La semaine de Claude Weill
Dimanche
Dans un appel commun, les dix anciens ministres américains de la Défense, tant républicains que démocrates, adjurent l’armée et le Pentagone de rester en dehors de la bataille de la transition.
En clair : de ne pas prêter la main à un coup d’État militaire. Impensable dans le passé, une telle initiative dit tout du climat d’incertitude qui règne à Washington, à trois jours de la réunion du Congrès où sera proclamée l’élection de Joe Biden.
Jusqu’où ira Trump ?
Que doit-on redouter de ce président battu, emmuré dans le déni comme il s’est enfermé dans la Maison-Blanche, où il passe sa journée à tweeter compulsivement, accusant encore et encore Biden d’avoir volé la victoire, dénonçant comme « traîtres » ses alliés d’hier, relayant sans filtre les théories complotistes les plus délirantes. À ses partisans, il a donné rendez-vous à Washington le janvier.
« It’s gonna be wild », a-t-il prévenu. Ça va être sauvage…
Lundi
À l’Hôtel-Dieu, où les soignants de plus de ans peuvent désormais se faire vacciner contre la Covid-, c’est l’engouement. Dès que le gouvernement, mis sous pression par le procès en lenteur et l’humiliante comparaison avec l’Allemagne, a ouvert la porte à ce deuxième canal de vaccination, l’AP-HP s’est engouffrée. Le mouvement se prouve en marchant. Trompées par les sondages, qui montraient les Français plus sceptiques ou interrogatifs que vraiment hostiles, et aussi lestées de cette pesanteur bureaucratique dont nous avons le secret, les autorités ont sans doute surestimé les résistances. Et sous-estimé l’envie de vaccin de nombreux Français : l’envie d’aller vite afin de retrouver une vie normale.
Mardi
Fini l’éloge de la lenteur. « Accélérer, amplifier, simplifier », tel est le nouveau mot d’ordre. Autant que les mesures annoncées par Olivier Véran – début de la vaccination des plus de ans avant la fin du mois, ouverture de centres de vaccination, etc. - le changement de ton et d’état d’esprit est frappant. On est passé d’une stratégie frileuse, indexée sur la supposée méfiance de l’opinion, à une stratégie de la confiance et de la dynamique. Reste à délivrer. Et à s’en donner les moyens. Le pays doit se considérer en état d’urgence vaccinale. Chaque jour compte. La menace d’une troisième vague est là. Le Royaume-Uni, où l’épidémie flambe, propagée par une nouvelle variante du virus, décrète un confinement total. C’est ce qu’il faut à tout prix éviter.
« Ce n’est pas une course contre la montre », déclarait Gérard Larcher, début décembre quand lui aussi plaidait (majorité et opposition à l’unisson) pour une stratégie des petits pas.
Eh bien si, justement ! Chaque personne vaccinée est une personne bientôt protégée. Et un pas vers la sortie de la crise.
Mercredi
Tout le monde savait que ça pouvait dégénérer. Mais ce qui s’est passé là, cette horde disparate et braillarde bousculant un service d’ordre manifestement (ou étrangement ?) sous-calibré et envahissant le Parlement pour empêcher la proclamation de l’élection du nouveau président, cela on n’avait pas osé l’imaginer. Un spectacle digne d’une république bananière, dira George Bush Jr.
Cela tenait de la bouffonnerie et du coup d’État. Un coup d’État conçu par des canards sans tête et qui a lamentablement échoué. Mais qui a quand même fait cinq morts. Des blessés par dizaines. Humilié la première puissance et plus ancienne démocratie au monde. Et conclu par une pitoyable tragicomédie le mandat de Donald J. Trump. Tout ça est son oeuvre. C‘est lui qui ameuté ses supporters, flattant sans vergogne les fractions les plus fanatiques, QAnon, « Proud boys » et autres suprématistes blancs, les a électrisés par ses mensonges et ses outrances, et finalement lancés à l’assaut du Capitole, dans un discours logorrhéique et décousu où le verbe «tofight» , combattre, reviendra plus de vingt fois. Il aura à en rendre compte. Toutes les hypothèses sont sur la table. Politiques : on évoque la procédure d’impeachment (destitution), ou l’activation du e amendement, qui permet d’écarter un président incapable d’exercer sa fonction. Ou pénale :
« l’incitation à l’insurrection » est un crime fédéral passible de dix ans de prison.
Mais l’affaire va au-delà du droit. La trumperie du janvier laissera dans l’histoire une trace indélébile, car elle touche à quelque chose qui pour la majorité des Américains est de l’ordre du sacré. Le temple de la démocratie a été profané. La sacrosainte séparation des pouvoirs bafouée. Le serment présidentiel violé par celui qui a juré sur la Bible de « défendre la Constitution ».
« Fini l’éloge de la lenteur. “Accélérer, amplifier, simplifier”, tel est le nouveau mot d’ordre »
Jeudi
Par voix contre , Joe Biden est élu e président des ÉtatsUnis. L’annonce en est faite d’une voix impavide par le vice-président Pence. Celui que Trump a essayé de convaincre par tous les moyens, menace comprise, de trahir son devoir constitutionnel.
Et qui n’a pas failli.
« Vous n’avez pas gagné, lance-t-il à l’adresse des émeutiers.
La violence ne gagne jamais. »
Ça ressemble à une happy end .La démocratie américaine a triomphé.
Musique ! Mais en a-t-elle fini avec les forces qui la minent ?
Un pays clivé comme jamais. Une rupture radicale, rageuse, entre une partie des milieux populaires et le « système » politique.
Une question raciale toujours à vif. Des médias mis au pilori.
Des réseaux sociaux dont le tardif ravalement moral ne peut faire oublier combien ils ont contribué à la dégradation du débat public. Voilà l’Amérique dont hérite Joe Biden. Ça ne vous rappelle rien ?