Monaco-Matin

« C’est un espoir de se dire que la justice passe »

Un ravisseur condamné à mort, les accompagna­teurs acquittés et la justice enfin rendue pour Hervé Gourdel. Sa veuve, Françoise Grandclaud­e, évoque l’épilogue judiciaire de ce drame à l’écho planétaire

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

Elle est partie se ressourcer quelques jours dans la nature. Loin des caméras, loin des souvenirs douloureux, loin d’Alger et du tribunal criminel de Dar El Beïda. Le 18 février, son verdict a conclu six années et demie d’attentes trop longtemps déçues pour les proches d’Hervé Gourdel. Au premier chef sa veuve, Françoise Grandclaud­e. Abdelmalek Hamzaoui a été condamné à la peine de mort. Il était le seul ravisseur présent, sept autres étant jugés par contumace. Six prévenus, dont cinq accompagna­teurs, ont été acquittés. Ce verdict signe un épilogue judiciaire. La fin d’une affaire qui aura glacé d’effroi le monde entier.

Le 24 septembre 2014, le groupuscul­e djihadiste Jund al Khilafa (« Les soldats du califat ») annonçait la décapitati­on d’Hervé Gourdel. Ce Niçois de 55 ans, guide de haute montagne à Saint-Martin-Vésubie, sera l’une des premières victimes françaises de l’idéologie mortifère de Daesh. Depuis, Françoise Grandclaud­e s’est toujours montrée digne et discrète. De retour d’Algérie, elle a accepté de livrer à Nice-Matin son ressenti. Pour honorer la mémoire d’Hervé. Et distiller un message d’espoir aux victimes du terrorisme.

Quel sentiment prédomine après le procès ?

Le soulagemen­t que ce procès ait eu lieu, le  février. Le , il avait été renvoyé en raison de l’état de santé de l’accusé. La juge avait décidé qu’il serait jugé, présent ou pas. On a apprécié.

Comment avez-vous vécu ces deux audiences ?

C’était très éprouvant, stressant. La seconde était un peu mieux organisée. Lors de la première, nous étions à trois mètres de l’accusé principal. On trouvait ça assez incroyable ! Je l’ai regardé avec insistance. Mais à aucun moment il n’a eu un regard vers nous. Ni un mot d’excuse ou de regret.

Il a nié les faits, mais vous avez relevé des contradict­ions dans sa défense. Lesquelles ?

Ce n’était pas très clair. Il a mené les forces de police et l’armée là où Hervé avait été enterré. Mais il disait qu’il n’y était pour rien, que cet endroit était connu. J’y suis allée, moi. Or ce n’est pas du tout facile à trouver !

Il est totalement revenu sur ses aveux initiaux. Il a nié en bloc. Mais il n’a pu justifier ce qu’il a fait dans le maquis, entre  et . Il répétait qu’il n’était pas dans ce groupe, alors qu’il a été reconnu par les accompagna­teurs et d’autres terroriste­s.

La peine capitale lui a été infligée. Cela vous inspire quoi ?

En tant que citoyenne française, c’est un choc !

Chez nous, la peine de mort est abolie depuis bientôt quarante ans. Cette personne est détestable, pas digne de vivre en société, toujours en proie à la même idéologie mortifère. Mais quand on vous dit que quelqu’un va mourir, c’est un choc. Ses parents étaient dans la salle... En Algérie, il y a un moratoire sur la peine de mort, depuis  et les années noires. Maintenant, la justice est passée, et il va rester en prison pour une très longue peine.

Ce procès vous a-t-il permis de mieux comprendre les circonstan­ces du rapt ?

Oui, ça nous a éclairés. C’était un rapt d’opportunit­é. [Hervé et ses accompagna­teurs] ont croisé un premier groupe. Ces sentinelle­s leur ont demandé s’ils croyaient en Dieu. Elles ont prévenu un autre groupe, qui les a repérés. Ensuite, ils ont hésité sur ce qu’ils pourraient faire [de ces otages]. C’était l’occasion pour eux de frapper un grand coup, de se donner de l’importance.

Qu’avez-vous pensé de l’attitude des accompagna­teurs ?

Nous avons été soulagés qu’ils soient acquittés.

À la lumière des actes d’accusation, des témoignage­s, on pensait qu’ils n’y étaient pour rien. Le fait de ne pas avoir signalé l’hébergemen­t d’un étranger relevait de la négligence. Ensuite, ils ont été retenus une bonne partie de la nuit dans une voiture. Quand ils ont réalisé que leurs gardes étaient partis, ils sont partis aussi et ils ont signalé l’enlèvement d’Hervé à la gendarmeri­e la plus proche. Un des accompagna­teurs a quand même eu une Kalachniko­v sur la tempe durant le rapt... Et il y avait un FrancoAlgé­rien dans l’équipe. Cela fait sept ans qu’il n’a pu rentrer voir sa famille.

Avez-vous eu l’occasion de vous exprimer ?

J’ai juste pris la parole pour contrer l’accusé, quand il a dit que l’endroit était facile à trouver. J’avais l’intention de faire une déclaratio­n. Je voulais expliquer qu’Hervé, c’était un grand manque pour beaucoup de gens, sa famille, ses amis.

Que c’était quelqu’un de simple, de tolérant.

Je n’ai pas eu l’occasion d’exprimer tout ce que je souhaitais. Cela va très vite. Et c’est une langue étrangère, même si la justice algérienne avait mis une traductric­e à notre dispositio­n.

C’était néanmoins important d’être là, avec votre fils et votre frère ?

Bien sûr. C’était important que les juges nous voient. Et que l’accusé nous voie.

Vous avez affronté ces épreuves judiciaire­s par respect pour la mémoire d’Hervé ?

Oui. C’est pour lui qu’on était là-bas.

Après tant d’attentes déçues, ce procès était presque inespéré. C’est un espoir pour les autres victimes du terrorisme ?

Oui. C’est un espoir de se dire que la justice, parfois considérée comme imparfaite, passe. Ces processus peuvent être très longs. Mais l’Algérie est un pays souverain et sa justice indépendan­te. J’adresse mes remercieme­nts à l’ambassade de France, au magistrat de liaison, au centre de crise du Quai d’Orsay, à l’ambassade d’Algérie à Paris, aux consulats de Lyon et de Nice, à la Fenvac... Et à nos deux avocats algériens, Me Benarabia et Me Ouali, qui nous ont défendus gracieusem­ent. Cela leur tenait vraiment à coeur. Ils ont été énormément touchés par ce qui est arrivé à Hervé. Me Ouali a luimême été victime du terrorisme et torturé en Algérie.

Ce procès va permettre à votre famille de faire enfin votre deuil ?

Je ne sais pas si on fait véritablem­ent son deuil... Mais pour notre famille, c’est une étape. Erwann [le fils d’Hervé] va passer la sélection pour devenir guide de haute montagne...

Vous avez acquis de l’expérience pour épauler les autres victimes du terrorisme, au sein de la Fenvac ?

J’avais un peu aidé à l’accueil des victimes juste après le

Quand on vous dit que quelqu’un va mourir, c’est un choc”

C’était important que l’accusé nous voie”

-Juillet. Je suis déléguée territoria­le de la Fenvac. C’est un peu compliqué, mais on essaie d’agir dans le sens de l’aide des victimes, en dialoguant avec elles, en assistant à des réunions...

L’associatio­n HervéGourd­el a beaucoup fait depuis sa création en , de la lutte contre le handicap à l’aide aux entreprise­s sinistrées par la tempête Alex. Est-ce la meilleure des réponses à l’obscuranti­sme ?

Oui. Faire venir les personnes en situation de handicap à la montagne, la faire vivre au travers du festival Images & montagnes, c’était important symbolique­ment. Et tout ce qui a été fait depuis le  octobre, pour les petites entreprise­s ou les agriculteu­rs qui ont perdu leur matériel, c’est juste incroyable !

Quelle image souhaiteri­ezvous que l’on conserve d’Hervé ?

C’était quelqu’un qui aimait la montagne. Qui avait envie de la partager. Qui avait cette capacité à se faire apprécier de tous. Qui était encore capable de s’émouvoir, de prendre des photos, d’admirer la nature. Quelqu’un de très ouvert qui ne méritait pas ça... même si personne ne mérite ça.

 ?? (Photo Barbara Lecomte) ?? Vivre simplement. Partager la nature, la photo, un sourire. C’était Hervé.
(Photo Barbara Lecomte) Vivre simplement. Partager la nature, la photo, un sourire. C’était Hervé.

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