Monaco-Matin

« Au nom de la dignité de la personne »

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Du messie cosmoplané­taire du Mandarom, Gilbert Bourdin, à l’Ordre du Temple solaire et ses deux meneurs, Luc Jouret et Joseph Di Mambro, en passant par les gourous plus actuels que sont Antonio Mercuri, ou Jean-Jacques Crevecoeur, les sectes tracent leur route à coups de serpe dans la fragilité et la crédulité humaines. Au sein du diocèse de Nice, le père Félix Baudoin connaît par coeur ces phénomènes d’endoctrine­ment. Et pour cause, voilà 40 ans qu’il s’y intéresse et qu’il s’efforce, avec ses moyens et son expérience, d’enrayer leurs mécanismes...

Comment, au sein de l’Église, devient-on un spécialist­e de l’emprise sectaire ?

En fait, je m’y intéressai­s déjà lorsque j’étais jeune aumônier scolaire. Par la suite, les évêques successifs m’ont sollicité pour écouter les gens, les conseiller et voir comment ce phénomène parvient à cheminer. Le fait que certains aillent chercher une vérité dans les associatio­ns et pas dans les Églises chrétienne­s, peut interpelle­r ces dernières.

Concrèteme­nt, comment exercez-vous votre mission ?

Je réponds à des demandes, souvent par téléphone. Les personnes s’adressent à l’Évêché de Nice qui me les renvoie. J’ai donc cet échange oral, mais on me demande parfois aussi de la documentat­ion. Par ailleurs, j’interviens pour des exposés dans des paroisses, des aumôneries scolaires. J’ai rencontré par exemple tous les

Au sein du diocèse de Nice, le père Félix Baudoin s’intéresse aux dérives sectaires depuis plusieurs décennies.

élèves de troisième à Stan de Nice.

Des jeunes qui sont des cibles faciles pour les mouvements sectaires ?

Oui. Ils sont attirés par ce qui est tout nouveau, tout beau, par la démangeais­on de la nouveauté comme le disait Saint Paul. Ils sont ignorants des dangers et fréquenten­t beaucoup les réseaux sociaux. Les sectes, c’est un peu comme les accidents de la route : on pense que ça n’arrive qu’aux autres. Mais tout le monde peut être concerné et plus on est informé, plus on est à l’abri.

Dans les Alpes-Maritimes, les problémati­ques sectaires vous semblent-elles plus nombreuses qu’autrefois ?

Pas vraiment. C’est relativeme­nt stable. Il y a toujours les grands groupes, ceux qui s’inspirent de la Bible avec une lecture fondamenta­liste déformée, comme les Témoins de Jéhovah que l’on voit un peu moins à cause de l’épidémie mais qui restent actifs par lettres et messages, et les Mormons. Ensuite, il existe une mouvance ésotérique, gnostique : en payant très cher, on peut adhérer à une vérité qui sauve par elle-même. On trouve aussi la Scientolog­ie, toujours bien implantée mais qui stagne ; les groupes venus d’Orient qui attirent par leur côté mystérieux ; et les groupes guérisseur­s qui prétendent guérir le mal par une thérapie à base de crudités ou la prière et l’imposition des mains, cela en se détournant de la médecine classique avec le danger potentiel de la mort du patient.

Quelles sont les personnes qui viennent vous trouver ?

Je vois un peu tous les profils. Peu de jeunes, plutôt des gens âgés et plutôt des femmes. Certains sont peu cultivés, craintifs et superstiti­eux. Ils viennent me voir parce qu’ils ont un problème. On leur a conseillé par exemple, d’aller consulter un gourou et ils veulent savoir si cela en vaut la peine. D’autres sont déjà en danger : ils se sont ruinés pour un exorcisme alors que l’Église les pratique gratuiteme­nt.

Les exorcismes, c’est courant ?

C’est variable. Actuelleme­nt, c’est assez calme. Je fais partie d’un staff qui reçoit des gens dans le cadre d’un premier entretien pour les écouter longuement. Cela leur fait du bien et les apaise. On peut aller ensuite jusqu’à un petit exorcisme mais c’est très rare. On a plus souvent affaire à un problème psychologi­que qu’à une possession démoniaque. Mais éventuelle­ment, on dirige la personne vers un exorciste officiel, à Nice ou à Laghet.

Pensez-vous que l’on va assez loin dans la lutte contre ces dérives sectaires ?

On peut faire mieux, c’est sûr. Il y a une grande tolérance. Prenez le cas de la Scientolog­ie. Elle a eu droit à un procès à Lyon, à Marseille, à Paris. Or, le juge a le droit de dissoudre une associatio­n dès lors que deux condamnati­ons ont été prononcées, mais elle est toujours là.

Alors on vous dit qu’on la suit, qu’on la surveille.

Le fait est que la France est avant tout le pays des libertés dans la limite de la laïcité, le pays de la libre expression des familles spirituell­es. Donc, on ne supprime pas, sauf quand ça tombe sous le coup de la loi, c’est-à-dire en cas d’atteinte à l’intégrité physique, d’embrigadem­ent des enfants, de discours antisocial, etc. La préoccupat­ion du gouverneme­nt aujourd’hui, c’est surtout le djihadisme radical, le reste l’intéresse moins.

À  ans, pourquoi poursuivez­vous ce combat ?

Il faut le mener pour aider les gens à trouver un sens à leur existence, pour qu’ils puissent s’épanouir dans l’équilibre. Vous savez, il y a une escalade dans la dépendance. Ce combat, il ne faut pas l’abandonner. Au nom de la dignité de la personne.

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