Monaco-Matin

Apostrophe­s

- de PHILIPPE CAMPS Journalist­e edito@nicematin.fr

Ils sont débordés. Si ça continue, les libraires vont devoir faire appel à des services de sécurité. Des vigiles, avec des bras épais comme des dictionnai­res, auront pour mission de réguler le trafic des clients tout en sécurisant les caisses. On n’y coupera pas. Les Français se sont pris de passion pour les livres. Le confinemen­t les a changés. Cloîtrés, ils en étaient arrivés à dévorer prospectus, ordonnance­s, modes d’emploi et notices diverses. Une terrible faim de mots. Tous faisaient l’affaire. Même ceux écrits sur les étiquettes des paquets de pâtes. Maintenant, ils sont prêts à casser du flic et des vitrines pour trouver le dernier Emmanuel Carrère. Son titre : Yoga.

Une bonne séance ne leur ferait pas de mal. C’est à se demander si les blacks blocs ne sont pas des accrocs en manque de bibliothèq­ue rose. Il leur faut leurs lignes. Bernard Pivot n’en revient pas. Il ignorait que la France renfermait autant de lecteurs compulsifs. C’est le bon côté de la pandémie de Covid- : le livre est devenu un produit de première nécessité. On se jette sur les romans. Le rayon polar est pris d’assaut.

Les classiques partent comme des petits pains. On s’arrache les BD. Les carnets de cuisine font un carton. Les ouvrages de santé, bien-être et pensée positive sont épuisés. Le personnel aussi. Pour Noël, des enfants de  ans reçoivent la sublime biographie de Churchill par Andrew Roberts.   pages. Plus lourd qu’une cocotte en fonte. A la télé, l’émission littéraire de François Busnel, sur France , écrase le foot, Hanouna et les blockbuste­rs américains. Exaltée, la ministre de la Culture demande le remboursem­ent des bouquins par la Sécurité sociale. Sacrée Roselyne ! De Kylian Mbappé à David Guetta, les stars se bousculent pour faire la lecture de Proust ou Houellebec­q dans les théâtres et les Ehpad. Fabrice Luchini ne peut plus sortir de chez lui sans être porté en triomphe. Patrick Besson et Eric Neuhoff, mes petits chouchous, passent tous les soirs au journal de  heures pour donner des conseils de lectures. Des gens dorment dans des sacs de couchage devant la porte de

La Pleiade, ma librairie chérie, de Cagnes. On les comprend. Aurélie et Virginie, les propriétai­res intrépides, se baladeront bientôt en Ferrari et iront chercher

Bret Easton Ellis, à New York, en jet privé pour une simple séance de dédicaces. Tout ça ressemble au titre du prix Goncourt : L’Anomalie. Dépêchez-vous de l’acheter avant qu’il n’y en ait plus. Une folie. Dommage, Jean d’O est mort trop tôt. Il aurait adoré ce bouillon de culture. Un jour, plus un sms ne partira avec une faute d’orthograph­e et le soir, les ados délaissero­nt leurs écrans pour l’intégrale de Simenon. Un jour.

« Pour Noël, des enfants de 4 ans reçoivent la biographie de Churchill. »

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