Monaco-Matin

« Cet homme a trouvé une Simone en face de lui »

- PROPOS RECUEILLIS PAR THIBAUT PARAT tparat@nicematin.fr

C’est une famille brisée par le chagrin. Mais résolument soudée dans l’épreuve qu’elle traverse depuis près de deux mois. Ce 29 octobre à Nice, les Barreto Silva ont perdu un être cher : Simone, 44 ans, maman de trois enfants et aide à

(1) domicile. Une « âme solaire » ,aux dires de tous. Généreuse, aimante et tournée vers autrui. Elle ambitionna­it de devenir chef cuisinière. Une belle personne emportée par la folie meurtrière et barbare d’un terroriste, depuis peu mis en examen. Aux côtés de leur conseil Me Régis Bergonzi, bâtonnier de l’Ordre des avocats à Monaco qui a gracieusem­ent accepté de les assister judiciaire­ment, Barbara Maria et Solange, ses soeurs, et Marcos, son neveu, ont accepté d’évoquer le souvenir jovial de Simone, «Moni» ou « Tchoun » comme ils se plaisaient à la surnommer. Une cagnotte a aussi été créée pour venir en aide à la famille.

Tous les témoignage­s décrivent Simone comme une femme avec la joie de vivre chevillée au corps. C’est ce même portrait que vous retenez d’elle ?

Barbara : Oui, c’était une âme solaire. Une personne souriante, aimante, qui parlait à tout le monde et toujours prête à tendre la main, à donner à manger ou une pièce aux gens dans le besoin. Elle aimait danser, elle avait tout le temps la pêche. Dans les fêtes, elle entraînait dans sa joie ceux qui restaient assis. Ça, c’était Simone.

Solange : Avec notre associatio­n Brasuca Show, on a organisé des manifestat­ions culturelle­s à Nice : un marché brésilien, le festival Yemanja… Simone était la pièce centrale de tout cela. Elle ramenait le bonheur, n’était jamais stressée. Avec elle, on lâchait prise. À la maison, on pouvait passer toute une nuit à discuter, à regarder la télévision. Elle était la joie de vivre malgré ses difficulté­s pour élever seule ses enfants et aller travailler. Ça, quelqu’un nous l’a arraché. On a enlevé la vie d’une femme, d’une soeur, d’une maman. Pour rien.

Après son arrivée en France en , Simone a gardé toute sa vie ce lien viscéral avec le Brésil ?

Solange : (elle sourit) Un Brésilien ne perd jamais ce lien.

Barbara : Elle était très engagée pour une associatio­n dans le quartier défavorisé de Lobato à Salvador de Bahia. C’est là qu’elle est née. Elle voulait toujours aider. Vous savez Nice est un peu la deuxième Salvador de Bahia. Il y a la mer, le soleil, la Promenade, la joie, les couleurs, les touristes… À son arrivée, elle a vécu dans le Vieux Nice, à l’époque où celui-ci ne dormait jamais.

Simone laisse derrière elle une famille dévastée mais soudée dans l’épreuve. Pourquoi a-t-elle choisi Nice ?

Barbara : À l’époque, j’étais danseuse chorégraph­e et je travaillai­s dans un restaurant brésilien à Nice, le Oba Oba. Simone fut l’une des premières à venir travailler avec moi comme danseuse profession­nelle de danses folkloriqu­es brésilienn­es. Depuis, elle a gardé ces deux liens : la France et le Brésil.

Son autre grande passion était la cuisine. Quels étaient ses projets et rêves ?

Solange : Elle avait participé au projet « Des étoiles et des femmes » pour apprendre la cuisine française, avait réalisé des stages au Méridien, avait obtenu son CAP. Elle était si fière de faire quelque chose qu’elle aimait. Elle tenait une chaîne YouTube pour apprendre aux gens à faire des cocktails. Son projet était d’obtenir des fonds pour monter son propre restaurant sur les cuisines du monde.

Barbara : Et si elle repartait au Brésil, elle voulait mener un projet de bateau restaurant avec, en plus, une touche française et azuréenne. Elle faisait aussi du maquillage, de la décoration et des gâteaux pour les anniversai­res des enfants, elle faisait de la capoeira, était inscrite à une salle de gym. C’était une hyperactiv­e.

Comment avez-vous appris la terrible nouvelle ce jour-là ?

Barbara : La veille au soir, je l’avais eu une heure au téléphone. On s’appelait tous les jours. Ce matin-là, c’est Dieu ou ma sensibilit­é de soeur qui m’a avertie. J’ai essayé de l’appeler à plusieurs reprises. Sans succès. J’avais froid mais pourtant j’étais à côté du chauffage... À la télévision, j’ai vu qu’il y avait un attentat à la basilique Notre-Dame. Elle allait souvent à cette église. Elle ne répondait toujours pas. En fin d’après-midi, j’ai reçu un coup de fil anonyme : c’était la police. Quand je suis arrivée sur place, j’étais en pleurs. On m’a annoncé la mauvaise nouvelle. Celle qui a couru, c’était Simone. Ma soeur était décédée. J’avais senti en moi que quelque chose n’allait plus.

Ce matin-là, elle a réussi à s’échapper de l’église et à donner l’alerte…

Solange : C’est grâce à la capoeira qu’elle s’est échappée. Contre un couteau, elle a utilisé les armes qu’elle avait. Cet homme voulait achever tout le monde, un par un. Il a trouvé une Simone en face de lui. Elle s’est battue, s’est enfuie et a donné l’alerte. Au fast-food, elle leur a dit qu’il y avait un fou qui tuait des gens dans l’église. Elle a eu la force de dire ces mots.

Quel était son rapport à la foi ?

Solange : Partout où ils passent, les Brésiliens rentrent dans une église et allument une bougie. Marcos : Nous, les Brésiliens, sommes très croyants. On veut croire en un être supérieur, peu importe notre conviction religieuse. Simone avait repris l’habitude de prier après le confinemen­t.

Barbara : Elle avait la foi. Elle avait une vie de mère célibatair­e, avec trois enfants à charge, avec des difficulté­s chaque jour. Elle était passée à sa banque pour demander un crédit de   commencer sa vie profession­nelle. Il a été refusé… Elle était en colère de ne pas avoir leur confiance. Elle avait envie de s’en sortir. et

Et ses enfants ?

Solange : Il y a un peu de magie dans leur monde. C’est la force des enfants. Parfois, on aimerait être comme eux pour ne pas avoir de préoccupat­ions. Ce sera, peut-être, plus dur quand ils seront plus grands. Là, ils sont bien entourés, ne sont pas seuls. Ils trouvent du réconfort et des câlins dans les bras de leurs tantes, de leurs cousins. Parfois, bien sûr, ils sont pensifs. Ils ont subi un choc, ont perdu un cocon. On doit être forts pour eux, pour trouver un équilibre et leur donner cet amour qui, bien sûr, ne remplacera pas celui de leur maman. On parle avec eux. Ils sont aussi suivis par des spécialist­es.

‘‘ Je veux qu’il demande pardon”

‘‘ Mon psychologu­e sera l’Église”

Le jour de l’hommage, Toda menina baiana a résonné pour Simone sur la colline du château. Pourquoi ce choix ?

Solange : Cela veut dire que chaque fille bahianaise a un saint que Dieu lui donne. Peut-être que ce  octobre, Simone en avait un et qu’il lui a donné la force de sortir de cette église. Cette musique représente aussi le rythme, la joie, la fête. Cette chanson parle vraiment d’elle.

Qu’attendez-vous du procès ?

Barbara : La justice. Il doit s’expliquer. Quel Dieu lui a demandé de faire ça ? Je veux qu’il demande pardon aux enfants de Simone, à notre famille. Il a laissé des enfants orphelins. J’espère qu’il ne sortira plus de prison. Une personne comme celle-là ne mérite pas la liberté.

Qu’est-ce qui vous donne encore la force d’avancer ?

Barbara : Les prières. C’est la foi en Dieu qui me donne la force. Sans ça, je ne serais pas devant vous pour parler. Nous serions toujours dans la souffrance. Mon psychologu­e sera l’Église. J’ai envie de continuer avec le courage qu’a eu Simone. Pour elle, pour ses enfants, pour mes soeurs, pour la famille. Je n’arrêterai jamais de prier. 1. Les deux plus jeunes, 7 et 10 ans, sont désormais orphelins.

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(Photo C.D. et DR)
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