Monaco-Matin

« Etre coach, c’est aimer tes joueurs »

Fred Gioria et Didier Digard ont reçu Nice-Matin durant cette trêve internatio­nale. Paroles de capitaines.

- Entretien réalisé par : Vincent MENICHINI et William HUMBERSET Photos : Eric OTTINO

Ils représente­nt l’âme du club, beaucoup de son histoire récente. Adjoints d’Adrian Ursea depuis le mois de décembre, Fred Gioria et Didier Digard ont des nuits courtes et des journées longues. Leur souhait ? Finir le plus haut possible pour préparer au mieux la saison prochaine, celle qui doit marquer le renouveau niçois. Pour Nice-Matin , les deux anciens capitaines du Gym évoquent des tas de sujets, ouvrent leur coeur et parlent de leur amour pour les joueurs.

Le Gym aurait-il pu mieux faire ?

Fred Gioria : bien sûr qu’on peut faire mieux. C’est décevant. On a pris la relève de Patrick (Vieira). J’étais convaincu qu’on pouvait redresser la barre, enchaîner une belle série plus rapidement, compte tenu de la qualité à l’entraîneme­nt. Mais la réalité est là, on ne fait pas mieux pour l’instant en termes de points. Je ne cherche pas d’excuses mais on n’a jamais pu aligner deux fois la même équipe. Je ne vais pas refaire le listing de nos pépins, vous les connaissez… A chaque fois qu’on a trouvé une sorte d’équipe type, un joueur s’est blessé. C’est ça le plus frustrant, ça me fait mal ! Didier Digard : être compétiteu­r, c’est se dire qu’il reste huit matchs et  points à prendre.

Je suis peut-être un peu fou, mais je ne pense qu’à la victoire. On ne va pas tous les gagner, mais l’objectif est celui-ci.

Cette victoire contre l’OM vous a donné du baume au coeur, de la confiance ?

D.D. : le groupe avait besoin d’un tel résultat. Mais la confiance se cultive au quotidien. Un résultat ne va pas tout régler.

Qu’est-ce qu’il a fallu faire pour redonner le sourire à certains garçons ?

D.D. : les résultats dictent tout. Quand un coach part, tu te sens forcément responsabl­e. Il y avait une accumulati­on de plein de choses. Notre rôle est de veiller à ce que les joueurs retrouvent le sourire. On met tout en oeuvre pour qu’ils soient bien dans leurs têtes. Ça dicte la performanc­e ensuite. F.G. : l’approche du nouveau staff est différente. La préparatio­n physique, également. On est convaincu par ce qu’on fait. On veut apporter de la joie aux garçons. Je me mets toujours à leur place avant de préparer une séance. Depuis notre prise de fonctions, on faisait vraiment de bonnes semaines mais en match, c’était catastroph­ique.

Quels sont vos rôles respectifs au sein du staff ?

D.D. : tout s’est fait naturellem­ent. J’effectue beaucoup de travail individuel. C’est souvent Fred qui me guide, j’applique les consignes. Je fais la passerelle entre la formation et Adrian, qui ne peut pas tout faire tout seul. Echanger avec Manu (Pirès) et les coachs, c’est important pour savoir quels jeunes progressen­t, ceux qui méritent de monter avec nous. Je passais toutes mes journées avec eux il y a quatre mois à peine, c’est un rôle naturel pour moi.

F.G. : quand il a fallu reconstrui­re le staff, Didier a été une évidence. Je connais l’homme, ses valeurs. On est toujours resté en contact. Avant qu’il nous rejoigne au club (décembre ), je lui avais demandé s’il était convaincu par ce métier d’éducateur, qui n’est pas facile. Je le vois désormais au quotidien, il est fait pour ce job, comme un garçon comme Dante. Didier a joué au haut niveau, il est réfléchi. Il a un rôle essentiel auprès du groupe, pour Adri (Ursea) et moi. Il est très proche des joueurs, passe très bien avec eux. Il peut aller manger avec eux, leur passer un coup de fil, etc. Il est droit, sincère, ne te la fera jamais à l’envers. Les joueurs ont adhéré très rapidement, sont réceptifs.

On a le sentiment de retrouver le vrai Fred Gioria sur le banc…

F.G. : avec Adri, je suis naturel. Je peux lui rentrer dedans, il accepte. Je ne me cache pas, je dis les choses comme elles sont. J’ai une vraie liberté de parole auprès des joueurs. On peut parler de la compo, du choix des hommes, je lui fais part de mon ressenti, mais à l’arrivée, c’est toujours Adri qui tranche. Je suis redevenu moi.

D.D. : en meilleur. Avec le temps, il s’est bonifié. Sur la planificat­ion des séances, par exemple, c’est très carré. Il a plus de recul. Je l’avais quitté en . Il a eu la chance de côtoyer plusieurs coachs, des méthodes de travail différente­s. L’accompagne­ment et le suivi de nos meilleurs jeunes qu’il fait... Il est facile. F.G. : avec Patrick (Vieira), mon rôle était différent. Je l’ai accepté.

Comment avez-vous traversé ces semaines de doutes ?

F.G. : c’était vraiment dur à vivre. Le club nous a fait confiance et on n’arrivait pas à la rendre, alors que tout était réuni.

D.D. : joueur, c’est vraiment un métier magnifique. Tu fais ton match, tu es déçu le jour-même et c’est fini. Coach, c’est tous les jours. Le cerveau est en ébullition permanente. En fait, tu ne t’arrêtes jamais de penser. A la maison, c’est vraiment compliqué de couper, il y a aussi le relationne­l à gérer avec les mecs. C’est parfois épuisant.

Vous vous considérez comme un grand frère ?

D.D. : c’est dur de se donner un rôle familier, un titre. Sans être le frère, le père, je suis là pour eux. Quoi qu’il se passe, ils savent qu’ils peuvent compter sur moi. Je n’ai pas envie d’étaler les discussion­s privées que j’ai avec eux. Ils en ont besoin.

La jeune génération en a-t-elle plus besoin ?

D.D. : Patrick (Vieira) m’a toujours dit de ne jamais comparer les époques. Ça ne sert à rien. On doit s’adapter à l’époque actuelle, point barre. Avec les jeunes, en U, j’étais déjà comme ça. En fait, je suis comme ça aussi dans la vie, proche des gens, prêt à les aider. Un peu comme Fred… On a ce trait de caractère en commun. F.G. : être coach, c’est aimer les autres.

D.D. : si tu n’aimes pas tes joueurs, c’est impossible.

Il y a de tout dans cette relation coach-joueurs, même de la haine parfois ?

F.G. : oui, car ils te font passer par toutes les émotions.

D.D. : c’est comme l’amour, c’est pareil. Je les aime mais, parfois, je les déteste.

Et, quand tu es amoureux, tu ne détestes pas longtemps. Tu tournes la page, et ça repart !

F.G. : après certains matchs, il m’arrive de détester des joueurs, vraiment. Mais dès le lendemain, c’est fini.

Je me remets au boulot et me projette sur le match d’après.

Les joueurs comprennen­tils d’être chahutés ?

F.G. : je ne pense pas. Après les matchs, certains peuvent nous dire qu’on n’a pas arrêté de leur gueuler dessus. C’est usant car on a le sentiment de devoir les téléguider. On est obligé. On a haussé le ton car on a fait le constat qu’ils en avaient vraiment besoin. D.D. : les joueurs ont besoin de te connaître. Au début, ça se jauge. Après, quand le joueur sait que tu l’aimes, tu peux le pourrir et lui en mettre plein la gueule si besoin. C’est ça la clé pour qu’il comprenne que c’est pour son bien. On espérait qu’il n’y ait pas forcément besoin d’élever la voix. F.G. : on croit toujours en eux. On insiste même si, en match, certains peuvent te mettre dans tous nos états. Je ne prends aucun plaisir à leur gueuler dessus, c’est pour eux, de l’amour.

‘‘

Didier a été une évidence, il est fait pour ce job ”

‘‘

Fred s’est bonifié avec le temps. Il est facile. ”

Comment avez-vous vécu la venue des supporters au centre d’entraîneme­nt, que vous êtes allés

« affronter » ?

F.G. : c’est notre rôle. Je comprends très bien le mécontente­ment des gens. On leur doit des explicatio­ns, on a des arguments. Personnell­ement, ça ne m’a pas fait de mal du tout de les voir. Il faut écouter les supporters, il y a de la vérité dans leurs propos.

D.D. : tout ça prouve que ce n’est pas calculé. On n’y va pas pour se dire que les joueurs vont nous suivre après. C’était un moment difficile, on a fait face et basta. En tant qu’entraîneur, c’est plus dur à vivre.

La critique est-elle plus dure à accepter en tant que coach ?

F.G. : je me suis toujours remis en cause, joueur également. Quand je me faisais casser en deux, c’était parce que je n’étais pas au niveau, pas à cause des supporters. Contrairem­ent à d’autres, je n’ai pas eu que des éloges dans ma carrière. J’ai toujours été habitué à ça. Je prends la critique de manière constructi­ve. D.D. : il ne me faut pas grand-chose pour m’énerver (sourires). La critique me plaît car je suis en phase d’apprentiss­age. Cela me permet de progresser. Je ne prends pas tout pour moi. Mon rôle, c’est de tout mettre en oeuvre pour les aider à avancer.

‘‘ Adri, c’est le boss. Nous, on l’accompagne. ”

C’est Adrian Ursea qui tranche toujours ?

F.G. : oui.

D.D. : on est des grandes gueules mais au sein du staff, tout est très fluide. Fred peut tout lui dire, moi aussi. C’est génial. F.G : on peut être en désaccord sur le choix d’un joueur mais lorsque je sens qu’il est convaincu par le sien, je m’écarte. Il faut du tact, ne pas être lourd. D.D. : on est humain, on connaît bien Adri pour savoir quand on ne doit plus intervenir. L’idée, c’est qu’il soit le plus performant possible. Il vit foot h/, a des certitudes. On est à fond derrière lui. On ne lui dira jamais après coup qu’il aurait dû nous écouter. Ça ne sert à rien, rien ne dit que notre choix aurait été le bon. Adri, c’est le boss. Nous, on l’accompagne.

Quel est le pire moment dans une défaite ?

F.G. : dans le vestiaire, juste après. Le lundi, c’est fini. D.D. : pendant le match, j’espère toujours que ça tourne, je pense à comment y parvenir. Après le match, ça peut être très dur. F.G. : ce que je n’accepte pas, ce sont les mauvaises attitudes. Ça peut m’exaspérer.

Avez-vous une explicatio­n à ces matchs lâchés au niveau de l’état d’esprit ?

F.G. : ce n’est pas une question de jeunesse, mais de maturité. Saliba et Todibo n’ont pas l’air jeunes. Dante n’est plus là. Je savais que c’était énorme ce qu’il nous apportait. Pas tout le monde. Il a un rôle d’homme essentiel au sein du groupe.

D.D. : je lui ai demandé d’être encore plus présent dans le vestiaire. C’est l’endroit des joueurs, pas du staff. Joueur, je détestais qu’on vienne chez « moi ». J’incite les joueurs à régler les choses entre eux, que ce ne soit pas toujours au staff de régler leurs problèmes.

F.G. : parfois, il n’y a pas de règle. On a certaineme­nt fait l’une de nos pires séances trois jours avant le match contre l’OM.

Il y avait du volume, mais dans le jeu, c’était nul.

Vos joueurs font-ils ce qu’il faut pour réussir ?

F.G. : oui, ils font ce qu’on leur demande. Ce ne sont pas des tir-au-flanc.

D.D. : ça travaille beaucoup plus qu’à mon époque. A l’extérieur, les gens n’arrivent pas à le concevoir. C’était mon cas avant de rejoindre le staff pro.

Qu’est-ce qu’il manque alors ?

F.G. : de pouvoir enchaîner avec la même équipe, Dolberg, Boudaoui, Rony, Claude-Maurice, Atal sur six, sept matchs. On pourra faire un bilan après ça. On a retrouvé de l’équilibre avec les deux derrière (Saliba, Todibo).

D.D : les résultats nous frustrent. Mais on a réussi une chose : redonner confiance à pas mal de joueurs. Si on maintient ça jusqu’à la fin de saison en prime des correction­s apportées... Ça semble difficile à entendre, mais je suis convaincu que ce sera une saison super bénéfique pour l’avenir du club.

Dolberg, il a fallu le retaper physiqueme­nt, moralement aussi ?

F.G. : Didier a été capital. Sa maîtrise de l’anglais, sa personnali­té ont été très importante­s pour Dolberg. Quand on voit qu’il fait  bornes contre l’OM, c’est énorme pour un attaquant. Il n’avait jamais fait ça ! D.D. : il a fait un match énorme pour l’équipe : il a gagné tous ses duels à la tête, il a gardé tous les ballons... Mais il n’a pas marqué. Et Kasper ne comprend pas les félicitati­ons quand il ne marque pas. C’est un attaquant, c’est normal. Mais moi, je veux que ces mecs soient heureux. Qu’ils sentent que je suis là pour les aider, les écouter. Kasper, ça me faisait du mal de ne pas le sentir épanoui. On échange souvent, sur d’autres sujets que le foot. Même quand il est en sélection, on se téléphone. Je veux savoir comment il se sent, si tout se passe bien. Avec Jeff (ReineAdéla­ïde), c’est pareil.

Il est blessé pour je ne sais combien de temps, pendant X temps il aura de mes nouvelles.

C’est la proximité dans l’âge qui favorise ça ?

D.D. : je suis aussi proche des joueurs que Fred. Mais lui, c’est déjà un coach. Moi, il m’arrive encore de jouer avec eux. On peut rire, chambrer, tout en restant dans le respect. F.G. : il est encore bon ! Même avec un genou en vrac, il ne casse pas la séance. D.D. : je m’éclate, les joueurs aussi. Ils aiment se mesurer, je leur dis : « Je veux être meilleur que vous ». Ça les pousse, ça m’éclate qu’ils veulent montrer qu’ils sont meilleurs. Peut-être que ça m’apporte un peu de crédit aussi. Tant que je ne fais pas n’importe quoi, ils sentent que je sais de quoi je parle. Ça me permet de leur montrer des choses.

Tu peux faire une vidéo, parler, parfois il n’y a rien de mieux que de reproduire le geste devant le joueur pour qu’il comprenne.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? « Ça semble difficile à entendre, mais ce sera une saison super bénéfique pour l’avenir du club ».
« Ça semble difficile à entendre, mais ce sera une saison super bénéfique pour l’avenir du club ».
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Monaco