C’était le Club Med
Le livre s’ouvre par une scène pleine d’amertume, un jour de février 1997. Un peu moins de quatre ans auparavant, Serge Trigano a succédé à son père, Gilbert, à la tête du Club Méditerranée. Accusé de trahison et d’incompétence par un avocat du groupe Agnelli, l’un des deux principaux actionnaires de l’entreprise, l’homme est poussé vers la sortie, sans ménagement. Et avec menaces de représailles s’il ose s’épancher sur les détails de la manoeuvre.
Mais avec Trigano Loves You, paru aux Éditions Albin Michel, celui qui a su rebondir depuis cet épisode (lire ci-dessous) n’a pas souhaité tomber dans le règlement de comptes, à deux décennies d’intervalles.
Du village « artisanal » à l’essor international
Ici, il sera avant tout question de soleil, de parenthèses enchantées. Aujourd’hui âgé de 74 ans, Serge Trigano retrace cette saga de manière très personnelle, avec une inévitable nostalgie. « Mon père m’avait raconté beaucoup de choses et j’ai également accumulé beaucoup de souvenirs. Je n’ai pas encore Alzheimer », souffle l’intéressé au téléphone. « J’avais envie de raconter cette histoire familiale, mais aussi d’évoquer l’évolution du monde du tourisme », poursuit-il.
À l’origine, Gilbert Trigano avait accepté de fournir des tentes de camping au dénommé Gérard Blitz, qui, un été de 1950, avait décidé de lancer un club de vacances à Alcúdia, dans les Baléares.
Malgré des conditions rocambolesques, la mayonnaise avait pris et il flottait un doux vent de liberté sur le Club. Les Gentils Membres (G.M.) en redemanderont et feront des pieds et des mains pour s’assurer une place l’année suivante.
« Il y avait un côté tribal, un vrai esprit de communauté », appuie Serge Trigano. « Les gens travaillaient onze mois pour se payer leurs vacances. Ils faisaient la queue la nuit devant les agences pour être certains d’avoir une place. Véridique ! Ils venaient pour faire la fête, faire du sport et faire l’amour. » En plein dans le ton des Trente Glorieuses, la société connaît un essor considérable, jusqu’à devenir un poids lourd au niveau international, en améliorant progressivement les standards de confort et en gommant peu à peu son image de club uniquement dédié aux célibataires.
Les Bronzés et Jean-Paul II
Pourtant, dans la mémoire collective, c’est le tableau dépeint dans Les Bronzés qui reste. « Mon père n’avait pas beaucoup aimé le film, il le trouvait caricatural. Moi, je trouvais que c’était fait avec tellement d’humour... », soupèse Serge Trigano.
Si l’art de la vanne n’était pas l’atout premier de Gilbert, il avait en revanche un flair infaillible pour dénicher les nouveaux spots propices à faire rêver sa clientèle. Le fruit d’une plongée sans fin dans les études de marché ? Pas vraiment. Après avoir désigné un pays et examiné le climat, il se rendait sur place, retroussait son pantalon et mettait les pieds dans l’eau. Avant de trancher avec clairvoyance. Cocasse quand on sait que le cofondateur du Club Méditerranée ne s’offrait jamais de sessions farniente.
Sa détermination et sa réussite lui ouvriront même les portes du Vatican, où Jean-Paul II le questionnera sur son activité. « Mon travail consiste à réunir des hommes et des femmes du monde entier pendant quelques jours dans les plus beaux endroits du monde pour leur apporter un peu de bonheur. »
Et le pape de lui répondre : « Mais alors, Trigano, nous faisons le même métier ! »
G.O. hésitant versus G.M. piquant
Avant de prendre la suite de son père, Serge Trigano a pour sa part tenu de nombreux rôles au Club Med durant ses jeunes années, parmi les fameux G.O. (Gentils Organisateurs). Tour à tour, il fut responsable planning en Sardaigne, en charge du trafic à Corfou puis caissier au Monténégro. Perdu parmi les bellâtres à la tchatche innés qui lui servent de collègues, Serge surnage, tant bien que mal. « J’étais assez timide, j’avais du mal à évoluer en public. Mais j’y ai pris goût. Cette boîte, elle vous prenait par les tripes ! »
Devenu chef de village à Corfou, il prendra une nouvelle leçon d’humilité. Déambulant entre les tables, le jeune homme un peu gauche s’enquiert de la forme d’un client : « Bon appétit. Vous allez bien ? » Réplique cinglante du G.M., pas si charitable sur le coup : « Mais qu’est-ce que ça peut te foutre ? »
Si l’anecdote fait aujourd’hui sourire l’intéressé, celui-ci préfère se remémorer d’autres histoires, comme celle de ce patron d’une grande entreprise devenu copain comme cochon avec l’un de ses employés « sans grade ». « Le Club, c’était magique, comme un monde un peu utopique. On ne faisait pas de distinction de classe, de couleur ou de culture », conclut Serge Trigano.