Pollution marine, un rapport accablant, des raisons d’espérer
La pollution des océans induite par l’activité humaine inquiète les scientifiques. A l’occasion d’un symposium sur l’océan à Monaco, ils alertent sur ses effets délétères pour la santé
Une chute quasi immédiate de la pollution atmosphérique. Le premier confinement en a apporté la preuve : agir sur l’environnement n’est pas un voeu pieux, à condition de prendre des mesures concrètes et concertées. Parmi les préoccupations majeures aujourd’hui, la pollution des océans, facteur de risque méconnu mais majeur sur la santé humaine à plus ou moins long terme. « Les interactions entre l’océan et la santé humaine sont nombreuses, complexes mais restent largement méconnues de tous ; l’état futur de l’océan déterminera pourtant en grande partie la santé et le bien-être futur de chacun », introduit le Pr Patrick Rampal, président du centre scientifique de Monaco. Co-organisateur du er symposium international consacré aux liens entre la santé humaine et les océans (Human health and the ocean in a changing world) il est l’auteur
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principal avec Philip Landrigan, directeur de l’Observatoire pollution et santé du Boston College, d’un rapport important signé par une quarantaine de scientifiques, principalement américains et européens. Un rapport accablant
() sur la santé de l’océan et qui conclut à l’urgence d’agir : « face au danger croissant que représente la pollution des océans, la société civile et le public mondial doivent prendre des mesures audacieuses et fondées sur des preuves pour arrêter le phénomène à la source. Et protéger la santé humaine. » Synthèse de ce rapport avec le Pr Rampal. (1) Soutenu par la Fondation Prince Albert II de Monaco et le Centre Scientifique de Monaco, le symposium s’est tenu les 2 et 3 décembre derniers à Monaco.
(2) Publié dans la revue Annals of Global Health le rapport a été rendu public lors du congrès à Monaco.
. La pollution des océans est généralisée, elle s’aggrave et, dans de nombreux endroits, elle est mal contrôlée
Principale source de la pollution marine : l’activité humaine. Que retrouve-t-on dans nos océans ? Un mélange complexe de produits chimiques et de matières biologiques comprenant des déchets plastiques, des métaux toxiques, des produits chimiques manufacturés,
« L’océan produit une grande partie de l’oxygène atmosphérique et reste la principale source de protéines alimentaires pour des milliards de personnes. Mais, le changement climatique, la pollution microbiologique et chimique, la dégradation des écosystèmes marins, la surpêche sont une menace qui pèse très lourd sur sa santé et la nôtre ». C’est la conclusion du symposium organisé conjointement par le Boston College, le Centre Scientifique de Monaco et la Fondation Prince Albert II de Monaco.
des hydrocarbures, des déchets urbains et industriels, des pesticides, des engrais issus du ruissellement agricole, des eaux usées, des déchets pharmaceutiques...Résultat : chaque centimètre cube d’eau de mer contient, en moyenne, un million de cellules microbiennes (agents pathogènes marins naturels et micro-organismes introduits dans les océans à partir de sources terrestres).
. La pollution marine a des effets délétères nombreux et prouvés sur la santé humaine
• La pollution marine au mercure (principalement issue de la combustion du charbon dans les centrales électriques et les usines) nuit au développement du cerveau des enfants. Elle provoque une baisse du quotient intellectuel (QI) et augmente le risque de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Chez les adultes, elle augmente le risque de maladies cardiovasculaires et accélère le déclin cognitif, augmentant ainsi le risque de démence.
• Les perturbateurs endocriniens, produits chimiques toxiques présents dans les plastiques (PCBs, phtalates, bisphénol A, retardateurs de flamme bromés, composés organophosphorés, composés organiques et produits chimiques perfluorés) agissent sur la fertilité masculine, augmentent le risque de certains cancers (sein, utérus..), de maladie cardiaque et affectent la fonction immunitaire • Les rejets de déchets agricoles et humains dans les ports et les eaux côtières favorisent la prolifération d’algues toxiques et accélèrent la propagation d’infections bactériennes ou virales potentiellement mortelles. Les cas de ciguatera (l’intoxication humaine liée à l’ingestion de poissons « contaminés ») sont ainsi de plus en plus nombreux : 10 000 à 50 000 cas sont rapportés tous les ans. • La pollution plastique est en constante augmentation dans les océans ; des microbilles et microfibres en plastique, produits de la décomposition du plastique persistent dans les océans pendant des années, pénètrent dans le réseau alimentaire marin et se concentrent dans les espèces consommées par les humains. Le poids des pathologies associé à ces expositions n’est pas encore connu.
. La pollution des océans a de multiples effets néfastes sur les écosystèmes marins
Ces effets sont exacerbés par le changement climatique mondial et l’acidification des océans.
• La pollution plastique tue les oiseaux de mer, les poissons et les mammifères marins.
• Les déchets pharmaceutiques, la pollution chimique et les rejets d’eaux usées endommagent les estuaires fragiles, « nurseries » de la mer, et détruisent les récifs coralliens.
• L’absorption croissante du dioxyde de carbone dans les océans – conséquence directe de la combustion fossile – entraîne l’acidification des océans. L’acidification des océans détruit les récifs coralliens, dissout les huîtres et le plancton contenant du calcium à la base du réseau trophique marin.
• La diminution des stocks de poissons causée par la pollution, la surpêche et le réchauffement de la surface de la mer menace la santé et la sécurité alimentaire de millions de personnes.
• Les déversements d’hydrocarbures et de polluants organiques persistants (POP) menacent les micro-organismes marins bénéfiques qui produisent une grande partie de l’oxygène terrestre par la photosynthèse.
. Une pollution profondément injuste
La pollution des océans et tous ses impacts affectent majoritairement les habitants des petits pays insulaires, les communautés autochtones du Grand Nord, les communautés côtières du Sud et les communautés de pêcheurs du monde entier, des populations qui participent de façon extrêmement marginale à cette pollution.
. La pollution des océans n’est pas correctement cartographiée
• Les connaissances actuelles sur la pollution des océans et ses effets sur la santé humaine en sont (DR) encore à un stade relativement précoce.
• Les informations sur la répartition géographique et les concentrations de polluants dans les océans sont fragmentaires et se limitent principalement aux mers qui bordent les pays à revenu élevé.
• Les informations sur l’importance des populations humaines exposées à la pollution des océans et leurs niveaux d’exposition sont rares.
Rien n’est inéluctable, il est possible d’agir
. Les raisons d’espérer. La pollution des océans peut être contrôlée
• La première étape clé du contrôle consiste à identifier et à quantifier les sources terrestres à l’origine de 80 % de la pollution des océans : des stratégies ciblées, axées sur les données, fondées sur la loi, la politique et la technologie et soutenues par l’application de la loi sont essentielles.
• Ces stratégies de contrôle à plusieurs niveaux se sont avérées très efficaces et ont obtenu des succès significatifs contre la pollution marine.
• Des ports pollués ont été nettoyés, des estuaires rajeunis et des récifs coralliens restaurés. • Les interventions contre la pollution des océans ont été très rentables. Elles ont stimulé les économies, accru le tourisme et rétabli la pêche. Ces avantages dureront des siècles.
• La prévention et le contrôle de la pollution des océans ont amélioré la santé et le bien-être humains, prévenu les maladies et prolongé la longévité.