Monaco-Matin

Thomas Mann exilé dans le Var

En butte avec l’Allemagne nazie, le prix Nobel se réfugie sur la Côte d’Azur avec sa famille. À Sanary, où il restera quelque temps, il se lance dans la trilogie de l’histoire de Joseph.

- NATHALIE BRUN nbrun@matin.fr

En 1933, le chancelier Adolf Hitler lance une « action contre l’esprit non allemand » et organise des persécutio­ns systématiq­ues contre les auteurs juifs, communiste­s ou pacifistes. Le 10 mai, devant l’opéra de Berlin et dans une vingtaine d’autres villes, des dizaines de milliers de livres sont publiqueme­nt jetés au bûcher.

L’écrivain Thomas Mann, qui a reçu le Prix Nobel de littératur­e en 1929, a pris les devants : il a dans un premier temps rejoint la Suisse avec sa famille, avant de mettre le cap sur la Côte d’Azur et de se fixer quelques mois à Sanary, où de nombreux intellectu­els allemands se sont également réfugiés pour tenter d’échapper à la fureur du régime.

1933, un été de cendres

C’est avec pour sinistre toile de fond ces autodafés de 1933, que l’auteur de La Montagne magique, qui est à l’époque une célébrité mondiale, fait une dernière apparition publique lors d’une conférence donnée à Monaco cette

Sanary, « capitale mondiale de la littératur­e allemande »

année-là. Début mai, alors que ses livres et tant d’autres sont jetés aux flammes, Thomas, sa femme Katia, qui est d’origine juive, et leurs enfants cherchent péniblemen­t un logis. La famille est grande : trois filles et trois garçons, nés entre 1905 et 1919. Klaus et Erika ont aussi embrassé une carrière d’écrivain, Golo sera historien et Michael, le benjamin, musicien.

Arrivés au Lavandou par le train de nuit, ils passent quelques jours à l’hôtel Les Roches fleuries ,au bord de la baie dont le cadre idyllique met un peu de baume au coeur des fugitifs qui y retrouvent quelques compatriot­es. « C’est beau ici, la mer devant nos portes de balcon se précipite sur les rochers. Les chambres sont raffinées et agréables », note l’écrivain qui « y dort assez bien », et qui relit Guerre et Paix de Tolstoï sur la terrasse, en profitant du soleil dans une chaise longue. Le biographe viennois EmilAlphon­s Rheinhardt vient prendre le thé. Mais le séjour sera bref : le couple prend le chemin de Bandol où il s’installe au Grand Hôtel, avant d’emménager dans une confortabl­e villa à Sanary, petit port typique, affectionn­é des peintres, où une partie de l’intelligen­tsia allemande a trouvé asile.

Avec humour, le journalist­e Ludwig Marcuse, qui s’est expatrié lui aussi dans ce village, lui décerne le titre de « Capitale mondiale de la littératur­e allemande ». Le chercheur aixois JeanPierre

Guindon a ainsi dénombré plusieurs centaines d’opposants allemands et autrichien­s gravitant autour de cette capitale secrète qui voit passer Bertolt Brecht, Lion Feuchtwang­er, Bruno Franck, Franz Hessel, René Schickele, Wilhelm Herzog…

Communauté solidaire

Entre bains de mer, lectures, conciliabu­les et balades, la communauté se serre les coudes et se retrouve sur le port, au Café de la Marine ou au Nautique. Nombre d’entre eux vivent dans la plus grande précarité. Mann qui est le plus connu fera son possible pour les aider.

La famille habite la villa Le Tranquille, sur le chemin qui mène à la superbe pointe du Bau-Rouge. La bâtisse et son beau jardin deviendron­t l’un des pôles de convergenc­e de la communauté. C’est là que le prix Nobel de littératur­e recevra un envoyé spécial du New York Times pour lui dire son dégoût envers les autorités du Reich. C’est là aussi qu’il entame sa fameuse trilogie sur la vie de Joseph et de ses frères. Mais cette parenthèse varoise sera relativeme­nt brève. Les Mann reprennent le chemin de la Suisse. Thomas Mann est déchu de la nationalit­é allemande en 1936, et part pour les USA en 1938, tandis que l’étau se resserre après l’annexion de l’Autriche et la conférence de Munich. Il ne retournera en Europe qu’à partir de 1949.

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 ??  ?? Un été en famille, entre Le Lavandou et Sanary.
Un été en famille, entre Le Lavandou et Sanary.
 ??  ?? À la plage, en 1933.
À la plage, en 1933.
 ??  ?? Aux Roches, au Lavandou.
Aux Roches, au Lavandou.

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