Monaco-Matin

 : meilleurs voeux de François la Malice !

Au début de l’année 1297, le 8 janvier exactement, un soldat déguisé en moine s’empare du château de Monaco et installe la dynastie Grimaldi sur le Rocher

- Textes : André PEYREGNE Photos : DR

Tout le monde connaît, sur la place du Palais princier de Monaco, la statue du moine qui s’avance, barbu, courbé, le visage caché sous un capuchon.

Ce personnage est celui qui, le 8 janvier 1297, s’empara par ruse du château de Monaco. On l’a appelé Francesco Malizia. Extraordin­aire façon de commencer l’année ! Meilleurs voeux de François-la-Malice ! Il installa ainsi la dynastie des Grimaldi à Monaco. Voici l’histoire.

Une fortificat­ion datant du XIIe siècle

On a beau être sur la Côte d’Azur, il fait froid, il pleut, en cette nuit du 8 au 9 janvier 1297. Un moine en robe de bure, dissimulé sous un capuchon, chaussé de solides souliers – contrairem­ent aux moines franciscai­ns qui vont pieds nus dans des sandales – gravit le chemin escarpé qui monte sur le Rocher vers la forteresse de Monaco.

En bas, dans l’obscurité, la mer attaque la falaise en un incessant bruit de houle. Au sommet du Rocher s’étend un plateau pierreux sur lequel se dresse la forteresse surmontée de quatre tours.

Cette fortificat­ion date du début du XIIe siècle. À cette époque régnait l’empereur romain germanique Henri VI. Celui-ci accorda à la ville de Gênes une souveraine­té sur Monaco. La puissance des Génois, à l’époque, éblouissai­t le monde. Banquiers prospères dotés d’une flotte puissante, ils rayonnaien­t jusqu’à Constantin­ople, en Perse, en Crimée, en Orient. Mais Gênes était agitée de querelles entre les Gibelins,

partisans de l’Empereur, et les Guelfes, partisans du Pape. La constructi­on de la forteresse de Monaco remonte à l’année 1215 où un détachemen­t de Gibelins s’installa sur le Rocher, contrôlant ainsi la région.

« Je suis un pauvre moine égaré »

Une robuste porte de bois se dresse au milieu de l’enceinte. Toc, toc, toc. Le moine frappe. Qui est là ? La porte s’entrouvre, dans la nuit. Le garde de service questionne l’arrivant.

« Je suis un pauvre moine égaré qui demande asile pour la nuit, répond celui-ci, d’une voix hésitante. J’ai fait une longue route pour venir jusqu’ici. J’ai froid, j’ai faim. En ce début d’année, mon frère, prends pitié de moi. Dieu te rendra ta bonté, mon frère... »

La porte s’ouvre largement, le moine s’introduit, humble, toujours protégé par son capuchon. Il fait un signe de croix, bénit ses hôtes.

Dans le corps de garde, il voit face à lui trois hommes dont celui qui lui a ouvert la porte. Les deux autres, ivres, somnolent. Ce n’est pas cette garde qui va l’effrayer !

Sous sa robe, le moine sort une épée, la brandit face au trois hommes, la manie gaillardem­ent. A la flamme de la bougie, la lame étincelle. Les gardes, surpris, prennent peur. Le moine les écarte et se précipite vers la porte. Ayant ouvert les lourds battants, il lance un appel dans la nuit et fait surgir de l’ombre une nuée de complices qui étaient dissimulés le long des murailles. Tous s’engouffren­t dans le château. La garnison, réveillée en sursaut, a mal à se défendre. Au bout de la nuit, le faux moine et ses hommes ont conquis la forteresse.

Descendant de Grimaldo

Francesco Grimaldi est désormais le maître des lieux. Il vient d’installer les Grimaldi sur Monaco.

Le faux moine s’appelle en effet Francesco Grimaldi – François en français. Il est en le fils de Guglielmo Grimaldi, descendant d’ Otto Canella, consul de Gênes en 1133. C’est à l’époque de celuici que la famille Grimaldi apparut dans l’histoire de Gênes. Otto Canella avait trois fils, Bellamuto, Otto, et Grimaldo. Le dernier, Grimaldo, érigea son prénom en nom de famille. La famille devint alors Grimaldi. Les Grimaldi furent avec les Fieschi, les Doria et les Spinola l’une des quatre familles régnantes sur Gênes. Les Grimaldi et les Fieschi faisaient partie des Guelfes (partisans du pape), les Doria et les Spinola des Gibelins (attachés à l’empereur du Saint Empire). C’est lorsque les Gibelins chassèrent les Guelfes de Gênes à la fin du XIIIe siècle que Francesco Grimaldi décida de conquérir d’autres territoire­s et de prendre ce lieu stratégiqu­e de la côte méditerran­éenne qu’était la forteresse de Monaco.

Au matin du 9 janvier 1297, François-la-Malice a ôté sa robe de bure. Sa ruse a réussi. Il est fier de lui. Monaco ne signifie-t-il pas « moine » en italien ?

Rainier er, premier souverain

Mais ce n’est pas lui, Francesco Grimaldi, qui va régner. Il va installer à la tête de ce territoire (qu’on n’appelle pas encore Principaut­é) le fils de sa nouvelle femme, Aurelia del Carretto. Le fils s’appelle Rainier. Il a une vingtaine d’années. Vêtu de la cotte de mailles des guerriers de l’époque, portant par-dessus une chemise ornée de losanges rouges et blancs, il restera dans l’histoire comme Rainier 1er de Monaco. Ces losanges blancs et rouges orneront désormais le blason de Monaco. Les armoiries de la Principaut­é seront constituée­s de ce blason entouré d’un double hommage à Francesco Malizia : deux moines chevelus et barbus, portant chacun une épée. Au-dessus d’eux cette devise : « Deo Juvante » (« Avec l'aide de Dieu »). Sans cette aide divine, en effet – ou plutôt cette complicité – le Rocher de Monaco n’aurait pas été conquis.

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(DR) La statue de Francesco Grimaldi déguisé en moine, sur la place du Palais princier.

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