Et Aubrey Beardsley suscita l’intérêt du musée d’Orsay
Une grande exposition devait être consacrée à l’illustrateur britannique mort à Menton en 1898. Alors que celle-ci a été contrainte à fermer au public, retour sur la vie d’un ponte de l’Art nouveau
Comme la carrière d’Aubrey Beardsley lui-même, l’exposition du musée d’Orsay consacrée à l’illustrateur britannique aura tout eu d’un météore. Au bout de quatorze jours seulement, la rétrospective a en effet dû fermer ses portes. Précipitamment. Contexte sanitaire oblige. Étrange symbole quand on sait qu’Aubrey Beardsley – diagnostiqué tuberculeux à 7 ans – aura marqué les esprits en à peine 25 années d’existence. Sa réputation « s’est construite grâce à une nouvelle technique de reproduction photomécanique des images en noir et blanc : le cliché au trait sur zinc. Un procédé réalisé de manière photographique à partir d’un dessin original », rappelle-t-on dans la plaquette de l’exposition parisienne avortée.
Venu à Menton pour soigner sa tuberculose
Semblable en tout point à la rétrospective proposée quelques mois auparavant (en partenariat avec Orsay) à la Tate Britain de Londres, celle-ci s’attachait à présenter les oeuvres du jeune prodige par ordre chronologique.
Des débuts très précoces aux oeuvres inachevées à Menton, où Aubrey Beardsley est enterré. Pourquoi la perle de la France, qu’il considère « jolie et pas du tout ennuyeuse » ? Pour la simple raison que sous l’impulsion du docteur Bennet, nombreux furent les malades à y affluer pour soigner leur tuberculose. À la période où l’artiste séjourne à l’hôtel Cosmopolitain, trente de ses compatriotes s’y trouvent, ainsi, également. Passé par Dieppe et Paris, Beardsley
aimait par ailleurs la France, pays qu’il associait au peintre Watteau et aux écrivains Molière, Sade, Balzac, Sand, Gautier, Zola, Flaubert, ou Huysmans. Car, dépourvu d’éducation académique, le jeune illustrateur n’en était pas moins connu pour sa grande culture littéraire.
Pas de vraies études d’art
C’est Edward Burne-Jones, un maître du préraphaélisme – mouvement remettant au goût du jour l’influence des primitifs italiens – qui incita Beardsley à poursuivre dans la voie des arts. « Je ne conseille que très rarement, voire jamais, d’être artiste de métier. Mais dans ton cas, je ne peux faire autrement », aurait-il déclaré à celui que l’on présente aujourd’hui encore comme un dandy. Comme un décadent (1), aussi, même s’il refusait cette étiquette – bien que plusieurs aspects de son art collent à la notion fondatrice de déclin de la société. Certains de ses contemporains établissaient d’ailleurs un lien entre son extrême fragilité et ses idées morbides. Il faut dire que le jeune homme mettait le paquet en la matière. N’hésitant pas non plus à se montrer sulfureux. Un article du Monde, publié en 1968, mettait ce penchant en perspective. « Aubrey Beardsley, son oeuvre, sa vie, sont les symboles de la jeunesse révoltée contre un monde sénile et sans promesses », résumait le quotidien, rappelant combien l’illustrateur véhiculait anticonformisme et provocation en pleine ère victorienne, marquée par un puritanisme à toute épreuve. Sa notoriété, Aubrey Beardsley la gagnera après avoir réalisé plusieurs
‘‘ Symbole de la jeunesse révoltée ”
couvertures pour The Studio, un nouveau magazine dédié aux beaux-arts et aux arts appliqués. Découle de ces contributions un article élogieux de l’écrivain et graveur Joseph Pennell, pour qui son art est « aussi remarquable dans sa réalisation que dans son invention ». Les commandes ne tardent pas, dès lors, à se multiplier. De même que les collaborations avec des grands noms de l’époque tels qu’Oscar Wilde, Théophile Gautier ou Alexander Pope. L’exposition accordait aussi une place de choix à sa série d’illustrations burlesques de la comédie grecque Lysistrata, où les femmes athéniennes et spartiates font la grève du sexe pour pousser les hommes à cesser le combat.
« Mon cher ami, Je vous supplie de détruire toutes les copies de Lysistrata (...) et tous les dessins obscènes », écrivit-il – devenu pieu au crépuscule de sa vie – à son éditeur Leornard Smithers. Spécialisé dans la pornographie, celui-ci n’en fera évidemment rien. Sans forcément savoir qu’il participait ainsi à l’éclosion d’une légende protéiforme ayant profondément transformé l’art de l’illustration.
(1) Le décadentisme est un courant littéraire qui s’est développé en France à la fin du XIXe siècle. Décrit par Huysmans comme « la désespérance teintée d’humour et volontiers provocatrice ».