Monaco-Matin

À Trigance, tranches de vie autour du fournil

Dans le village perché du Var, la boulange remplace les réseaux sociaux entre les habitants. Le four est communal et communauta­ire.

- KARINE MICHEL kmichel@nicematin.fr

Le soleil est déjà haut dans le ciel d’hiver du village de Trigance. Rue du Four, Luc Bastiani surveille ses derniers pains en train de gonfler dans le four. La radio résonne dans ce local de 20 m2 qui sent bon la farine et le pain chaud. Dehors, sur le muret, ça discute autour d’un petit noir, d’un thé, d’une viennoiser­ie tout juste cuite… Confinemen­t ou non, c’est là, de l’autre côté de la rue, ou sur le pas de la porte, que l’on vient partager quelques moments de vie lorsque le boulanger cuit son pain. Dans ce village aux portes du Verdon, la boulange s’inscrit dans le partage, la communicat­ion. Se substitue à n’importe quel réseau social.

Le boulanger Luc Bastiani termine sa matinée en surveillan­t la dernière fournée… La veille, il a préparé le four en posant le bois sur la sole. Le matin, il a surveillé, alimenté pendant quatre bonnes heures, en même temps qu’il a pétri, façonné avec son propre levain, les différente­s pâtes à enfourner. Un peu avant la cuisson, il a retiré les cendres. « Les villageois viennent en chercher pour réaliser leur lessive… », ajoute-t-il. Et après les michettes et autres pains empereur (lire par ailleurs), alors que le four redescend en températur­e, le boulanger laisse cuire les grosses pièces, les biscuits, les quiches... Il pourrait même surveiller la cuisson de quelques pièces de viande ! « Le four est communal explique Luc. Même si les équipement­s sont à moi, par convention avec la municipali­té, les villageois peuvent venir y cuisiner ce qu’ils désirent ».

Les plaques de pizza pour les grandes fêtes

Il raconte comment il a vu cuire des farcis, des potées, un agneau de huit heures, des cochons entiers… « Quand il y a des grosses fêtes, on enfourne neuf plaques de pizza. » Il sourit. «Ça ne me dérange pas, ça me permet de discuter un petit peu… »

« Ça permet de garder la vie qu’il y aici» , lâche admiratif Yves, ancien boulanger de Taradeau désormais commercial en farine, de passage ce matin-là. Marion confirme. L’épouse de Luc vient chercher la marchandis­e pour la poser à la boulangeri­e, quelques mètres plus haut. Et préparer ensuite les livraisons. « Au petit matin, poursuit Luc, j’ai mes visiteurs, mes “rôdeurs” de nuit comme je les appelle. » Pierre, le marcheur matinal, vient à six heures. Sébastien, postier remplaçant qui s’occupe également d’un gîte plus bas, s’arrête lui à 7 heures. À 8 heures, ce sont les parents des élèves… Puis, se présente le chevrier. Le berger lui, vient à 22 heures le soir ou à 6 heures du matin. Tout un petit monde qui défile sous les yeux de Luc Bastiani. Cet enfant du pays dracénois voue une vraie passion à son métier et à ce village où il s’est installé en famille lorsqu’il s’est agi de prendre la relève de son père. «Il avait succédé à mon grand-père d’ailleurs… » Trois génération­s à la tête de la boulangeri­e depuis les années soixante-dix.

« Je n’avais pas prévu de faire de longues études », raconte Luc en riant. Alors, après le bac, l’enfant de Draguignan embrasse une carrière militaire. Passionnée de photograph­ie, Marion rencontrée au bahut, rejoint le sous-officier à Épernay. Pendant 15 ans, la jeune femme fait rimer carrière et famille – Lola, 14 ans aujourd’hui, est née à Vitré – au gré des missions de son militaire de mari.

Après le Liban en 2007 et 15 ans d’engagement, le capitaine décide de changer de voie. « Au même moment, mon père voulait raccrocher… » Et refermer les portes de la boulangeri­e de Trigance où il avait lui-même succédé à son père plus de 35 ans auparavant.

« On en a discuté ensemble. Marion et moi avons proposé de reprendre la boulangeri­e. » Luc passe son CAP en six mois et fin 2011, le couple rachète le fonds de commerce.

L’éthique comme mantra

Depuis, la famille s’est agrandie : Ruben 7 ans, et Madeline, 5 ans et demi, sont venus grossir les rangs des écoliers du village.

En cette saison, le boulanger est à l’ouvrage le mardi, jeudi, samedi et le dimanche (1).

‘‘ Ça permet de garder la vie ici...”

« Quand il manque du pain le jeudi soir, je pétris également le vendredi matin. » Et ce, même si, «au coeur de l’hiver, la plupart du temps quand on ouvre le vendredi, il y a 15 euros en caisse à la fin de la journée ». Alors le pain est donné pour les chevaux, «on deale aussi, on échange des oeufs etc. » rit Luc, qui assure-t-il, n’est pas là pour « faire du pognon » mais pour l’éthique.

« On est un peu les confidents aussi. Plus encore, en temps de confinemen­t. Ce matin, en passant, on nous disait : “mais c’est le bar ici !” Et puis, comme on est seul dans nos villages, si on ferme, il n’y a plus de pain. » Et au-delà, plus de lien. 1. Tous les jours durant la saison estivale.

Sur Facebook : Boulangeri­e Au Feu De Bois Trigance et Michette Feudebois Rens. 04.94.76.91.75.

‘‘ Le matin, j’ai mes rôdeurs de nuit”

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