Monaco-Matin

Benoit Fleury rebelle au bois dormant

À Grasse, l’ex-ingénieur en topographi­e apprivoise morceaux de cade, d’arbousier et de bruyère pour créer d’élégantes sculptures animales.

- AURORE HARROUIS aharrouis@nicematin.fr

La craquelure. Le noirci. L’accident. Le biscornu. L’irrégulier. Le relief. Les sillons. Benoit Fleury traque tout ça dans chaque morceau de bois qu’il déniche. Le rituel est rodé. Gros sac harnaché sur son dos, il parcourt, avec son épouse, Fanny, les forets de la région et s’amourache de bouts de bois morts, meurtris par le temps, les incendies. Arbousier, cade, bruyère, genévrier, buis. « Des essences méditerran­éennes qui poussent très lentement... Leur bois est dur et leur veinage très riche. Ce sont des bois qui sont rejetés en ébénisteri­e car ils n’atteignent jamais des tailles suffisante­s pour faire des pièces. Mais moi, plus c’est brûlé, plus c’est tordu, plus ça me plaît. »

Dans ces racines, troncs et branches qui s’amoncellen­t devant son atelier, au sous-sol de la maison familiale, quartier de Saint-Jacques, à Grasse, Benoit Fleury trouve des trésors et leur offre une seconde vie en sculptures aux lignes épurées.

« Parfois, les bois me parlent, je vois tout de suite ce qu’ils vont pouvoir devenir. Sinon, je les stocke et les manipule un peu après », sourit-il en ouvrant la porte de son antre.

Drôle de bestiaire

Des établis, héritage paternel. Des outils anciens, gouges, burins, maillets, petits bijoux de famille aussi. Un grand plan de travail avec ponceuse rotative, aspirateur à sciure. Comme chez le dentiste, en version XXL. Propre. Rangé. « Parce que vous veniez », glisse Fanny, complice. Sur les étagères et dans la pièce attenante, les pièces prennent vie. Des oiseaux au long bec d’une élégance folle. Un faisan né dans une racine de buis, gracile. Un coeur humain, plein de sensualité, sculpté dans la bruyère, veines apparentes. Une chouette toute douce. Une patte de dinosaure méga impression­nante. Cachalot ventru, sanglier bondissant, méduse ondoyante et petite souris malicieuse peuplent encore ce drôle de bestiaire. « Avec les animaux, le bois revient à la nature », affirme le sculpteur, qui admire Pompon, Boudon, Brancusi et Henry Moore.

Il y a aussi, en belle place, une petite biche, le dos courbé, en train de brouter. « Ma première sculpture animalière,

lâche le sculpteur. J’avais 15 ans »

Benoit Fleury remonte le fil. Il est jeune ado. Grandit en Franche-Comté, dans ce « coin de France où l’on sait apprécier la chaleur des bois remarquabl­es des forêts environnan­tes ». Son grand-père est menuisier. Son papa, Jean, ébéniste sculpteur sur bois. « Je passais mes vacances avec lui dans l’atelier. Je jouais la petite main. »

Le bois. Il envisage alors d’en faire son métier. Vise l’école Boulle. « Mes parents n’ont pas souhaité me laisser partir si jeune seul à Paris. »

Benoit Fleury deviendra ingénieur topographe. Une « première carrière » choisie pour voir du paysage, par goût du voyage. Il vadrouille au Pérou. Participe au lancement d’Ariane en Guyane.

Déclinaiso­n en bronze

« Mais où que j’aille dans le monde, la fibre artistique revenait à moi. À chaque escale, j’allais visiter les musées, découvrir les savoir-faire d’artisans », se souvient celui qu’une start-up en cartograph­ie satellite devenue filiale d’Airbus a attiré sur la Côte d’Azur il y a une trentaine d’années. Il deviendra directeur technique de cette branche implantée alors à Toulouse avant que son rêve de sculpteur ne « soit trop grand pour encore lui résister. J’ai dit stop au reste. » C’était en 2015. Benoit Fleury carrelle le sous-sol de la villa grassoise et y installe son atelier. Il suit une courte remise à niveau auprès d’un sculpteur sur bois du Sud Ouest, Christian Delacoux. « Il me fallait un déclic », dit-il.

Depuis, Benoit topographi­e avec talent les bois, traque les veines comme d’autres débusquent les fleuves sur des cartes. Et travaille à tâtons. « La technique de la sculpture sur bois demande beaucoup de retenue et de délicatess­e. Il faut faire attention à ne pas trop en retirer, pour garder le mouvement et l’émotion. » Deux mantras qu’il véhicule aussi dans les déclinaiso­ns de ses pièces en bronze fondues à Milan, en Italie. Là, le poli miroir et la patine noire viennent marquer le contraste entre le bois frotté et la matière brûlée qui font toute sa patte.

‘‘ Plus c’est brûlé, plus c’est tordu, plus ça me plaît”

Rens. www.blog.benoitfleu­ry.com, sur Facebook et Instagram @fleuryscul­pteur. Les pièces coûtent entre 200 et 2 000 euros. Elles sont exposées notamment à la galerie Gabel à Biot et à la galerie inattendue à La Colle-sur-Loup.

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