Monaco-Matin

Saint-Tropez après la pluie

Peint par Albert Marquet en 1905, le port varois n’était pas encore assailli de yachts et de touristes.

- ANDRÉ PEYREGNE magazine@nicematin.fr

Le beau temps est revenu sur le port de Saint-Tropez. Car, visiblemen­t, il a plu. Il y a encore des flaques d’eau sur le sol. Le ciel est redevenu bleu – un bleu tourmenté, agité – les maisons et la mer ont retrouvé des couleurs intenses. Observant le paysage au travers de ses petites lunettes ovales, le peintre Albert Marquet a certaineme­nt imaginé que le décor changeait de couleurs pour le séduire. Les peintres sont ainsi, sensibles au charme des gens et des choses. Il n’a pas résisté. Il en a fait le tableau que voici, conservé au Musée de l’Annonciade à Saint-Tropez.

On est en 1905. Dans le port, les bateaux de pêcheurs patientent, hérissés de longs mâts. Quel est ce SaintTrope­z paisible, sans yachts ni touristes ni navigateur­s mondains ni paparazzis ? Au loin s’étale le décor des maisons basses dont la courbure des toits forme une vague. Voyez, au milieu, la forme reconnaiss­able du clocher de l’église.

Le creuset du fauvisme

Qui est Albert Marquet ? Un peintre né à Bordeaux, en 1875. Son enfance se déroula dans un milieu modeste. Un pied bot et une myopie suscitent la moquerie de ses camarades. Mais le spectacle du port l’enchante.

Déjà ! Convaincue du talent de son fils, en 1890, sa mère part s’installer avec lui à Paris, ouvre une boutique de couture grâce à la vente d’un lopin de terre.

L’Hôtel Sube

À l’atelier de Gustave Moreau, Marquet se lie avec Matisse, Manguin, Camoin. Dix années d’apprentiss­age et de pauvreté. Marquet prend son essor dans le creuset du fauvisme. Et voilà qu’en 1905, lors d’exposition­s à Paris, il découvre des tableaux que Signac a peints de Saint-Tropez. Saint-Tropez ?

Vous connaissez Saint-Tropez ? Où se trouve Saint-Tropez ? Le groupe d’amis décide de partir vers le Sud. Les « évadés de l’atelier Gustave Moreau » découvrent alors un paradis pour peintres. Ils vont y expériment­er la modernité de leur art.

« Saint-Tropez devient le laboratoir­e de la transfigur­ation de la lumière et de sa traduction en couleurs », écrit Séverine Berger, conservatr­ice du Musée de l’Annonciade.

Tandis que Manguin s’installe à l’extérieur de la cité, Marquet loge à l’Hôtel Sube sur le port. Charles Camoin l’accompagne chez Signac – mais aussi chez les prostituée­s du Bar des Roses.

Il observe le port depuis le quai devant la chapelle de l’Annonciade qui fait partie alors des bâtiments des chantiers navals. Il traduit les remous de l’eau en aplats sur la toile. La technique est celle du fauvisme, avec cette explosion de couleurs pures et vives non mélangées.

« Pour accrocher le regard, Marquet ménage des empâtement­s lumineux sur la mer et sur les flaques d’eau »,

commente Séverine Berger.

Si on s’approche, on voit qu’il a griffé la toile avec l’extrémité en bois de son pinceau. Il a fait cela pour accompagne­r le mouvement de la mer.

« Il y a quelque chose de sonore dans ce tableau, poursuit Séverine Berger.

J’entends le clapotis des vagues, les cliquetis des haubans. J’imagine le pavage du quai comme les touches d’un piano qui commande la musique de l’ensemble ».

Et, soudain, Marquet est devenu chef d’orchestre…

‘‘ J’imagine le pavage du quai comme les touches d’un piano qui commande la musique de l’ensemble”

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