Monaco-Matin

La famille de Simone et le curé témoignent

Franklin Parmentier venait d’être nommé curé à Nice quand le terroriste a frappé à la basilique. De son côté, la famille de Simone tente de se reconstrui­re. Ses soeurs et son neveu évoquent le souvenir d’un être cher

- CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

Simone, Vincent, Nadine. Les visages des trois victimes rayonnent dans la chapelle ardente, à la lueur des bougies, dans la basilique Notre-Dame-de-l’Assomption. Ce sont ces mêmes portraits qui ont été exposés pour l’hommage national, le  octobre à Nice. « Ça permet d’être face à eux. Surtout, ils ont tous le sourire... Quand on voit ces visages, ça apaise. »

L’apaisement. Voilà ce à quoi aspire l’église frappée par l’attentat islamiste du  octobre. Le père Franklin Parmentier y avait été nommé curé deux mois plus tôt. Il reste profondéme­nt bouleversé. Et en quête de réponses. « Certains ont pu se demander : “Pourquoi Dieu n’a-t-il rien fait pour empêcher cela ?” Mais nous, que faisons-nous pour qu’il y ait moins de mal dans le monde ? »

Dans la basilique, trois femmes se recueillen­t devant la chapelle ardente. L’une d’elles la fleurit avec une tendresse infinie. « C’est la soeur de Simone », glisse le père Parmentier.

Nous la laissons à son deuil pour suivre le curé dans son bureau. Il sait l’importance de ces moments, de ces silences. De ces fleurs, aussi.

« Dostoïevsk­i disait : “La beauté sauvera le monde”. Quand il y a eu une telle horreur, la réaction saine, c’est de remettre du beau. »

Des fleurs, il en a plu sur le parvis de la basilique, après l’attaque au couteau. « À tel point qu’on n’arrivait plus à passer ! », s’exclame Franklin Parmentier.

Après la sidération, la question s’est posée de rouvrir aussitôt au public cet édifice « blessé ». «Ilfallait que ce lieu vive, qu’il ne soit pas mort », estime le curé. Choix judicieux.

« Les services techniques et municipaux ont fait un très bon travail pour que cet endroit soit à nouveau accueillan­t. Beaucoup de personnes sont venues se recueillir, croyantes ou non-croyantes. Des musulmans, aussi. » Quand ils sont revenus pour la première fois, le père Parmentier et les siens ont prié, bien sûr. « On a demandé au Seigneur de nous donner la force... »

Les sirènes, le silence

Le matin du drame, Franklin Parmentier est chez lui, au presbytère. Comme à son habitude, il consulte son téléphone pour sonder l’actualité, inspirer sa prière. C’est l’alerte de Nice-Matin qui lui apprend la nouvelle.

« Il était 9 h 23 – je m’en souviendra­i très longtemps. Vous aviez posté sur votre applicatio­n numérique l’article disant qu’il y avait eu un attentat à Notre-Dame à 9 h 20... Et là, le temps s’est arrêté. »

Franklin Parmentier tente de joindre Vincent Loquès. Le sacristain ne répond pas, et pour cause. C’est Jean-François Gourdon, le trésorier de la paroisse, qui répond :

« C’est horrible, ce qui vient de se passer... » Le curé accourt. Perçoit les sirènes de police. Puis le silence assourdiss­ant. « C’est tellement violent ! »

L’homme d’Église dit son sentiment d’impuissanc­e. « On entend des coups de feu, les explosifs des policiers qui sécurisent les lieux, les vitraux qui explosent... Ensuite, on vous dit : “Il y a deux morts, une troisième personne est blessée”, puis “Il y a trois morts”, puis “Pourriez-vous nous décrire Vincent...” C’est une autre dimension. »

Il est 16 h, ce jeudi 29 octobre. Emmanuel Macron vient de quitter les lieux. Franklin Parmentier rentre chez lui. « J’ai pleuré, confie-til après une hésitation. On était tous extrêmemen­t choqués. Heureuseme­nt qu’on n’était pas tout seuls... On avait besoin de se parler. De raconter une blague idiote. » Les séquelles d’un grave accident de voiture se réveillent en lui. Le curé éprouve alors « la même fatigue. Comme si on s’était pris un mur. »

L’avant-veille, à l’heure de l’attaque, il se trouvait dans l’église. Pourtant, le curé ne s’est pas projeté. Pas d’emblée du moins. «Les premiers jours, on a l’impression d’être dans un cauchemar dont on ne se réveille pas. On se dit : “Ce n’est pas possible. Quasiment décapiter quelqu’un, ce n’est pas humain” ».

Ce cauchemar ravive les souvenirs tragiques du diocèse de Nice, aussi. Les inondation­s de 2015 et 2019, l’attentat du 14 juillet 2016, la tempête Alex...

« On est touché par tout ça. Et là, on a été touché au coeur. C’était dans une église. » La paroisse a reçu des courriers du monde entier. « C’est précieux de ne pas se sentir seuls... » Franklin Parmentier l’assure : il ne ressent « pas de colère » envers le tueur. Mais « beaucoup d’incompréhe­nsion. Comment peut-on en arriver là ? Qu’y avait-il dans son coeur pour faire ça ? Ce jeune homme de 21 ans qui a fait ces gestes terribles reste un homme, enfant de Dieu... Ça reste mystérieux pour moi. »

« Je portais plus qu’une photo »

Même si le terroriste parle, le curé le sait : il n’aura jamais la réponse au « pourquoi ? » Il lui préfère la question du « comment ? Comment continuer à construire ma vie ? Comment porter ça ? Pour utiliser un vocabulair­e chrétien, ce sont de lourdes croix... Et elles font mal. » Le 7 octobre, lors de l’hommage national, c’est un portrait qu’il a porté, avec son trésorier. Le portrait de Vincent Loquès. « Je l’ai fait pour Vincent. Je portais plus qu’une photo. » Chaque jour, il songe au sacristain. Et à ces deux paroissien­nes tuées alors qu’elles étaient venues prier.

« C’est terrible pour l’Église de France. Ça nous rappelle que personne, aucun pays, n’est à l’abri du mal. » Pour le père Parmentier, ce premier Noël à la basilique de Nice aura un goût très particulie­r.

« Une dame qui pleurait beaucoup nous a dit : “Vous savez, Dieu pleure avec nous”. J’ai trouvé ça profondéme­nt vrai. Or Noël, c’est ça : la place de Dieu dans notre vie et dans le monde, alors qu’il y a du mal. » Certaines portes de fortune ont remplacé ses boiseries historique­s, là où ont sauté les charges de la police. Mais Notre-Dame, vieille dame blessée, continuera à recevoir. Et à donner. « Donner un sourire, donner du temps. Une église est faite pour cela aussi : partager. »

Celle-ci est dédiée à la Vierge Marie. Une mère.

« Et comme toutes les mères, elle a de la tendresse quand ses enfants ont mal. »

‘‘ Comme si on s’était pris un mur”

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(Photo Cyril Dodergny) Franklin Parmentier,  ans, dans l’église qu’il a rejointe après la paroisse du Pays de Lérins.

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