« L’édition la plus passionnante »
Ancien vainqueur de la Fastnet et surtout homme de défis, Yvan Bourgnon jette un regard éclairé sur une course qu’il juge, lui aussi, hors-norme. Voire même un peu « foil »...
Il a remporté la Transat JacquesVabre (en 1997), avec son frère, Laurent (à ce jour, l’unique skipper à avoir été double lauréat de la Route du Rhum, mais tragiquement disparu il y a 5 ans). Et s’il n’a jamais participé au Vendée Globe, il a néanmoins réussi un Tour du monde sur un catamaran de sport (non habitable), et sans GPS. En faisant le point à l’aide d’un sextant et de cartes papier. Yvan Bourgnon fait partie de ces « romantiques » de la course au large, de ces « Gladiateurs des mers » qui continuent de fonctionner à « l’ancienne ». Dont l’avis, du coup, prend un relief tout particulier…
Yvan, quand on voit cette bagarre en tête du Vendée, on ne peut être qu’admiratif ?
J’ai suivi toutes les éditions et c’est assurément la plus passionnante. À mi-course, on a toujours bateaux qui peuvent gagner le Vendée Globe. Ça n’était encore jamais arrivé ! Avant, après avoir franchi le cap de Bonne Espérance, en général, ils n’étaient plus que deux ou trois. Là, ça bataille encore dur devant. Mais il y a aussi beaucoup de petites casses, ce qui traduit d’ailleurs un manque de fiabilité, alors c’est possiblement la gestion du matériel qui peut faire la différence. Mais c’est intéressant, quoi qu’il en soit…
En tout cas, voilà un scénario que l’on aurait eu du mal à anticiper avant le départ…
Autrefois, c’est celui qui mettait le pied au plancher, sans casser, qui gagnait. On ne se posait pas trop de questions. Cette année, c’est la façon dont on gère la machine, sur le long terme, qui semble pouvoir être décisive. C’est donc l’intelligence du marin qui prime. Il faut savoir être au taquet, quand les conditions s’y prêtent, et avoir le réflexe de lever le pied lorsqu’il le faut.
La performance des foilers fait aussi débat. Votre avis ?
Je pense qu’au niveau de l’Imoca, il y aura, à l’arrivée, une belle réunion de crise… En fait, ce qui me gène, c’est qu’ils se soient associés à l’Ocean Race.
Ce sont des programmes tellement différents ! Mais à vouloir faire des bateaux un peu x, pour réduire les coûts, on a finalement des engins hybrides, qui ne sont peut-être adaptés ni pour la performance pure, ni pour la course océanique.
Sur les réseaux sociaux, vous avez posté que, quoi qu’il arrive, c’est Jean Le Cam qui, à vos yeux, serait le grand gagnant…
Oui, parce que s’il m’avait déjà impressionné sur les précédentes éditions, là, il réussit le sans-faute. Stratégiquement, il n’a commis aucune erreur depuis le début de la course. C’en est même surréaliste ! Des fois, il est sur des bordures anticycloniques, et lorsqu’on regarde les fichiers météo, qu’on voit qu’il y a peu de vent, on se dit : “Mais qu’est-ce qu’il fout là ? ” Et puis, c’est finalement le seul à avoir attrapé le bon couloir… Dans son jeu, il y a tout : l’audace et la prise de risques. Jean n’est pas un mouton qui suit les autres. Avec lui, c’est l’expérience et la maîtrise du bateau qui parlent ! Il est l’extraterrestre de ce Vendée…
Vous n’avez jamais défié l’Everest, mais avez néanmoins réussi un Tour du monde sur un “cata” non habitable. Une autre aventure ?
Ça n’a rien de comparable ! J’étais dans une expérience un peu horsnorme, alors que sur le Vendée, ils sont plus dans la compétition. La prise de risques n’est pas la même, mais c’était mon choix.
Vous avez aussi un projet de “bateau dépollueur”. Vous en êtes où, à ce jour ?
Ça fait quatre ans et demi que l’on travaille dessus. On est en train de consulter les chantiers navals pour la construction du voilier (un catamaran géant de m, le Manta, destiné à collecter les déchets plastiques en mer, NDLR). Mais on bosse également sur d’autres unités, plus petites, et on a développé, en parallèle, un pôle de sensibilisation, grâce à l’association The Sea Cleaners.
J’ai mis ma carrière sportive entre parenthèses pour me consacrer pleinement à cette cause. Même si je continue, avec mon fils (Mathis), de régater sur le circuit des Easy to fly…
Yvan, impossible de conclure cet entretien sans évoquer la mémoire de Laurent (), votre frère, et ce marin d’exception ?
J’en garde un souvenir incroyable, évidemment. Il avait cette capacité à mêler professionnalisme et joie de vivre. À bord, avec lui, ça déconnait toujours, mais ça ne l’empêchait pas d’être le meilleur. Il était horsnorme et trancherait sûrement dans le milieu de la voile aujourd’hui… (1) Le double vainqueur de la Route du Rhum a été porté disparu, le 24 juin 2015, lors d’un accident de plongée en Polynésie française.