La nostalgie du quartier des moulins à Grasse
On célèbre cette année le bicentenaire de la naissance, du peintre et photographe grassois, auteur du tableau Quartier des moulins à Grasse, Charles Nègre.
Dans la lumière pâle d’une journée ordinaire, voyez cette rue en terre qui monte entre les vieilles maisons aux façades fatiguées. Sur la gauche, un mur de pierres s’effondre, un bouquet d’arbres apporte au tableau la présence de la nature. Avez-vous remarqué ces femmes qui sortent de l’ombre ? Elles sont juchées sur leurs montures. Que font-elles ? Où vont-elles ? Elles sont chargées de marchandises. Un homme semble les guider. Scène banale de la vie de tous les jours. Une sorte de mélancolie se dégage du lieu. Le ciel est gris, il fait silence. Le peintre Charles Nègre a fait de cette scène un tableau qu’il a intitulé Quartier des moulins à Grasse, qui est conservé au Musée d’art et d’Histoire de Provence
dans cette même ville.
Nous sommes en 1860. 1860 ? L’année de tous les bouleversements dans la région. Nice est rattachée à la France, Grasse qui, jusqu’alors appartenait au
Var, bascule dans les Alpes-Maritimes. Mais l’endroit que l’on voit sur ce tableau semble bien étranger aux mouvements géopolitiques qui agitent la France.
Arts complémentaires
Charles Nègre est né à Grasse quarante ans plus tôt, le 7 mai 1820. En 2020, on aurait dû célébrer le bicentenaire de sa naissance. Mais la crise sanitaire n’a pas permis au Musée de la ville de lui rendre en temps voulu l’hommage qu’il méritait. Les pages « Histoire » de Nice-Matin lui ont consacré un portrait le 15 novembre dernier.
Charles Nègre fut à la fois peintre et photographe. Les deux arts, chez lui, sont complémentaires.
« Les photographies de Charles Nègre lui servent d’esquisses qu’il copie fidèlement sur toile tandis que son regard de peintre magnifie le réel en donnant à ses photographies une dimension poétique », nous explique Cindy Levinspuhl, chargée des expositions pour les musées de Grasse.
Dans ce tableau, Charles Nègre a superposé ses deux arts. Car cette oeuvre serait, en fait, une peinture réalisée sur une photo. La photo a été marouflée sur bois, c’est-à-dire appliquée sur un support en bois.
La source de la Foux
À l’époque où Charles Nègre a réalisé ce tableau, le quartier des moulins, à Grasse, était en pleine activité. Les moulins à eau étaient alimentés en particulier par la source de la Foux. On les trouvait principalement dans le quartier du Rossignol, à l’Est de la ville. On prétend qu’au XVIIe siècle le nombre des moulins grassois représentait 40 % des moulins communaux de toute la Provence. On en comptait une soixantaine au XIXe siècle. Les moulins étaient essentiels à la production de l’huile d’olive, mais aussi à celle des parfums, des cosmétiques, des savons.
Un jour, les moulins furent remplacés par les machines à vapeur. C’était l’inévitable évolution du modernisme. Mais, dans la lumière pâle des jours ordinaires, les femmes, juchées sur leurs ânes continuaient à gravir la rue montante du quartier des moulins pour amener leurs sacs de fleurs aux usines à parfum...
Charles Nègre, né le mai à Grasse, a étudié la peinture à Paris avec Delaroche, Martin Drolling, et a achevé sa formation auprès d’Ingres. Il expose au Salon de Paris à partir de et est aussitôt diplômé. En , il est attiré par l’art naissant de la photographie et installe son propre atelier dans la capitale. Il décide de photographier le littoral du Sud-Est de la France et est le premier photographe à avoir parcouru le département nouvellement constitué des AlpesMaritimes.
En , il revient dans sa région natale pour raison de santé. Il obtient un poste de professeur au lycée Impérial de Nice et ouvre un atelier, rue Chauvain.
Mort dans l’oubli dans sa ville natale le janvier , il ne sera redécouvert que dans les années trente, à la faveur de grandes expositions photographiques organisées à Paris et à New York.
Le Musée de Grasse possède une quarantaine de ses tableaux. C’est, avec le Musée d’Orsay à Paris, la plus grande collection de ses oeuvres.
‘‘ À l’époque de ce tableau, les moulins à eau, à Grasse, étaient en pleine activité”
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