La famille de Simone et le curé témoignent
Franklin Parmentier venait d’être nommé curé à Nice quand le terroriste a frappé à la basilique. De son côté, la famille de Simone tente de se reconstruire. Ses soeurs et son neveu évoquent le souvenir d’un être cher
Simone, Vincent, Nadine. Les visages des trois victimes rayonnent dans la chapelle ardente, à la lueur des bougies, dans la basilique Notre-Dame-de-l’Assomption. Ce sont ces mêmes portraits qui ont été exposés pour l’hommage national, le octobre à Nice. « Ça permet d’être face à eux. Surtout, ils ont tous le sourire... Quand on voit ces visages, ça apaise. »
L’apaisement. Voilà ce à quoi aspire l’église frappée par l’attentat islamiste du octobre. Le père Franklin Parmentier y avait été nommé curé deux mois plus tôt. Il reste profondément bouleversé. Et en quête de réponses. « Certains ont pu se demander : “Pourquoi Dieu n’a-t-il rien fait pour empêcher cela ?” Mais nous, que faisons-nous pour qu’il y ait moins de mal dans le monde ? »
Dans la basilique, trois femmes se recueillent devant la chapelle ardente. L’une d’elles la fleurit avec une tendresse infinie. « C’est la soeur de Simone », glisse le père Parmentier.
Nous la laissons à son deuil pour suivre le curé dans son bureau. Il sait l’importance de ces moments, de ces silences. De ces fleurs, aussi.
« Dostoïevski disait : “La beauté sauvera le monde”. Quand il y a eu une telle horreur, la réaction saine, c’est de remettre du beau. »
Des fleurs, il en a plu sur le parvis de la basilique, après l’attaque au couteau. « À tel point qu’on n’arrivait plus à passer ! », s’exclame Franklin Parmentier.
Après la sidération, la question s’est posée de rouvrir aussitôt au public cet édifice « blessé ». «Ilfallait que ce lieu vive, qu’il ne soit pas mort », estime le curé. Choix judicieux.
« Les services techniques et municipaux ont fait un très bon travail pour que cet endroit soit à nouveau accueillant. Beaucoup de personnes sont venues se recueillir, croyantes ou non-croyantes. Des musulmans, aussi. » Quand ils sont revenus pour la première fois, le père Parmentier et les siens ont prié, bien sûr. « On a demandé au Seigneur de nous donner la force... »
Les sirènes, le silence
Le matin du drame, Franklin Parmentier est chez lui, au presbytère. Comme à son habitude, il consulte son téléphone pour sonder l’actualité, inspirer sa prière. C’est l’alerte de Nice-Matin qui lui apprend la nouvelle.
« Il était 9 h 23 – je m’en souviendrai très longtemps. Vous aviez posté sur votre application numérique l’article disant qu’il y avait eu un attentat à Notre-Dame à 9 h 20... Et là, le temps s’est arrêté. »
Franklin Parmentier tente de joindre Vincent Loquès. Le sacristain ne répond pas, et pour cause. C’est Jean-François Gourdon, le trésorier de la paroisse, qui répond :
« C’est horrible, ce qui vient de se passer... » Le curé accourt. Perçoit les sirènes de police. Puis le silence assourdissant. « C’est tellement violent ! »
L’homme d’Église dit son sentiment d’impuissance. « On entend des coups de feu, les explosifs des policiers qui sécurisent les lieux, les vitraux qui explosent... Ensuite, on vous dit : “Il y a deux morts, une troisième personne est blessée”, puis “Il y a trois morts”, puis “Pourriez-vous nous décrire Vincent...” C’est une autre dimension. »
Il est 16 h, ce jeudi 29 octobre. Emmanuel Macron vient de quitter les lieux. Franklin Parmentier rentre chez lui. « J’ai pleuré, confie-til après une hésitation. On était tous extrêmement choqués. Heureusement qu’on n’était pas tout seuls... On avait besoin de se parler. De raconter une blague idiote. » Les séquelles d’un grave accident de voiture se réveillent en lui. Le curé éprouve alors « la même fatigue. Comme si on s’était pris un mur. »
L’avant-veille, à l’heure de l’attaque, il se trouvait dans l’église. Pourtant, le curé ne s’est pas projeté. Pas d’emblée du moins. «Les premiers jours, on a l’impression d’être dans un cauchemar dont on ne se réveille pas. On se dit : “Ce n’est pas possible. Quasiment décapiter quelqu’un, ce n’est pas humain” ».
Ce cauchemar ravive les souvenirs tragiques du diocèse de Nice, aussi. Les inondations de 2015 et 2019, l’attentat du 14 juillet 2016, la tempête Alex...
« On est touché par tout ça. Et là, on a été touché au coeur. C’était dans une église. » La paroisse a reçu des courriers du monde entier. « C’est précieux de ne pas se sentir seuls... » Franklin Parmentier l’assure : il ne ressent « pas de colère » envers le tueur. Mais « beaucoup d’incompréhension. Comment peut-on en arriver là ? Qu’y avait-il dans son coeur pour faire ça ? Ce jeune homme de 21 ans qui a fait ces gestes terribles reste un homme, enfant de Dieu... Ça reste mystérieux pour moi. »
« Je portais plus qu’une photo »
Même si le terroriste parle, le curé le sait : il n’aura jamais la réponse au « pourquoi ? » Il lui préfère la question du « comment ? Comment continuer à construire ma vie ? Comment porter ça ? Pour utiliser un vocabulaire chrétien, ce sont de lourdes croix... Et elles font mal. » Le 7 octobre, lors de l’hommage national, c’est un portrait qu’il a porté, avec son trésorier. Le portrait de Vincent Loquès. « Je l’ai fait pour Vincent. Je portais plus qu’une photo. » Chaque jour, il songe au sacristain. Et à ces deux paroissiennes tuées alors qu’elles étaient venues prier.
« C’est terrible pour l’Église de France. Ça nous rappelle que personne, aucun pays, n’est à l’abri du mal. » Pour le père Parmentier, ce premier Noël à la basilique de Nice aura un goût très particulier.
« Une dame qui pleurait beaucoup nous a dit : “Vous savez, Dieu pleure avec nous”. J’ai trouvé ça profondément vrai. Or Noël, c’est ça : la place de Dieu dans notre vie et dans le monde, alors qu’il y a du mal. » Certaines portes de fortune ont remplacé ses boiseries historiques, là où ont sauté les charges de la police. Mais Notre-Dame, vieille dame blessée, continuera à recevoir. Et à donner. « Donner un sourire, donner du temps. Une église est faite pour cela aussi : partager. »
Celle-ci est dédiée à la Vierge Marie. Une mère.
« Et comme toutes les mères, elle a de la tendresse quand ses enfants ont mal. »
‘‘ Comme si on s’était pris un mur”