« Oser prendre la rue »

Ce n’est pas un seul, mais deux malentendus qu’il convient de dissiper à propos d’Ernest Pignon-Ernest. D’abord, la question de l’affiche. « Une affiche, c’est le contraire de ce que je fais. Une affiche a pour but d’annuler tout ce qu’il y a autour. Alors que mon travail n’existe que dans la relation avec ce qui l’entoure. » Ensuite, la virtuosité. Qui peut nuire gravement à la lecture de son oeuvre. Sa rétrospective au Mamac, en 2016, malgré un record de fréquentation, souffrait de cette limite. Hors les murs, ne reste « que » le trait, au préjudice de l’expérience. Un exemple : « On pense toujours qu’un dessin doit être vu frontalement. Ce n’est pas le cas dans la rue, où l’on chope toujours l’image de côté. » « Dans une exposition, je me fais fort de faire un dessin qui tienne le coup », résume-t-il sans s’encombrer de fausse modestie. «Enrevanche, quand on en pose un au bas d’un immeuble haut de vingtdeux mètres, avec des cariatides, des draps aux fenêtres et tout le bordel de la rue de Naples, si l’on veut que le dessin soit présent, il faut l’architecturer et le nourrir de ce lieu. Oser prendre la rue, c’est partager de l’espace, de l’histoire, du symbolique et du temps. » Rien à voir avec « un papillon épinglé sur un mur », comme peut l’être une oeuvre accrochée au musée. Affaire de contexte et d’interaction. Ce qui suppose une juste distance : trop imprégné de Nice pour s’y coller, trop éloigné de Bénarès ou de Pékin pour s’y risquer. Sous peine de « folklore ». JR ne s’y est pas trompé, qui parle de ce précurseur comme d’une véritable influence. Lorsque le Président Hollande s’est rendu dans l’autre atelier de Pignon-Ernest à Ivry, à l’occasion d’une commande pour le Panthéon, la visite s’est achevée chez le jeune coréalisateur avec Agnès Varda de Visages, villages. JR, projets géants, grand talent. Ce qui n’est pas la règle, selon Régis Debray : « Les gens du street art font de la rue une galerie, Ernest en fait une oeuvre d’art. » Ce que l’intéressé n’est pas loin d’appliquer à Banksy, dont les interventions seraient « une expression du système plutôt que sa remise en cause ».