Monaco-Matin

« L’édition la plus passionnan­te »

Ancien vainqueur de la Fastnet et surtout homme de défis, Yvan Bourgnon jette un regard éclairé sur une course qu’il juge, lui aussi, hors-norme. Voire même un peu « foil »...

- PHILIPPE HERBET

Il a remporté la Transat JacquesVab­re (en 1997), avec son frère, Laurent (à ce jour, l’unique skipper à avoir été double lauréat de la Route du Rhum, mais tragiqueme­nt disparu il y a 5 ans). Et s’il n’a jamais participé au Vendée Globe, il a néanmoins réussi un Tour du monde sur un catamaran de sport (non habitable), et sans GPS. En faisant le point à l’aide d’un sextant et de cartes papier. Yvan Bourgnon fait partie de ces « romantique­s » de la course au large, de ces « Gladiateur­s des mers » qui continuent de fonctionne­r à « l’ancienne ». Dont l’avis, du coup, prend un relief tout particulie­r…

Yvan, quand on voit cette bagarre en tête du Vendée, on ne peut être qu’admiratif ?

J’ai suivi toutes les éditions et c’est assurément la plus passionnan­te. À mi-course, on a toujours  bateaux qui peuvent gagner le Vendée Globe. Ça n’était encore jamais arrivé ! Avant, après avoir franchi le cap de Bonne Espérance, en général, ils n’étaient plus que deux ou trois. Là, ça bataille encore dur devant. Mais il y a aussi beaucoup de petites casses, ce qui traduit d’ailleurs un manque de fiabilité, alors c’est possibleme­nt la gestion du matériel qui peut faire la différence. Mais c’est intéressan­t, quoi qu’il en soit…

En tout cas, voilà un scénario que l’on aurait eu du mal à anticiper avant le départ…

Autrefois, c’est celui qui mettait le pied au plancher, sans casser, qui gagnait. On ne se posait pas trop de questions. Cette année, c’est la façon dont on gère la machine, sur le long terme, qui semble pouvoir être décisive. C’est donc l’intelligen­ce du marin qui prime. Il faut savoir être au taquet, quand les conditions s’y prêtent, et avoir le réflexe de lever le pied lorsqu’il le faut.

La performanc­e des foilers fait aussi débat. Votre avis ?

Je pense qu’au niveau de l’Imoca, il y aura, à l’arrivée, une belle réunion de crise… En fait, ce qui me gène, c’est qu’ils se soient associés à l’Ocean Race.

Ce sont des programmes tellement différents ! Mais à vouloir faire des bateaux un peu x, pour réduire les coûts, on a finalement des engins hybrides, qui ne sont peut-être adaptés ni pour la performanc­e pure, ni pour la course océanique.

Sur les réseaux sociaux, vous avez posté que, quoi qu’il arrive, c’est Jean Le Cam qui, à vos yeux, serait le grand gagnant…

Oui, parce que s’il m’avait déjà impression­né sur les précédente­s éditions, là, il réussit le sans-faute. Stratégiqu­ement, il n’a commis aucune erreur depuis le début de la course. C’en est même surréalist­e ! Des fois, il est sur des bordures anticyclon­iques, et lorsqu’on regarde les fichiers météo, qu’on voit qu’il y a peu de vent, on se dit : “Mais qu’est-ce qu’il fout là ? ” Et puis, c’est finalement le seul à avoir attrapé le bon couloir… Dans son jeu, il y a tout : l’audace et la prise de risques. Jean n’est pas un mouton qui suit les autres. Avec lui, c’est l’expérience et la maîtrise du bateau qui parlent ! Il est l’extraterre­stre de ce Vendée…

Vous n’avez jamais défié l’Everest, mais avez néanmoins réussi un Tour du monde sur un “cata” non habitable. Une autre aventure ?

Ça n’a rien de comparable ! J’étais dans une expérience un peu horsnorme, alors que sur le Vendée, ils sont plus dans la compétitio­n. La prise de risques n’est pas la même, mais c’était mon choix.

Vous avez aussi un projet de “bateau dépollueur”. Vous en êtes où, à ce jour ?

Ça fait quatre ans et demi que l’on travaille dessus. On est en train de consulter les chantiers navals pour la constructi­on du voilier (un catamaran géant de m, le Manta, destiné à collecter les déchets plastiques en mer, NDLR). Mais on bosse également sur d’autres unités, plus petites, et on a développé, en parallèle, un pôle de sensibilis­ation, grâce à l’associatio­n The Sea Cleaners.

J’ai mis ma carrière sportive entre parenthèse­s pour me consacrer pleinement à cette cause. Même si je continue, avec mon fils (Mathis), de régater sur le circuit des Easy to fly…

Yvan, impossible de conclure cet entretien sans évoquer la mémoire de Laurent (), votre frère, et ce marin d’exception ?

J’en garde un souvenir incroyable, évidemment. Il avait cette capacité à mêler profession­nalisme et joie de vivre. À bord, avec lui, ça déconnait toujours, mais ça ne l’empêchait pas d’être le meilleur. Il était horsnorme et trancherai­t sûrement dans le milieu de la voile aujourd’hui… (1) Le double vainqueur de la Route du Rhum a été porté disparu, le 24 juin 2015, lors d’un accident de plongée en Polynésie française.

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