La semaine de Claude Weill
Mardi
Dès les premières lignes de Don Quichotte, nous présentant son improbable héros, Cervantès décrit jour par jour son régime alimentaire, jusqu’au samedi, jour de duelos y quebrantos, qui est un plat d’oeufs au lard typique de la Mancha. Mais au pied de la lettre, il s’agit aussi de « deuils et privations » ; l’expression donnera lieu à une multitude d’interprétations : que Cervantès cherche-t-il à nous dire par là ? Dans l’Espagne du XVIe siècle, la question de l’alimentation est cruciale : elle signe l’appartenance. Dis-moi ce que tu manges (donc en compagnie de qui tu manges) et je te dirai qui tu es. Vieux ou nouveau chrétien, juif converti (marrane), morisque…
On pense à cela en voyant l’empoignade déclenchée par la décision du maire de Lyon d’instaurer dans les cantines scolaires et jusqu’à Pâques un menu unique sans viande. Drôle de carême… Protestations de parents. Colère des éleveurs et des bouchers. Mobilisation des opposants. Les nutritionnistes s’en mêlent. Le gouvernement se divise : Intérieur et Agriculture côté viande ; Environnement et Santé côté maigre. Officiellement, la mesure est temporaire et liée à la situation sanitaire. Mais chacun devine qu’il y a autre chose derrière : un choix politique. Pour les écologistes, réduire la consommation de viande est un objectif en soi : c’est bon pour notre santé, bon pour les animaux, bon pour la planète. Le patron d’EELV ira jusqu’à invoquer la laïcité. Entendez : qui dit pas de viande dit pas de problème d’interdits alimentaires. Et là, il touche le nerf de la question identitaire.
Ce qui étonne ici, c’est que les verts s’étonnent des proportions prises par l’affaire. Qu’ils ne mesurent pas ce qui est en jeu quand nous choisissons ce que nous mangeons et ce que nous donnons à manger à nos enfants : la viande, qu’on soit pour ou contre, est un puissant marqueur culturel.
C’est aussi, pour beaucoup, le plat noble par excellence : la viande pour tous, une conquête sociale. Imprudence de militants sûrs de leur cause qui ne réalisent pas qu’en décidant en lieu et place des parents de ce qui est bon pour leurs petits, ils endossent le rôle que leur assignent leurs adversaires : celui de militants dogmatiques, qui prétendraient rééduquer le peuple pour le conduire vers la vérité. Et s’arroger le droit de lui infliger, pour son bien évidemment, « deuils et privations ».
Mercredi
Émerveillement devant de documentaire de France Nous paysans. Cinq millions de téléspectateurs ont suivi cette plongée dans notre passé commun, si lointain et si proche : la matrice de notre oublieuse France moderne. Succès mérité. On est subjugué par la richesse et la qualité des images, la finesse du commentaire. Enchanté, ému, de reconnaître ces hommes et ces femmes comme nous retrouvons nos aïeuls en feuilletant l’album de famille.
Privilège de l’âge, j’ai connu ce monde-là, dans ma Haute-Loire natale. Les vies de labeur sans
trêve ni repos, les vieillards tout cassés au regard perdu, les femmes usées trop tôt, les fermes sans chauffage ni eau courante, le travail des enfants, les aléas climatiques, les récoltes toujours menacées… Les fêtes aussi, parenthèses enchantées. Tout le monde devrait voir ce film. Pour en finir avec les sornettes du « c’était mieux avant » et autres balivernes d’agronomes du dimanche, nostalgiques d’un paradis agreste qui n’a jamais existé, qui voudraient abolir le progrès pour revenir aux techniques d’antan, sans chimie, ni mécanique. Qu’ils y aillent donc !
Jeudi
C’est l’histoire de A, Tchétchène de nationalité russe, qui a obtenu le statut de réfugié en . Après quatre condamnations pénales, dont une pour apologie de terrorisme prononcée en par le tribunal correctionnel de Nice, il se voit retirer son statut par l’OFPRA en . Cette décision ayant été annulée par la Cour nationale du droit d’asile, l’affaire vient devant le Conseil d’État. Lequel désavoue l’OFPRA et maintient la qualité de réfugié de A. Juridiquement, la décision du Conseil d’État est évidemment impeccable. Il ne pouvait pas juger autrement. La loi étant ce qu’elle est, la condamnation de n’entre pas dans les cas permettant de mettre fin à un statut de réfugié.
En ce cas, il faut changer la loi. Serait-ce trop demander que ceux qui ont reçu asile en France y respectent les lois et n’alimentent pas la menace terroriste ?
Samedi
Il paraît que La Poste veut supprimer le timbre rouge pour les lettres prioritaires. C’est drôle, j’aurais plutôt supprimé le timbre vert pour lettres qui musardent. Jadis - au XXe siècle -, il y avait un tarif unique. Un courrier mettait un ou deux jours pour traverser la France. Dans les années quatrevingt-dix, on a créé le tarif écopli, puis en le vert. Moins cher. Plus écolo. Plus lent.
Est-ce la concurrence du net ? Le prix abusif du rouge (, euro, soit centimes de plus) ? Toujours est-il que les Français l’ont peu à peu délaissé : le vert a chassé le rouge. Alors, comme les temps sont durs pour tous, Poste comprise, et que nous écrivons de moins en moins, l’idée est venue de liquider la filière rapide. Étrange effet du progrès, tout de même, qui fait qu’en trente ans, en dépit des formidables avancées de la technologie, l’ex service « normal » soit devenu un service VIP et bientôt mis au rebut.
« Serait-ce trop demander que ceux qui ont reçu asile en France y respectent les lois. »