détenu via deux holdings par l’entreprise Joye Media SL, basée à Madrid, et dont l’actionnair­e majoritair­e est chinois depuis 2018 : Orient Hontai Capital (53,5 %). Outre la L1 et la L2, il détient l’essentiel des droits TV en Espagne et y diffuse aussi la Ligue des Champions. À côté de ça, la société gère deux chaînes de télévision, La Sexta et Gol Television.

C’est quoi le problème ?

C’est simple. En passant un contrat avec la LFP, le groupe Mediapro s’est engagé à payer à échéances régulières les droits TV des matchs qu’il détient. Or, le groupe sino-espagnol a, dès la deuxième échéance, demandé un délai à la Ligue présidée par Vincent Labrune pour régler les 172 M€ dus au 5 octobre, avant de réclamer une renégociat­ion du montant des droits à la baisse pour cette saison, « très affectée par la Covid-19 », selon l’argumentai­re de Roures.

La LFP s’y est évidemment opposée et reste sur sa position car elle doit reverser cette manne financière aux clubs dans les meilleurs délais. « Je suis surpris sur la forme et inquiet sur le fond », a réagi Vincent Labrune qui, un mois après son élection, paye les pots cassés de ses prédécesse­urs Didier Quillot et Nathalie Boy de La Tour. Poussée dans ses retranchem­ents, la LFP n’a pas eu d’autre choix que de contracter un prêt de 112M€ pour faire face mais doit déjà rembourser celui que l’Etat lui a consenti en mai (224 M€).

Pire, Mediapro, dont la santé financière inquiète, s’est mis sous la protection du tribunal de commerce de Nanterre pour pousser la Ligue à négocier, tout en gagnant du temps.

Comment en eston arrivé là ?

Il est loin, très loin le temps où le foot français sabrait le champagne après une vente de droits TV record. La LFP se félicitait alors d’une augmentati­on de 60 % par saison des droits de la Ligue 1 et de la Ligue 2 pour un montant de 1,153 milliard d’euros, dont la grande majorité émanait donc de Mediapro (780 M€ pour la L1 et34M € pour la L2). Avec ce contrat (conclu sans garantie bancaire mais avec l’appui de chiffres rassurants d’un grand cabinet d’audit), venait la promesse d’une explosion des recettes et d’une compétitiv­ité accrue pour les clubs.

« Nous payons beaucoup, mais notre objectif est de faire grandir le marché. C’est ce que nous avons déjà fait avec le football espagnol. Nous avons multiplié sa valeur par cinq et, au final, tout le monde a gagné de l’argent : les clubs, les joueurs et Mediapro », promettait à l’époque Roures, tout heureux d’avoir damé le pion à Canal +, beIN Sports et au groupe Altice (RMC Sport). Trop beau pour être vrai ? Un mois après son lancement, l’offre « mono-sport » et sa chaîne créée de toutes pièces (Téléfoot), n’a pas franchemen­t séduit et son prix farami- neux (25€, 29,90€ avec Netflix) a rebuté les téléspecta­teurs, déjà tiraillés par les autres offres existantes. Résultat, Mediapro n’a réussi à attirer que 300.000 abonnés environ quand il en faudrait 3,5 millions pour être rentable.

Quels risques pour les clubs?

Si la situation ne s’améliorait pas rapidement, les clubs de L1 aux finances les plus fragiles pourraient être en grand danger. « Aujourd’hui, les clubs ont acheté leurs joueurs avec l’argent de Mediapro et leur ont offert des contrats longs et extrêmemen­t chers. Pour le moment, on n’en est qu’à un signal inquiétant, mais en cas de déconfitur­e, je pense que les clubs vont faire face à une Covid puissance1­0… », s’inquiète Pierre Maes, auteur du livre Le business des droits TV . Les clubs tirent en moyenne plus d’un tiers de leurs recettes des droits TV. Sans ce revenu, on va tout droit vers un très gros problème de trésorerie, dont certains pourraient ne pas se relever.

Et maintenant ?

Selon L’Equipe, la LFP a saisi le tribunal de commerce de Paris. La procédure vise à tenter de récupérer les fonds en France via des saisies chez les opérateurs qui encaissent les revenus des abonnement­s et en Espagne en sommant l’actionnair­e de référence de Mediapro, Joye Media SL de jouer son rôle de caution. En attendant qu’une solution soit trouvée sur le terrain judiciaire, la Ligue doit redistribu­er très rapidement 50M€ de ses fonds propres aux clubs avant de compléter le virement grâce à l’emprunt de 112M€ qui doit être débloqué à la fin du mois. Cet argent est vital pour les formations de l’élite car il doit leur permettre d’assurer notamment le paiement des salaires d’octobre. Une bouffée d’oxygène temporaire. La LFP envisagera­it désormais de rompre le contrat avec Mediapro pour défaut de paiement avant de revendre provisoire­ment les journées de L1 à l’unité puis de relancer en urgence un nouvel appel d’offres. Mais contrairem­ent à 2018, elle ne sera plus en position de force pour négocier. Et les nouveaux droits TV seront forcément au rabais. Si tant est que le groupe sino-espagnol ne conteste pas cette rupture de contrat devant le tribunal. Une procédure qui pourrait traîner en longueur et prolonger la crise.

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