Une infirmière niçoise bloquée au Maroc
Les véritables racines de Xavier Dupont de Ligonnès (XDDL) ne sont ni à Versailles, ni dans le Var où le père de famille s’est évaporé le 15 avril 2011. Ses ancêtres ont acquis leurs lettres de noblesse aux confins des pays du Velay et du Vivarais. Au milieu de nulle part.
« Chaque week-end, il y a des gens qui arrivent de Marseille ou de Montpellier, ils viennent pour chercher une résidence secondaire à trois heures de chez eux », témoigne la gérante de l’unique bar-restaurant et gîte de l’ancien Saint-Romain-du-Désert, un petit village rebaptisé Mars (Ardèche).
La nuit des temps
En venant du sud, il faut franchir plusieurs cols avant d’atteindre le plateau ardéchois dominé par le massif du Mézenc. Nous voici au lieu-dit Pont-de-Mars, à mille mètres audessus du niveau de la mer. «
Les traditions locales veulent que, jusque bien avant les siècles chrétiens, le dieu de la guerre ait eu un temple et de nombreux adorateurs .»
Il y a deux mille ans, le pont de Mars marquait la frontière entre l’empire romain et les territoires gaulois par encore annexés par Jules César. Une voie romaine, en franchissant le Lignon – un affluent de la Loire –, permettait déjà de relier Saint-Agrève au Puyen-Velay (Haute-Loire). Au Moyen-Âge, la presqu’île formée par les parcours sinueux du Lignon et du Merdos délimitait la seigneurie du Pont-de-Mars, où débute l’épopée familiale des Dupont de Ligonnès. Aujourd’hui, ce territoire couvert de bois et de prairies dépend du Chambon-sur-Lignon – « Le SaintTropez de l’Auvergne ! », promet la patronne du resto L’Épicurien, sur la place du Marché, en référence à la fréquentation estivale. Ici, un mémorial rappelle que des habitants ont protégé des milliers de juifs menacés de déportation. Il faut savoir que le souvenir de la persécution des protestants pendant les guerres de religion est encore vivace. Après avoir traversé le pont qui sépare la HauteLoire de l’Ardèche, on retrouve le village de Mars, si fier de son observatoire, où quelques anciens ne rechignent pas à se lancer dans une partie de pétanque à l’heure du couvre-feu.
« Les origines de la famille Dupont de Ligonnès se perdent dans la nuit des temps (...) Elle est identifiée clairement dès la fin de la guerre de Cent Ans parmi la chevalerie du Velay à laquelle est distribuée une partie des fiefs dont les propriétaires avaient servi les Anglais .»
La race des seigneurs
Le plus lointain ancêtre connu de Xavier ne s’appelle pas Dupont de Ligonnès – un patronyme façonné au fil de l’histoire. Pierre de Molin (ou du Moulin), né à la fin du XVe siècle, portait le titre de seigneur du Pont-de-Mars. Il a épousé Anne Vialotte, issue d’une riche famille de notaires, en 1507.
L’un de leur petit-fils, Alexandre de Molin, seigneur de La Suchère (voisine du Pont-de-Mars), prend part aux guerres de religions qui ont tourmenté le Vivarais
et le Velay, théâtres de véritables scènes de boucheries. À Mars, on nous glisse qu’il existerait encore une galerie, utilisée jadis comme abri, creusée sous une maison protestante. « Le propriétaire a dû boucher l’entrée pour empêcher ses bêtes d’y aller. » À l’époque, et surtout dans cette région, les catholiques s’opposent violemment aux protestants. Puis les catholiques s’entre-déchirent aussi violemment, avec d’un côté les partisans d’une ligne modérée à l’égard des « hérétiques » (les « politiques » ou royalistes), de l’autre les tenants d’une ligne dure (les « ligueurs » opposés à l’idée d’un règne d’Henri IV, d’origine protestante).
C’est dans ce contexte qu’Alexandre de Molin prend les armes. On l’appelle « capitaine Pont ». Lui signe ses écrits d’un « Cadet du Pont ». Il s’engage aux côtés du baron de la Brosse, seigneur de Chaste. Ce chef royaliste est l’ennemi juré du baron de Saint-Vidal, à la tête des ligueurs, qui tient le Puy.
« Une partie des troupes de Chaste s’avança, sous le commandement d’Alexandre de Molin (...), de Polignac vers le Puy, le 24 avril 1589. Les habitants de cette ville en étaient sortis en même temps (...)
“Aux origines, la chevalerie du Velay”
“Une noblesse turbulente et indisciplinée”
avec la garnison de Fay composée de cavalerie (...) Ils chargèrent vivement le corps de Molin, quoique supérieur en force, et l’obligèrent à battre en retraite jusqu’à la prairie sous Polignac. Il s’y engagea un combat où de Molin fut blessé .» Ce bastion des ligueurs finira par être affamé. « [Les royalistes] multipliaient leurs courses dans les lieux environnant le Puy, attaquaient les convois et pillaient les grosses fermes et les maisons de campagne. Parmi eux se trouvaient des chefs de bandes hardis, d’un caractère rude, prompts pour les coups de main, et tels que les avaient formés et façonnés les guer
res civiles dans nos montagnes. C’était Alexandre de Molin, dit le cadet du Pont… le frère de Guillaume de Molin, seigneur du Pont-de-Mars ; c’était La Colombe frère d’Antoine La Colombe, seigneur d’Artites… »
Les aïeux de Xavier Dupont de Ligonnès sont faits de ce moule. Aux chevaliers du Moyen-Âge ont succédé des militaires jusqu’au XXe siècle. « La famille Dupont de Ligonnès a fourni un grand nombre d’officiers de mérite, dont plusieurs ont été tués à l’ennemi… » Rien d’étonnant à ce que la famille ait choisi comme blason le heaume (casque), qui reste 500 ans plus tard l’emblème familial.
De juteux mariages
Si les seigneurs du Pont-de-Mars ont assis leur noblesse sur des faits d’armes, les ancêtres de XDDL ont également soigné leurs « alliances » (mariages). C’est une question de survie qui taraude encore aujourd’hui une partie de la noblesse.
La famille s’est « alliée » à d’autres clans nobles (dont certains subsistent de nos jours). De quoi récupérer des seigneuries, s’enorgueillir du titre de comte (au début du XVIIe siècle) et même hériter de celui de marquis (XVIIIe siècle). L’apogée des du Pont est précédée, autour des années 1600, par une campagne d’acquisitions sur le dos de propriétaires exsangues. « Noble Guilhot de Molin contracta (...) deux alliances successives avec des dames dont la dot était considérable. À défaut de domaines terriens, Catherine du Truchet et Jeanne de Pouzols apportèrent au Pont-deMars des sacs bien remplis d’écus (...) Dès lors, leur époux peut acheter tout ce qui se présente à la vente aux environs de ses domaines, quelquefois même assez loin. Tout cela durant les guerres religieuses qui désolent et ruinent la contrée ! Des voisins malheureux, presque affamés, lui vendent, contre l’usage séculaire, “leur part et pourtion” des “terres communes” de la Dame, du Bon et autres lieux, moyennant des prix dérisoires. »
Le triple meurtre de Bronac
En 1656, les seigneurs du Pontde-Mars font eux-mêmes les frais dela« noblesse turbulente et indisciplinée » à laquelle ils appartiennent. Trois frères du comte François de Molin du Pont sont abattus alors qu’ils se mêlent de l’enlèvement d’une adolescente, promise au voile, par un certain Just de Bronac (il a épousé la jeune fille dans la foulée). Le triple meurtre est resté impuni puisque les condamnations à mort obtenues par le comte de Molin du Pont n’ont jamais été mises à exécution. Exilé en Allemagne, Just de Bronac finira même par obtenir du roi des lettres de grâce…
Grandeur et décadence
Il n’empêche, la lignée a survécu à ces morts brutales et aux vagues de peste. Mais l’édifice familial se lézarde au siècle des Lumières alors que le centre de gravité des possessions des du Pont – le nom a fini par se substituer à de Molin du Pont – s’est déplacé plus au sud, aux portes des gorges de l’Ardèche.
La seigneurie du Pont-de-Mars semble être reléguée au rang de résidence secondaire au profit du comté de Vallon (aujourd’hui la touristique Vallon-Pont-d’Arc) qui était tombé dans l’escarcelle des du Pont dès le début du XVIIe siècle. Les hivers y seraient moins rudes que dans le Velay.
En 1741, le comte Ignace du Pont de Vallon, mousquetaire du Roy, puis son frère, en 1743, Louis-Augustin du Pont, dit « le chevalier de Vallon », meurent sur des théâtres d’opérations extérieures dans le cadre de la guerre de Succession d’Autriche.
Ces deux officiers, sans descendant, s’étaient endettés lourdement pour acquérir leur charge militaire.
Leur soeur aînée, établie à Valence, se sépare petit à petit des domaines qui entourent le Pont-de-Mars. Et la seigneurie des origines finit par être vendue à une vieille famille. Le château, tombé en ruine, est reconstruit sur les hauteurs du territoire. Et domine encore aujourd’hui les rives redevenues calmes du Lignon. Selon une indiscrétion recueillie à Mars, la propriété aurait été acquise par un couple de Marseillais.
“Des voisins malheureux et affamés”