Monaco-Matin

14 mars 1458 : lutte de pouvoir entre la régente de Monaco et son futur gendre

De cette époque date la devise de la Principaut­é « Deo Juvante » (« Par la grâce de Dieu »)

- ANDRÉ PEYREGNE

14 mars 1458. Une guerre de pouvoir éclate entre la régente de Monaco au doux nom de Pomelline et son futur gendre, Lambert. Futur gendre en effet : la fille à marier, Claudine, n’a pour le moment que 6 ans !

Pour comprendre tout cela, remontons dans l’histoire de Monaco au Moyen Âge. Le premier souverain Rainier Ier, appartenan­t à la famille Grimaldi, a régné de 1297 à 1301. À cette époque, on ne parle pas de « prince » mais de « seigneur ». Ensuite se sont succédé, de manière alternée, des souverains issus de la famille Grimaldi et de représenta­nts de la République de Gênes. (Voir encadré).

De 1395 à 1454 se trouvait sur le trône Jean 1er. Lorsqu’il mourut, son fils Catalan prit le pouvoir. Celui-ci décède au bout de trois ans. Il ne laisse qu’une fille, Claudine, qui a 6 ans. Or, Jean 1er. avait institué le principe qu’en cas d’absence d’héritier mâle, la seigneurie pourrait être transmise à une femme à condition que celle-ci épouse un homme adoptant le nom de Grimaldi.

Catalan ayant été prévoyant avait désigné comme futur mari de sa fille quelqu’un qui portait déjà le nom de Grimaldi : Lambert Grimaldi, frère du seigneur Grimaldi d’Antibes. L’ennui est qu’il avait plus de trente ans de plus qu’elle !

Vu la jeunesse de Claudine à la mort de son père, c’est sa grand-mère, Pomelline (épouse de Catalan), qui devient régente. Elle a 69 ans, fait partie de la famille génoise des Fregoso – laquelle n’est pas forcément amie des Grimaldi !

Pomelline, Lambert : la guerre du pouvoir

Les choses vont se compliquer. Lambert étant destiné à devenir seigneur de Monaco après son mariage avec Claudine se dit qu’il n’y a pas de raison d’attendre et qu’il peut bien régner dès maintenant. Il s’installe donc sur le Rocher. Et voilà deux souverains à Monaco : la régente et son futur gendre.

Le 20 octobre 1457, en jurant sur la Bible, ils acceptent publiqueme­nt de partager le pouvoir. Mais, en privé ils ne l’entendent pas de la même oreille. Pomelline veut le pouvoir pour elle seule.

Elle va ourdir un complot. (1) Pour ce faire, elle s’associe au seigneur de Beuil, Pierre Grimaldi, en lui promettant de donner à son fils la main de sa fille Claudine ! Le 14 mars 1458, des hommes en armes débarquent dans le port de Monaco. La mission est claire : se débarrasse­r de Lambert. Pomelline suit, dans l’ombre, l’évolution des opérations.

Un messager arrive, tout essoufflé :

« - Vous l’avez eu, interroge Pomelline ?

- Non, Madame, il nous a échappé !

- Vous êtes des incapables ! Qu’allons nous devenir ? » Lambert, en effet, a miraculeus­ement échappé à ses assaillant­s. Il avait constitué autour de lui une armée hétéroclit­e comprenant des hommes de toutes sortes, dont certains peu recommanda­bles comme des bandits, des brigands, des voleurs. Tous s’enferment dans la forteresse. Les gens de Pomelline essaient en vain de la prendre d’assaut. Au bout de deux jours, Lambert est déclaré vainqueur. Les Monégasque­s lui font allégeance.

Dans son ouvrage Histoire de Monaco, Thomas Fouilleron, directeur des archives princières de Monaco, présente cet étonnant serment du peuple monégasque : « En l’an de la nativité

1458, jeudi, à environ l’heure des tierces, le 16 du mois de mars, que tous les hommes actuels et ceux à venir sachent… qu’ils ont fait et présenté, de leur bon gré, au noble seigneur Lambert de Grimaldi leur hommage perpétuel ainsi que le serment de juste fidélité, la tête découverte, les genoux fléchis avec un baiser de paix, et ayant tous leur main sur le saint missel et les saints Evangiles de Dieu ». Lambert, pour sa part, remercie Dieu de l’avoir aidé dans cette entreprise et invente la devise qui est toujours celle de Monaco : « Deo Juvante » (« Par la grâce de Dieu »). Pomelline a perdu. Elle est obligée de s’exiler. Où cela ? A… Menton ! Elle ne s’avoue pas vaincue. Sollicitan­t à nouveau le seigneur de Beuil, elle s’allie également à son voisin Honoré Lascaris, le comte de Tende. Le 30 janvier 1460, des mercenaire­s se lancent à nouveau à l’assaut de la forteresse monégasque. Sans succès.

Pomelline est à nouveau défaite. Mais le renoncemen­t n’est pas dans sa nature. En février 1466, elle fomente une rébellion des Mentonnais, irrités par l’augmentati­on des impôts. Ils s’allient aux gens de Roquebrune. Lambert, inquiet, fait appel au duc de Milan Francesco Sforza. Menton est assiégée et capitule le 29 mai. L’année suivante, les hommes de Pomelline essaient à nouveau de reprendre Menton. Sans succès. Ils sont repoussés par les Sforza. Lambert décide donc de mettre Menton sous l’autorité du duc de Milan.

Dans ces conditions, Pomelline ne peut plus rester à Menton. Elle n’a plus qu’une solution. Se réfugier… à Monaco !

C’est là qu’elle mourra en 1468 à l’âge de 80 ans. Dix ans de luttes pour gagner un pouvoir qu’elle n’a jamais obtenu !

Le pouvoir, Lambert l’aura définitive­ment – d’autant qu’entre-temps, il s’est marié à Claudine, en 1465, lorsqu’elle avait… 14 ans. Il restera sur le trône jusqu’à sa mort en 1494. Le pouvoir passera alors à son fils Jean II, lequel sera assassiné par son frère Lucien.

Mais cela est une autre histoire…

1. Lire les Plus belles heures de Monaco de Philippe Delorme.

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(Photos DR) Rainier er., premier seigneur de Monaco.
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