Monaco-Matin

EN EAUX TROUBLES

La Covid-19 traquée dans les eaux usées Un outil de surveillan­ce de l’épidémie

- THIBAUT PARAT tparat@nicematin.fr

Au croisement des avenues de la Quarantain­e et du Port, une discrète porte grise cadenassée mène aux égouts du pays. Descendant une volée d’escaliers, deux égoutiers de la Direction de l’Aménagemen­t urbain (DAU) pénètrent dans un labyrinthe souterrain, où s’entremêlen­t près de 50 kilomètres de réseaux d’assainisse­ment. L’odeur, bien sûr, y est prégnante et l’humidité saisissant­e. Les deux hommes – équipés d’un masque FFP2 et d’une visière, de bottes et gants longs, et d’une lampe torche vissée sur le casque – tendent une perche pour récolter quelques centilitre­s d’un liquide trouble. Depuis le 12 octobre, dans la foulée des deux pays voisins, les services du gouverneme­nt princier traquent, dans les eaux usées, la présence de la Covid-19, ou plus précisémen­t de l’ARNm viral. « Certains de nos voisins, notamment en Italie du Nord, ont expériment­é ce dispositif et ont pu déterminer qu’il y avait des traces de virus, non contaminan­tes et inactives. Ils ont considéré que c’était un indicateur intéressan­t », justifie Didier Gamerdinge­r, conseiller de gouverneme­nt - ministre des Affaires Sociales et de la Santé.

Onze points de collecte

Chaque lundi matin, la collecte s’opère sur onze points disséminés dans le pays (1), pour un meilleur quadrillag­e du terrain. Un échantillo­n, donc, représente potentiell­ement plusieurs milliers de personnes. « On ne réalise pas les prélèvemen­ts pendant ou après de gros événements pluvieux, car les eaux usées seraient diluées dans les eaux pluviales. On peut dépasser les 100 000 m3 de volume d’eau journalier, contre 15 000 m3 en temps sec. Cela altérerait le résultat des analyses », explique Laurent Tallarida, technicien territoria­l chef à la section assainisse­ment de la DAU.

Une fois conditionn­és dans une glacière à 4°C, les échantillo­ns partent au laboratoir­e Eurofins au Danemark. Pour quantifier la présence du virus, les scientifiq­ues ont recours à une technique d’analyse dite « RT-PCR ». La même qui est utilisée après un prélèvemen­t nasopharyn­gé (test PCR). « En laboratoir­e, le virus est amplifié. Plus le nombre de cycles est faible, plus la quantité du virus est élevée, et inversemen­t proportion­nel », détaille Sophie Dumolin, chef de section à la Direction de l’action sanitaire.

Corrélatio­n entre eaux usées et taux d’incidence

Que retirer concrèteme­nt de ces analyses, dont les résultats reviennent à Monaco 4 à 5 jours après le prélèvemen­t ? En France, dans le cadre du projet « Obépine » – pour

Observatoi­re épidémiolo­gique dans les eaux usées – des chercheurs avaient démontré une corrélatio­n entre la présence du virus dans ces eaux troubles et le nombre de cas de Covid-19. Même constat à Monaco. « Nous avons pu corréler la présence du virus dans les eaux usées avec le taux d’incidence [nombre de tests positifs pour 100 000 habitants, N.D.L.R.] à Monaco (2). Ce sont les mêmes courbes. Pendant les fêtes, il y a eu un accroissem­ent sensible de la présence du virus dans les eaux usées. En ce moment, on observe un effet plateau, que l’on n’observe toutefois pas au niveau des prélèvemen­ts des tests PCR et antigéniqu­es », nous confiait, ce vendredi, Didier Gamerdinge­r.

Alors, est-ce utile pour anticiper un éventuel rebond épidémique et, de fait, affiner la stratégie sanitaire ? Pas forcément. « On est encore dans le domaine de la recherche. On a, à peine, douze semaines de recul, commente le Dr Eric Voiglio, médecin inspecteur de Santé publique. On espérait pouvoir trouver une certaine anticipati­on mais, pour l’instant, cela ne semble pas être le cas et ces analyses du SARS-CoV-2 dans les eaux usées ne sont pas déterminan­tes dans la stratégie sanitaire de la Principaut­é. C’est plutôt un outil de surveillan­ce de l’épidémie complément­aire de la surveillan­ce médicale. La politique tester-tracer-isoler étant particuliè­rement performant­e en Principaut­é, nous avons déjà une connaissan­ce précoce du taux d’incidence. » À noter, enfin, qu’il semble difficile de savoir si le virus circule plus activement dans un quartier qu’un autre. Car le réseau absorbe, aussi, l’intégralit­é des eaux usées de Beausoleil.

(1) Croisement Rainier-III/Rue Bosio ; Rond-point de l’avenue des Moulins et avenue de la Madone ; Église des Carmes ; Avenue Princesse Grace à deux endroits distincts ; bassin d’orage de Wurhemberg ; station de prétraitem­ent :arrivées de Monaco-Ville, de Fontvieill­e et du boulevard Albert-Ier ; station de Fontvieill­e ; boulevard d’Italie.

(2) Pour la semaine du 4 au 10 janvier, celui-ci est de 386,84. À titre de comparaiso­n, celui de Nice est à 387,8 (Santé publique France).

Mais Monaco a testé 12 326 personnes pour 100 000 habitants contre 4314 pour Nice.

 ??  ??
 ?? (Photos Cyril Dodergny) ?? Après les prélèvemen­ts en onze points souterrain­s de Monaco, les échantillo­ns partent au Danemark, dans une glacière à °C, pour être analysés.
(Photos Cyril Dodergny) Après les prélèvemen­ts en onze points souterrain­s de Monaco, les échantillo­ns partent au Danemark, dans une glacière à °C, pour être analysés.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Monaco