Caillassages, incendies : au coeur d’un sous tension
Nice-Matin a pu embarquer avec le commandant de la compagnie de gendarmerie de Nice. Reportage au coeur d’une soirée de guérilla urbaine à distance, sans affrontements directs
Le choc nous a tous surpris. Le pavé est venu s’écraser sur le toit de la Peugeot 2008 banalisée de la gendarmerie. Un bruit sourd, impressionnant. Il est 23 h 20 dans la montée mal éclairée du quartier des Vignasses à La Trinité. Le commandant de compagnie ordonne de quitter le secteur. Seul, l’équipage de deux personnes avec lequel je suis embarqué reste vulnérable. Romain Vezin envoie immédiatement plusieurs patrouilles, dont le Peloton de surveillance et d’intervention (Psig). Quelques minutes plus tôt notre véhicule avait planqué là après une coursepoursuite infructueuse dans le parking d’Auchan La Trinité. Un gymkhana entre les piliers pour retrouver deux présumés incendiaires. Est-ce eux qui nous ont caillassés ? Douze personnes ont été interpellées hier à Nice, de nombreuses autres dans le département.
Un 31 qui sent la poudre
Couvre-feu, tensions sociales, économiques, réveillon de la Saint-Sylvestre : cette soirée du 31 sentait la poudre. Le commandant Romain Vezin, saint-cyrien de 31 ans, originaire de la région bordelaise et nommé début octobre, gère l’impressionnant dispositif de la compagnie de Nice avec autorité et décontraction. Il vaut mieux. Dès 22 heures, la tension monte d’un cran. Dans le quartier de l’Ariane, que nous sillonnons, des carcasses de voitures fumantes jonchent les carrefours. Police et gendarmerie croisent des camions de pompiers appelés en dix endroits au même moment. Une ambiance guérilla urbaine saisissante. Dans les Alpes-Maritimes, près de 25 véhicules ont été incendiés. Les sapeurs-pompiers sont intervenus pour près de 111 feux de détritus. Rien que sur la ville de Nice, près de 45 feux de poubelles ont été recensés et 17 voitures mises à feu. Nous n’avons pas été les seuls à avoir été caillassés. Des équipages de police et de gendarmerie l’ont été à Nice, Drap ou à l’ouest du département. Un policier a été blessé à Cannes. Quatre engins de soldats du feu de la caserne de Bon Voyage à Nice ont été pris pour cible, sans faire de blessés. Des dépôts de plainte du Service départemental d’incendie et de secours (Sdis) sont en cours.
Les gendarmes que j’accompagne – qui ont laissé leurs familles à la maison – sont rodés à ces soirées sous tension.
Une guérilla urbaine
Le contact épais du gilet pare-balles et le casque – le même équipement que les gendarmes – me rassurent. Ça pue le traquenard à plein nez. Les auteurs pratiquent le harcèlement urbain. A notre arrivée, des ombres masquées, encapuchonnées, s’évanouissent en un clin d’oeil dans les entrées d’immeuble. À minuit pétante, nous sommes dans le quartier du Manoir, aux confins de l’Ariane. Quelques « Allah akbar » isolés ont fusé. Mais les habitants de ces quartiers ne sont en rien responsables de la poignée de délinquants qui pourrissent leur quotidien. Les familles lancent d’enthousiastes « Bonne année ». Des milliers de feux d’artifice embrasent le ciel. Au coeur de ce son et lumière, le Psig Sabre, une unité d’intervention spécialisée, a pris position, lourdement armé. Face à nous, un barrage constitué de planches, de fauteuils et bornes de chantier a été dressé sur la route. Les militaires s’y engagent, essuient des tirs de mortier. Un seul de ces pétards peut arracher une main, voire pire. Le Psig dégage la route. Dans cette soirée folle, la gendarmerie départementale, commandée par le colonel Nasser Boualam, a aussi dressé 60 procès-verbaux pour non-respect du couvre-feu et contrôlé l’alcoolémie.
Vers deux heures du matin, la pluie finira par doucher les dernières velléités. Ce harcèlement des « voyous » du 31, selon ses mots, a fait réagir le député des Alpes-Maritimes, Eric Ciotti, sur Twitter.
« Des ennemis de la République », pour Anthony Borré, premier adjoint de Nice, qui a annoncé des procédures pour expulser les auteurs.