Monaco-Matin

Noël  : les dernières fêtes du XIXe siècle sur le Rocher

Elles sont marquées par deux événements : l’usage de l’électricit­é et le bal de la Croix-Rouge

- ANDRÉ PEYREGNE

Nous sommes en décembre 1899 : la fin de l’année – mieux, la fin du siècle ! Partout, à la nuit tombée, la Principaut­é brille, scintille. Les jardins et les hôtels s’éclairent de mille feux. Les guirlandes, les étoiles, les arches lumineuses éblouissen­t le regard. Dans l’atrium du Casino a été dressé un arbre de Noël de huit mètres de haut, couvert de décoration­s.

Vous penserez que cela est normal. Qu’un Noël à Monaco ne peut être qu’une féerie de lumières ! Vous vous trompez : cela est extraordin­aire.

L’électricit­é va révolution­ner le monde

Les lumières que l’on découvre en cette 1899 dans la nuit monégasque viennent d’une source nouvelle, utilisée pour la première fois à grande échelle : l’électricit­é – oui, l’électricit­é qui va révolution­ner le monde. Les badauds, les touristes, les voyageurs, les journalist­es viennent admirer ses miracles. Dans la salle du casino a été installée une incroyable attraction : un escalier mécanique. L’électricit­é fait avancer les marches sans qu’on ait à soulever les pieds ! On peut l’emprunter pour 50 centimes. La Principaut­é projette ses fêtes de Noël dans le nouveau siècle. Des trains luxueux avec salons et buffets amènent à Monaco les touristes chics. Des attelages ornés de guirlandes, conduits par des cochers en livrées, les amènent jusqu’aux hôtels. Sur la place du Casino, les robes élégantes et chapeaux fleuris, croisent les fracs et les hauts-de-forme. Les voyageurs viennent de toute l’Europe. Certains sont accompagné­s de leurs domestique­s, leurs animaux de compagnie, leurs maîtresses. Les grands ducs, les princes, les barons de toutes origines se croisent, se toisent, s’aiment ou se détestent. Tous sont décidés à s’amuser. Le jour ils fréquenten­t le tir aux pigeons (voir encadré), le soir le Casino. Les pigeons ne sont plus les mêmes ! Il y a de quoi perdre la tête… en même temps que son argent !

Réjane, la vedette des spectacles

Des spectacles sont à l’affiche, ainsi qu’ un événement mondain à résonance internatio­nale : le Bal de la Croix-Rouge. En entrant dans la Salle Garnier, les spectateur­s découvrent que l’endroit a changé. La somptueuse salle qu’avait construite l’architecte de l’Opéra de Paris Charles Garnier, et qui était, à l’origine, de plain-pied, a été transformé­e. Un espace en gradins a été érigé, entouré d’une balustrade en bois. Un balcon a été aménagé en contrebas de la loge princière, le lustre a été remonté au plafond. On a attendu la mort de Charles Garnier, intervenue en 1898, pour remodeler sa salle. (C’est cette salle que nous connaisson­s aujourd’hui).

Une « Fête des fleurs »

La vedette des spectacles de fin d’année sera Réjane. Cette comédienne est, avec Sarah Benhardt, la plus célèbre de l’époque. Elle a accompli une tournée en Amérique et connu un triomphe à New-York dans la pièce Madame Sans-Gêne de Victorien Sardou. C’est justement cette pièce qu’elle jouera à Monte-Carlo pour les fêtes. Le grand-duc Vladimir de Russie, fils du tsar Alexandre II, qui loge avec son épouse Marie de Mecklenbou­rg dans une suite de la rotonde de l’Hôtel de Paris, a sollicité de Réjane une représenta­tion privée. La comédienne a accepté. On ne refuse rien aux grands de ce monde…

Au soir du 24 décembre vont s’enchaîner plusieurs événements : un concert de l’orchestre symphoniqu­e sous la baguette de son chef Léon Jéhin et un spectacle de ballet intitulé « Fête des fleurs ».

À minuit, une tombola est organisée dans l’atrium du Casino, ainsi qu’un bal. Celui-ci sera donné au profit de la CroixRouge, qui intervient dans le grand conflit internatio­nal du moment, la Guerre des Boers en Afrique du Sud.

L’icône Cléo de Mérode

Le conflit oppose les Britanniqu­es et les population­s autochtone­s. Ce sera le premier Bal de la Croix-Rouge de Monaco, avant qu’il ne devienne, en 1948, une institutio­n sous le Prince Rainier III. Ouvrons le journal l’Éclaireur de Nice : « Des guirlandes de verdure piquées de roses, des bannières suspendues au plafond, des écussons et des trophées aux couleurs de la Principaut­é, ainsi qu'aux couleurs de l'Empire Britanniqu­e et des République­s Sud-Africaines, complétaie­nt l'ornementat­ion de l'atrium sur les côtés duquel avaient été installées, par les soins de l'hôtel de Paris, les tables du buffet. » Qui participe

au tirage de la tombola ? Vous ne la reconnaiss­ez pas, avec sa tunique et son chapeau à aigrettes ? C’est Cléo de Mérode, voyons – l’une des quatre courtisane­s les plus célèbres de l’époque avec Liane de Pougy, Émilienne d’Alençon et la Belle Otéro ! A elles quatre, elles ont séduit les rois Édouard VII d’Angleterre, Léopold II de Belgique, le grand-duc Nicolas de Russie, l’Empereur Guillaume II d’Allemagne, le ministre français Aristide Briand. Elles ont été à l’origine de moult duels et suicides. En organisant ce grand bal de Noël, le prince Albert Ier a voulu attirer l’attention du monde sur la personne du créateur de la Croix-Rouge, Henry Dunant. Il a réussi : en 1901, Henry Dunant obtiendra le Prix Nobel de la paix. Lien précieux entre Noël et Nobel…

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(DR) Une affiche de Mucha pour les fêtes de fin d’année à Monaco.
 ?? (DR) ?? La Salle Garnier avant transforma­tion. À droite, Réjane, la vedette des fêtes de fin .
(DR) La Salle Garnier avant transforma­tion. À droite, Réjane, la vedette des fêtes de fin .

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