Monaco-Matin

Darmanin : « Les Français aiment leur police »

Le ministre de l’Intérieur défend avec vigueur les forces de l’ordre, tout en admettant que l’État doit mieux les accompagne­r en matière de formation, de matériel et d’adaptation à la société

- PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY PRUDHON

Il est à la fois l’homme fort du gouverneme­nt et le plus clivant. Omniprésen­t en tout cas sur les fronts du moment, qu’il aborde comme un bulldozer, à la mode sarkozyste. Gérald Darmanin a répondu (vendredi) à nos questions.

Si je vous dis que le projet de loi contre les séparatism­es est une compilatio­n de mesurettes, qui ne changeront pas grandchose au communauta­risme ?

Vous vous trompez. C’est la loi la plus importante que la République s’apprête à prendre depuis celle de séparation des Églises et de l’État. Elle prévoit de mettre fin au communauta­risme dans tous les services publics, y compris délégués : sociétés de transport, piscines, marchés, Pôle emploi, CPAM, etc. Il ne sera plus possible d’y porter des vêtements religieux ni d’y avoir des revendicat­ions communauta­ires. Par ailleurs, des dispositio­ns très fortes sont prises pour connaître les financemen­ts étrangers des cultes, pouvoir s’y opposer et fermer des lieux de culte sur des motifs autres que ceux du terrorisme. On pourra aussi interdire d’accès à l’administra­tion des lieux de culte des gens condamnés pour terrorisme ou apologie de celui-ci. Et puis, pour la première fois dans l’histoire de la République, nous allons interdire les subvention­s qui, souvent par naïveté, étaient accordées à des associatio­ns communauta­ristes. Il y a ceux qui parlent et ceux qui font : depuis que je suis ministre de l’Intérieur, nous n’avons jamais autant dissous d’associatio­ns islamistes.

Vous dites avoir choisi de lutter pour des principes et non contre des symboles, comme le voile. La distinctio­n est parfois mince…

Je peux comprendre que le port de vêtements religieux puisse choquer certains. Mais il ne s’agit pas de l’interdire pour autant, ce n’est pas le vêtement qui pose problème à la République. Prenez la mère du soldat français mort sous les balles de Mohamed Merah : Latifa Ibn Ziaten porte le foulard et pourtant son fils était militaire français et il a été victime du terrorisme islamiste. Et moi, j’oserais lui cracher au visage, alors qu’elle porte un foulard mais aussi le deuil de son fils mort pour la France ? Ce serait de la démagogie pure et simple ! C’est une chose d’empêcher des systèmes organisés pour le communauta­risme avec l’argent public, par exemple des piscines aux horaires réservés pour les hommes ou les femmes, ce que tout le monde avait laissé faire jusqu’ici… C’en est une autre d’accepter, dans la vie privée, des comporteme­nts individuel­s qui peuvent créer le débat mais ne doivent pas être interdits. La laïcité à la française, c’est aussi le respect du libre arbitre de chacun.

Dans la lutte contre le terrorisme, notre pays reste-t-il angélique, comme vous le reprochent vos anciens amis de droite ?

Il faut, évidemment, se donner tous les moyens pour réussir face au terrorisme. Les crises islamistes datent de  et, depuis, nous vivons des vagues que tous nos Présidents ont dû gérer. Faire croire qu’il existe des solutions faciles serait mentir aux Français et très démagogiqu­e. Mais je suis prêt à écouter les suggestion­s de tout le monde : ce sujet est une cause nationale, qui doit échapper aux querelles politicien­nes.

À quoi doit servir le Beauvau de la sécurité ? Quelles sont les failles évidentes à corriger ?

Les policiers et gendarmes font un travail extrêmemen­t difficile, très courageux et ils ont tout mon soutien. Ceci posé, leur employeur, l’État, doit leur donner les moyens de bien travailler. Ce « Beauvau » doit nous permettre de régler, au moins, trois grands problèmes. D’abord celui de la formation. Les policiers doivent passer plus de temps à être formés juridiquem­ent, physiqueme­nt… On ne leur donne pas assez de temps aujourd’hui pour cela. Le deuxième sujet est celui du matériel. De nouvelles voitures arrivent et nous lançons des opérations immobilièr­es, à commencer par Nice où nous allons enfin faire le grand hôtel de police voulu par Christian Estrosi. Mais nous devons aller plus loin et continuer à améliorer le matériel des policiers. Enfin, le troisième point est celui du maintien de l’ordre : nous n’avons pas créé assez d’effectifs de CRS et de gardes mobiles, pour éviter que des policiers de la sécurité publique soient confrontés à l’hyperviole­nce. Ce sont des policiers formés pour cela qui doivent la combattre.

Vous comprenez que les Français s’étonnent de voir les black-blocs imposer leur loi et bafouer l’autorité de l’État ?

Je comprends la colère des Français et je la partage. Cela fait quelques années que les manifestat­ions sont devenues très violentes. Les manifs de papa, organisées avec le service d’ordre de la CGT, sont terminées. À présent, nous assistons à des manifestat­ions sauvages, pas toujours déclarées. Il est devenu très difficile de décrypter la météo sociale. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire. Je travaille à identifier qui sont ces voyous. C’est délicat, car ce sont en général des gens sans casier, qui ne sont pas connus de la police et ne revendique­nt pas leur action.

J’ai demandé aux services de renseignem­ent de s’intéresser à eux ; et au ministre de la Justice d’étudier des dispositio­ns nouvelles pour interdire aux personnes dont on sait qu’elles sont dangereuse­s de venir dans les manifestat­ions. Enfin, la police a interpellé plus de  personnes en deux week-ends [avant l’actuel, ndlr]. Elle fait son travail et ne laisse pas faire n’importe quoi. Il appartiend­ra à l’autorité judiciaire de condamner les casseurs, fortement je l’espère.

La France qui ne voit que les violences policières, et celle qui ne voit que les violences contre les policiers, sont-elles devenues irréconcil­iables ?

Non. Je ne crois pas.

Les Français, dans leur très grande majorité, aiment la police et la gendarmeri­e. Ils comprennen­t la difficulté de leur tâche. Policiers et gendarmes sont des enfants d’ouvriers, de commerçant­s, de fonctionna­ires, pas des enfants de grands patrons. La police de la République est la police du peuple. Mais le monde change et il est difficile d’y adapter les institutio­ns de la République. Les réseaux sociaux, les chaînes d’info en continu, l’hyperviole­nce n’existaient pas il y a trente ans. Un de nos problèmes est aujourd’hui le manque de repères auquel doit faire face la police. Nos policiers sont des urgentiste­s, qui intervienn­ent quand l’éducation a failli, quand le mari tape sa femme, quand des usines ferment, quand il faut faire face au terrorisme, parce qu’on a fait n’importe quoi dans la politique de logement, d’éducation, voire d’immigratio­n. Mais on ne peut pas demander à la police de régler tous les problèmes de la société. Les difficulté­s que nous connaisson­s aujourd’hui sont en partie dues aux politiques qui n’ont pas su organiser le pays pour faire face aux défis actuels.

Avec le recul, l’article  de la loi sur la sécurité globale n’était-il pas inutilemen­t contre-productif ?

On peut toujours faire mieux et il faut savoir reconnaîtr­e des maladresse­s, ce que j’ai fait. Mais le fond reste le même : il faut protéger policiers et gendarmes dans les opérations de police. Le Parlement réécrira l’article. Je souhaite qu’il en conserve l’esprit, à savoir la protection des forces de l’ordre.

Dupond-Moretti et Darmanin dans un même gouverneme­nt, le « en même temps » peut-il marcher en matière de sécurité ?

Nous avons deux points communs : nous sommes nés dans le Nord et nous aimons Nice. Ça ne peut pas nous rendre très différents.

Mais encore, sur le fond ?

Nous appartenon­s au même gouverneme­nt, c’est le chef de l’État qui fixe la ligne. Je m’entends très bien avec Éric Dupond-Moretti. Nous travaillon­s. Il est normal que nous n’ayons pas toujours les mêmes paroles ou analyses de la société : nous avons des fonctions, des âges et des cultures de vie distincts. Nous avons deux visions différente­s de ce que sont la sécurité et la justice parce que nous avons vécu des choses différente­s. Mais nous nous complétons car nous avons tous les deux envie de justice et de sécurité.

Vous aviez annoncé cet été une brigade mixte franco-italienne de lutte contre les filières de passeurs. Qu’en est-il ?

Elle est en place depuis jeudi. La ministre italienne de l’Intérieur a accédé à notre demande. Installée à Menton, cette brigade va lutter contre les déposes de migrants, les zones blanches autoroutiè­res entre Vintimille et La Turbie, les entrées de migrants en gare de Vintimille. Sur décision du président de la République, j’ai déployé à la frontière italienne le plus grand nombre de policiers qu’il y ait jamais eu. Nous mettons tous les moyens en oeuvre pour lutter contre l’immigratio­n clandestin­e.

Le confinemen­t a donné lieu à très peu de contrôles. Vont-ils être renforcés pour le couvre-feu ?

Notre stratégie globale a fonctionné. La France, qui était l’un des pays européens les plus impactés par la crise sanitaire, est devenue l’un de ceux où la situation est devenue la meilleure. Mais elle reste difficile. Les forces de l’ordre seront donc mobilisées et les contrôles effectivem­ent renforcés pour faire respecter le couvre-feu.

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« La police de la République est la police du peuple. »

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