Tende à l’heure d’hiver : la neige entre plaisir et galère
Trois mois et demi après la tempête Alex, les habitants de la haute Roya doivent s’adapter aux conditions climatiques qui compliquent encore leur quotidien, mais font la joie des enfants
Ils ont fait des miracles en refaisant la route. C’est magnifique ! On demande toujours plus, on voudrait que ça aille plus vite... Mais personne n’a de baguette magique. » Avec son manteau rouge vif, son éternel accent italien et ses 90 ans qu’elle porte élégamment, Jeanine Beltrando contemple les événements avec un regard sage. «Jesuis d’un caractère optimiste. Même en temps de guerre, je chantais toujours... » À Tende, la retraitée traverse le passage à gué qui a remplacé le pont du Bourg-Neuf. Elle scrute l’emplacement où son garage et sa « jolie cour » ont été emportés par la tempête Alex. Elle s’inquiète pour la maison sinistrée de son voisin. Alors bon, ce n’est pas la guerre. Mais « il n’y a pas de comparaison : c’est plus compliqué maintenant ».
Trois mois et demi après la tempête, la Roya vit à l’heure d’hiver, dans sa vie d’après. Depuis Noël, la haute vallée s’est parée d’un somptueux manteau blanc. Il s’est réduit ces derniers jours avec le redoux, très relatif ici. La neige, bénédiction pour les montagnards, complication pour les villageois. « Mais si on n’en voulait pas, il ne fallait pas habiter en montagne ! »
Cacher les stigmates
Jean-Christophe Cassio, 43 ans, relativise. Il regarde d’un oeil attendri sa fille et son fils, respectivement 8 et 5 ans, lancer des boules de neige à Erra, leur berger blanc suisse qui les attrape joyeusement au vol. «Les enfants sont contents d’avoir de la neige, même s’ils ne peuvent pas aller faire du ski à Limone. » Pour les adultes, en revanche, « c’est une contrainte en plus ».
À l’école de Tende, la directrice Nathalie Rocchia confirme ce regard ambivalent. « La neige a fait du bien aux enfants. Mais nos intervenants extérieurs n’osent plus venir, car ils ne sont pas équipés. » Pourtant, jusqu’ici, la piste aménagée sur la RD 6204 a bien tenu le choc. Le retour du train français, lui, vient d’être reporté d’au moins deux mois. Un autre effet collatéral de la tempête (lire ci-dessous et nos deux dernières éditions). Depuis le 2 octobre, l’école a perdu 30 de ses 90 élèves. Dont 16 jeunes demandeurs d’asile. Mais Shaeli garde le sourire. Ce Sud-Africain de 39 ans est venu déposer ses deux enfants avec son vélo à remorque – son « pick-up » comme il l’appelle. Certes, la vie quotidienne reste « compliquée. Mais la neige, ça fait vraiment plaisir. Elle a recouvert les dégâts ».
« Envie de se battre »
À Tende comme dans les gorges de Paganin, l’hiver a semé un voile pudique sur les stigmates d’Alex. Mais l’avenir de la vallée se joue dans les têtes. Dans la capacité de résilience des montagnards. Derrière son stand de galettes des rois, Audrey Ferrari, employée de la Boulangerie des Merveilles, perçoit un moral « mitigé. Une partie des gens est démoralisée. Mais la plupart a envie de se battre ». Jean-Christophe Cassio est de ceux-là. Ce double papa, gérant de Flor’ Roya, a renoué avec un bon niveau d’activité, malgré les difficultés d’acheminement. «Le moral, ça va. La route va bien. On avance ! » Un coup d’oeil à ses enfants s’amusant à jongler avec la neige. Jean-Christophe glisse dans un sourire : «Ce sont eux qui nous donnent le moral. »