Monaco-Matin

Pour en finir avec l’irrationne­l et le complot

Idées reçues, rumeurs et thèses complotist­es circulent encore plus vite que le virus. Le professeur Marquette du CHU de rappelle que jamais la science n’avait progressé aussi vite sur une maladie si complexe

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

Chef du service de pneumologi­e du CHU de Nice, le Pr Charles-Hugo Marquette a lui-même été contaminé le mois dernier. Il s’inquiète surtout des conséquenc­es du virus sur des patients parfois jeunes, sans comorbidit­é ni maladie sous-jacente. Ne pas baisser la garde, chacun est potentiell­ement exposé.

Comment avez-vous contracté le virus ?

Je l’ai contracté il y a six semaines, en prélevant un patient qui, malheureus­ement, a eu une salve d’éternuemen­ts au moment du test. Mon masque était mal ajusté. J’étais fatigué, c’était un samedi en fin de matinée. Et quand on est fatigué, on baisse parfois la garde.

Il suffit d’une minute.

À quoi a ressemblé « votre » Covid ?

J’ai eu la chance de faire une forme de bénigne et de reprendre le travail au huitième jour. Mais mon épouse, contaminée à mon contact, a été sur les genoux pendant un mois. Il n’y a pas d’égalité devant le risque. Pour ma part, les symptômes se sont limités à de la fièvre, une fatigue majeure et une sensation de froid, même en portant deux pulls et quatre teeshirts.

Qui meurt de la Covid ?

La mortalité concerne moins d’une personne infectée sur  . Pour donner un ordre de grandeur, nous avons  décès par jour en France. Aux ÉtatsUnis, plus de  . D’ici à la fin du mois de janvier, nous aurons franchi le cap des   morts dans notre pays. Il faut tordre le cou à une idée selon laquelle on mourrait « avec la Covid » et non pas à cause d’elle. Cela ne correspond pas à la réalité. Quand on contracte le virus, on peut mourir en quelques jours ou quelques semaines à ,  ou  ans alors que tout allait bien, alors que l’on menait une vie profession­nelle riche ou une retraite paisible. Ce n’est donc pas l’affection qui tue des gens en bout de course.

Pourquoi certains patients gardent-ils des séquelles ?

On parle actuelleme­nt de « longs Covid », ce qui est une source de handicap prolongé. On sait depuis très longtemps que, indépendam­ment de la

Covid, quand on passe six semaines en réanimatio­n, on sort avec des séquelles. Séquelles musculaire­s, respiratoi­res, essentiell­ement. On récupère tout ou partie en trois à six mois. Il existe même des centres de réhabilita­tion destinés à remettre sur pied des patients souffrant du syndrome post-réanimatio­n. De ce point de vue, la Covid n’a rien de spécifique. Sauf que la durée de respiratio­n artificiel­le est approximat­ivement le double de ce qu’elle est dans un syndrome de détresse respiratoi­re habituel. Or, plus on passe de temps en réanimatio­n, plus il en faut, ensuite, pour récupérer. Cette particular­ité de la Covid explique la tension sur les lits de réanimatio­n : une fois que les patients y sont, c’est pour longtemps. On parle ici de formes graves. Ce qui est nouveau et assez perturbant, c’est que les formes bénignes, celles qui permettent de rester à la maison, entraînent aussi des séquelles fréquentes.

Des conséquenc­es pour des formes bénignes ?

Ce peut être un état de fatigue majeure qui dure. Par exemple, un chef d’entreprise qui a repris le travail au bout de sept jours mais en devant s’arrêter chaque après-midi pour une sieste. Parfois sans même pouvoir tenir jusqu’à la fin de la matinée. Il y a aussi des troubles de l’attention. Je pense à cet enseignant, incapable de se concentrer, de lire ou de préparer ses cours pendant un mois. Un commerçant m’a dit que c’était comme s’il avait fait dix grippes d’un coup. Troisième type de séquelle : l’essoufflem­ent. Qui peut toucher des sportifs entre  et  ans qui, parfois, consultent trois à six mois après avoir développé une forme bénigne. Quand on fait le bilan, on se rend compte que le problème n’est pas lié à une destructio­n des poumons, mais qu’une anomalie des microvaiss­eaux pulmonaire­s est probableme­nt en cause. Enfin, quelque chose qui me tracasse beaucoup : des atteintes neurologiq­ues ou articulair­es. Des gens ne sont plus capables de conduire parce qu’ils n’arrivent plus à lever le pied pour appuyer sur la pédale de frein. Je pense aussi à ce chirurgien qui ne peut plus opérer, faute de pouvoir manipuler les instrument­s. La

De jeunes patients souffrent de séquelles. Fatigue majeure, troubles de l’attention, essoufflem­ent, atteintes neurologiq­ues ou articulair­es…

fréquence des séquelles est telle que cela doit dépasser le simple déclenchem­ent d’une maladie sous-jacente. Et nous parlons ici de patients âgés de  à  ans.

Le vaccin suscite des réactions irrationne­lles. Les mêmes qui accusent la France d’être en retard sont parfois hostiles…

Rumeurs et complotism­e n’apparaisse­nt pas quand tout va bien. Le climat d’anxiété que nous subissons y est propice. Par ailleurs, les attitudes irrationne­lles sont inversemen­t proportion­nelles aux connaissan­ces scientifiq­ues des individus. Et l’on ne peut pas en vouloir à la population générale de ne pas s’y connaître en immunologi­e. Si l’on avait sorti ce vaccin dans un contexte plus paisible, tout le monde aurait crié au miracle. Les vaccins ARN n’ont rien de nouveau, cela fait quinze ans que l’on travaille sur le sujet. Et là, en neuf mois, on a réussi à en fabriquer plusieurs qui fonctionne­nt sur le même principe, avec une efficacité majeure et un taux d’effets secondaire­s infime. Alors, certains veulent prendre du recul. Soit, mais quand on a le dos au grand vide, prendre du recul, cela comporte un certain risque.

Le développem­ent rapide de ces vaccins n’alimente-t-il pas le soupçon ?

D’abord, on n’est pas parti de rien. Les vaccins ont été mis en applicatio­n en neuf mois, ce qui est différent. Ce qui prend  % du temps dans le développem­ent d’un vaccin, c’est de réussir à inclure les patients dans les études. Pour un vaccin habituel, c’est   patients, pas plus. Ici, on parle de  fois,  fois plus. La rapidité tient à plusieurs facteurs : la recette était écrite depuis longtemps, on a pu recruter extrêmemen­t vite, le délai pour mesurer était ultracourt et enfin, les États ont consacré énormément d’argent à ces recherches.

Les plus sceptiques disent que le vaccin contre l’hépatite B a provoqué des cas de sclérose en plaques. Que répondre ?

Cela a été suspecté, mais des études ont été menées, qui ont montré que ce n’était pas vrai. Seulement, cette histoire a marqué la population. Parce que les gens que l’on a vaccinés contre l’hépatite B étaient jeunes, et parce que la sclérose en plaques, précisémen­t, touche principale­ment des jeunes gens. Il est clairement démontré aujourd’hui qu’il n’y a pas de lien de cause à effet.

Comment rassurer sur le rapport risque/bénéfice ?

C’est très simple. Le risque d’avoir un effet secondaire du vaccin, c’est  sur  . Risquer de se faire renverser par une voiture dans l’année, c’est  sur  . Il faut donc remettre les choses à leur juste place. Si l’on a peur, il faut rester chez soi. Sortir de son lit le matin comporte un gros risque.

Les plus réticents parlent de querelles d’experts.

Connaît-on un seul sujet sur lequel les citoyens font consensus ? Cela n’existe pas. Pourquoi, sur la Covid, n’y auraitil pas dissonance ? Cela étant dit, les connaissan­ces sur le virus s’acquièrent progressiv­ement et l’on n’a jamais avancé aussi vite sur une maladie aussi complexe. Les médecins apprennent à toute vitesse. J’indique aussi que les voix discordant­es, si elles sont très minoritair­es, sont surtout mises en exergue par les médias. Enfin, j’ai vu autour de moi des médecins modifier leur point de vue. Moi-même, je dis aujourd’hui des choses que je n’aurais certaineme­nt pas dites il y a six mois.

Que sera une campagne de vaccinatio­n bien menée ?

Je ne suis pas un expert dans ce domaine. Je dis juste que dans les Alpes-Maritimes, nos autorités politiques organisent les choses, et rapidement. Nous faisons partie des privilégié­s. À l’inverse, nous faisons partie des plus touchés avec une incidence à  pour   dans la Métropole de Nice. Avec plus de  pour   chez les / ans. Près de  % des lits de réanimatio­n étant occupés par la Covid. Plus de   vaccinés par semaine, c’est donc une chance.

Ne pas baisser la garde ?

Ne pas baisser la garde, et comprendre la nécessité absolue d’un isolement strict pour un patient diagnostiq­ué positif, même en l’absence de symptômes. Pendant sept jours, ce qui n’est pas si long. Comme dans le cas d’une grippe, finalement. C’est un enjeu de santé publique. La période est tendue, nous augmentons encore le nombre de lits en réanimatio­n, la recrudesce­nce d’après les fêtes est déjà mesurable.

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(Photo Eric Ottino)

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