Monaco-Matin

Décembre  : la mort du policier de Cuers

Le maintien de l’ordre n’est pas qu’un problème d’actualité. Tué à Cuers lors de l’insurrecti­on de décembre 1851, le brigadier Lambert vient de voir sa tombe réhabilité­e.

- ANDRÉ PEYREGNE magazine@nicematin.fr

Tout avait commencé le 3 décembre 1851, après l’annonce, la veille, du coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte. L’insurrecti­on s’était répandue à travers la France, débordant les forces de l’ordre. Le 5, à Cuers, dans le Var, un gendarme est tué.

L’histoire que voici a été établie d’après les récits des historiens ainsi que les rapports de gendarmeri­e de l’époque. Ces derniers nous ont été procurés par l’Associatio­n des Collection­neurs pour la Sauvegarde du Patrimoine de la Maréchauss­ée à la Gendarmeri­e (voir encadré).

Reprenons la chronologi­e des faits.

Au matin du 2 décembre, Louis-Napoléon Bonaparte, qui a été élu à 40 ans, en 1848, président de la République (plus jeune président jusqu’à Emmanuel Macron) dissout l'Assemblée nationale et annonce la préparatio­n d’une nouvelle constituti­on. Il souhaite modifier la précédente qui ne lui permet pas d’effectuer un second mandat de président de la République. C’est ce qu’on a appelé le coup d’État du 2 décembre 1851. Le peuple français, qui prend mal les choses, se soulève. Dans le Var, la neige a beau être tombée de manière inattendue, elle ne refroidit pas l’ardeur des insurgés. Des regroupeme­nts se forment au Luc, au Muy, dans le Golfe de Saint-Tropez, réunissant des centaines de paysans, pêcheurs, forestiers, poussés par la colère, armes et fourches à la main.

Le 4, un rassemblem­ent est dispersé à Toulon par l’armée sur ordre du préfet Pastoureau, arrivé le jour-même dans la ville. L’après-midi plusieurs mairies sont envahies, pillées, saccagées.

Un coup de feu

À Cuers, quelques fortes têtes brandissen­t l’étendard de la révolte : le boulanger Bertrand, dit Testo de Pèi, l’épicier Gueit, le paysan Bernard, le muletier Bourge, le charron Rampin, l’agriculteu­r Clair Mourre et son fils Marius dit « le pacifique ».

Le 5 décembre après-midi, la foule hurlante se dirige vers la mairie, vociférant la Marseillai­se. Le maire Louis Barralier est là, voulant faire front. Il est agressé. Deux gendarmes, Lambert et Cauvin, se portent à son secours. Un coup de feu part. Le brigadier Lambert s’écroule.

Un silence plombe aussitôt l’assistance. Tout le monde reste figé. Puis, soudain, la colère populaire repart. Selon le rapport de la gendarmeri­e, « les femmes démagogues (sic) dansent une farandole autour du cadavre, le frappent de coups de pied, un homme vient même se laver les mains dans son sang. »

Plus de  Cuersois arrêtés...

Qui a tiré le coup de feu ? On accuse rapidement Basile Jacon, l’« innocent du village », 23 ans, qui ne sait ni lire ni écrire. On désigne aussi Marius dit « le pacifique » qui pavoise au milieu du brouhaha, s’étant emparé de l’écharpe du maire.

Le brigadier Cauvin, blessé, est arrivé à s’extraire de la mêlée. Arrivé ensanglant­é à sa caserne, il part à cheval à Toulon pour informer ses supérieurs de ce qui vient d’arriver.

Dès le soir, le préfet Pastoureau dépêche l’armée. Quatre cent dix-sept Cuersois seront arrêtés. Certains seront enfermés au Fort Lamalgue à Toulon, d’autres envoyés au pénitencie­r en Algérie.

Si l’histoire de la mort du brigadier Lambert remonte aujourd’hui à la surface, c’est que l’Associatio­n des Collection­neurs pour la Sauvegarde du Patrimoine de la Maréchauss­ée vient de remettre à neuf sa tombe au cimetière de Cuers. Ainsi a été honorée la mémoire de ce gendarme de 37 ans, mort dans l’exercice de ses fonctions.

Dès le lendemain du drame, il fut considéré comme un héros par les autorités. Une concession à perpétuité lui fut attribuée le 7 février 1852 par le conseil municipal de Cuers, l’acte étant authentifi­é par un arrêté signé du Président de la République, Louis-Napoléon Bonaparte, le 5 avril 1852.

Il y eut un procès, le 9 novembre 1852. Onze prévenus furent présentés devant le tribunal. Deux condamnati­ons à mort furent prononcées : contre Marius Mourre et Basile Jacon. Elles seront muées en détention à vie. C’est au bagne de Cayenne en Guyanne que Mourre mourra en 1858, à l’âge de 37 ans. Son destin avait basculé le 5 décembre 1851.

‘‘ Considéré comme un héros par les autorités”

L’Associatio­n des collection­neurs pour la sauvegarde du patrimoine de la maréchauss­ée à la gendarmeri­e a été créée, il y a treize ans, à Pierrefeu dans le Var, pour réhabilite­r à l’échelon national la mémoire des gendarmes morts en fonction sur tout le territoire français. Elle est présidée par Nicolas Moulin. Les recherches historique­s ont été effectuées avec Serge Porre, ancien archiviste de la commune de Cuers. L’associatio­n a identifié, à travers la France, dix gendarmes morts lors de l’insurrecti­on de , dont Augustin Lambert à Cuers, et trois dans la seule commune de Bédarieux dans l’Hérault. L’action de l’associatio­n ne se limite pas, bien sûr, à l’insurrecti­on de . Elle s’apprête à restaurer à Cuers la sépulture du soldat Salvini, mort au cours de la Première Guerre mondiale. Durant les années de célébratio­n du centenaire de la Guerre de -, elle a fait circuler dans le Var et les Alpes-Maritimes une exposition mettant en évidence l’action de la gendarmeri­e lors de ce conflit mondial.

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 ?? (Photos DR) ?? . La tombe du brigadier Lambert, qui vient d’être restaurée à Cuers. . La gendarmeri­e de Cuers au XIXe siècle. . Nicolas Moulin, président de l’Associatio­n des Collection­neurs pour la Sauvegarde du Patrimoine de la Maréchauss­ée à la Gendarmeri­e.
(Photos DR) . La tombe du brigadier Lambert, qui vient d’être restaurée à Cuers. . La gendarmeri­e de Cuers au XIXe siècle. . Nicolas Moulin, président de l’Associatio­n des Collection­neurs pour la Sauvegarde du Patrimoine de la Maréchauss­ée à la Gendarmeri­e.
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