Les rebondissements de la saga familiale
Du domaine initial du Pontde-Mars, il ne reste plus que les vestiges d’un mur de pierres granitiques, quelques dépendances transformées en maisons et un ancien moulin posé au bord de la route départementale 15. « Mon père y achetait du pain », se souvient une randonneuse. Une tour du XVIe siècle, vestige du château de noble Guilhot et de ses successeurs, a également longtemps subsisté mais « elle s’est effondrée il y a quelques années », nous assure-t-on sur place.
Avec la mort au combat des frères du Pont de Vallon et la dilapidation des terres familiales avant la Révolution, s’éteignait une longue lignée de seigneurs du Pont-deMars. Le titre de comte est alors revenu à une « tige » cadette de la famille : les du Pont de Ligonnès.
Le rebond dans le Gévaudan
Il faut revenir à l’épisode du triple meurtre des frères de François de Molin du Pont, en 1656, pour comprendre comment la lignée rebondit cent ans plus tard. Le seigneur du Pont-de-Mars, ébranlé par la mort brutale de ses trois cadets, avait alors pu compter sur un quatrième et dernier petit frère. Antoine, seigneur de Saint-Romain
(la future commune de Mars), a hérité, d’une parente ruinée, du château de Ligonnès (ou Ligonès), à Sablières dans le BasVivarais (Ardèche), où une partie de la famille du Pont est partie s’installer. Le petit-fils d’Antoine récupère quant à lui le titre de marquis après la mort d’un oncle maternel, en 1754.
Les seigneurs de Ligonnès sont restés fidèles aux traditions familiales. Ces du Pont-là aussi donnent des militaires – dont deux officiers décorés de la croix de Saint-Louis, ancêtre de la Légion d’honneur – pas mal de religieuses et quelques épouses à des hommes bien nés.
La grotte de Césarine
Parmi elles, Césarine de Ligonnès, née en 1731. Elle est mariée au baron Gabriel Brun de Montesquieu et le couple mène la vie de château, à La Malène en Lozère, jusqu’à la Révolution. Après la chute de la monarchie, la propriété est pillée, incendiée et les biens qui s’y trouvent sont confisqués.
« Au moment des troubles révolutionnaires, la baronne de Montesquieu, âgée de 62 ans (...), avait été conduite par des serviteurs fidèles et dévoués dans un souterrain
“Les Ligonnès et leur charmante tribu”
situé au-dessous des ruines du vieux château de Montesquieu, où on lui portait des vivres malgré les difficultés de l’escalade. Une alerte ayant fait croire que sa retraite serait découverte, elle fut transportée à deux kilomètres environ en aval de La Malène, dans une autre grotte, dont l’ouverture est à quelques mètres audessus de l’eau. Cette femme énergique, malgré ses infirmités, vécut plusieurs mois en recluse dans cette grotte humide et sombre, grâce au dévouement de ses serviteurs .»
Césarine s’éteint à l’âge de 90 ans, en 1821, la même année que l’empereur déchu Napoléon Bonaparte. Elle ne pourra donc pas assister au mariage, six ans plus tard, entre son arrière-petit-neveu Édouard, marquis de Ligonnès, et Sophie de Lamartine.
Dans le coeur du poète Lamartine
« Dis à Ligonnès que mes quatre toits sont à lui », écrit Alphonse de Lamartine à l’une de ses nièces adorées. « Je suis bien impatient de voir les Ligonnès et leur charmante tribu. » Dans une autre lettre, le célèbre poète se désole du départ des Ligonnès qui lui ont rendu visite à Paris – en plus de passer chaque année des vacances en sa compagnie au château de Milly en Bourgogne : « Ils sont si bons et si tendres aussi .» Lamartine a fait ce portrait de sa soeur Sophie : « Tous les éléments de son caractère étaient des vertus. Dieu n’avait pas mêlé une imperfection à l’argile dont il avait pétri cette enfant .»
Édouard et Sophie du Pont de Ligonnès fondent leur famille dans la maison familiale de Mende en Lozère (le château de Ligonnès, à Sablières, a changé de propriétaire avant la Révolution). Cinq enfants sont issus de cette union. Le dernier né, en 1845, est le seul garçon. « Le jeune Charles, le petit marquis, fut accueilli à sa naissance avec allégresse, comme l’héritier d’un beau nom et de traditions ancestrales d’honneur et de foi jalousement conservées (...) Son père et sa mère s’appliquèrent à faire de leur fils un homme et un chrétien .» À la messe, célébrée dans la majestueuse cathédrale de Mende, « M. et Mme de Ligonnès étaient toujours au premier rang des meilleurs paroissiens ; leurs noms sont gravés sur le bronze de la belle sonnerie dont [l’évêque] dota sa basilique .» Alors qu’Alphonse de Lamartine, également député (monarchiste repenti), devient un éphémère ministre des Affaires étrangères de la
IIe République naissante (1848), le couple reçoit à Mende cet éminent parent. « Édouard de Ligonnès fit venir son beau-frère qu’il affectionnait beaucoup (...) [M. de Lamartine] lui proposa successivement plusieurs préfectures, et enfin un consulat général dans une contrée voisine de la France. M. de Ligonnès refusa tout, malgré l’état de sa fortune qui n’était pas considérable .»
Sophie née de Lamartine rend son dernier souffle en 1863. Son frère écrit à leur mère, le 28 août 1863 depuis l’île de Malte : « Le dernier paquebot français n’a pas apporté de vos nouvelles, mais nous avons reçu celle bien triste de la mort de Mme de Ligonnès qui a succombé à une fluxion de la poitrine. Cet événement nous met en triple deuil, et nous vivons aussi retirés que des corbeaux au fond d’une crevasse inaccessible de rocher .»
En 1877, Édouard de Ligonnès meurt octogénaire alors que son fils unique a été ordonné prêtre à Rome. Le vieil homme à la santé déclinante n’avait pas pu faire le déplacement à cause de la canicule qui s’était abattue sur l’Italie.
Le pape noir de l’Aveyron
Charles Dupont de Ligonnès – le patronyme s’est fixé ainsi au XIXe siècle après une erreur de l’état civil – est sans doute la figure la plus imposante de la famille.
“L’héritier d’un beau nom et de traditions”
(Repro Bibliothèque nationale de France)
Avant d’être prêtre et surtout évêque, il a été militaire (réfugié en Suisse lors de la débâcle de 1871), maire d’Auxillac (Lozère) et même candidat malheureux – monarchiste – aux élections législatives de 1876 en Lozère.
Il fait partie des premiers évêques nommés en réaction à l’adoption la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État. « Celui-ci est un saint », déclare le pape lors du sacrement de Charles à SaintPierre. Le nouvel évêque de Rodez (Aveyron) était un farouche opposant à la laïcité.
« Pape noir de la Lozère, il était le maître autoritaire et incontesté du clergé, lit-on dans la presse socialiste (Le Radical). Ce M. de Ligonnès est un prélat ligueur, toujours crosse en l’air, ne cherchant que plaies et bosses, prêt à batailler et qui serait un exécuteur fidèle des ordres de guerre civile que médite le pape .»
Sur la tombe d’un Poilu devenu maire
À la mort de l’évêque en 1925, la lignée des Dupont de Ligonnès a été considérée comme éteinte. Une branche cousine, enracinée dans les environs du Pont-deMars, a même revendiqué les titres de comte et de marquis. Charles était effectivement le seul garçon d’Édouard et Sophie de Ligonnès. Mais Lamartine n’était pas son seul oncle. Du côté de son père, il y avait Amédée. Ainsi les Dupont de Ligonnès ont-ils pu traverser le XXe siècle sans peine. Le commandant Bernard de Ligonnès embrasse une carrière militaire, notamment à Avignon où il se fait remarquer pour son militantisme catholique et son hostilité aux dreyfusards. En 1908, il fait l’acquisition de château de Ressouches au bord du Lot à Chanac (Lozère), avec la bénédiction de son oncle évêque.
Un achat rendu possible par la dot de son épouse Alice, fille d’un haut fonctionnaire – bien plus riche que tous les Dupont de Ligonnès réunis – qui cherchait à marier sa progéniture à un homme titré. Le mariage a été arrangé par l’évêque de Rodez. L’officier est envoyé au front pendant la Première Guerre mondiale et devient, dans les années vingt, maire de Chanac, un petit village dont l’église paraît surdimensionnée.
Sur la tombe de ce marquis de Ligonnès, décédé en 1936, se trouve un bouquet de fleurs mortes. Toutes les distinctions attribuées à l’ancien commandant d’infanterie – officier de la Légion d’honneur, croix de guerre, commandeur de Saint-Grégoire le Grand, Aigle blanc de Serbie – sont gravées sur la pierre tombale, mais aussi, en lettres capitales, le nom du berceau originel : « du Pont-deMars ».
C’est là qu’a été inhumé sans épitaphe Hubert, le père de XDDL, à la suite de son décès en janvier 2011. Après la disparition – la mort probable ? – de Xavier et les assassinats de ses fils, « le nom va s’éteindre », constatait avec amertume la tante de l’insaisissable père de famille, citée par le JDD.
Le dernier des Dupont de Ligonnès
Une fois de plus, c’était aller trop vite en besogne. Hubert Dupont de Ligonnès avait entretenu une liaison extra-conjugale de laquelle est né, en 1982, un fils. Ce demifrère de Xavier Dupont de Ligonnès, un temps ignoré de l’arbre généalogique de la famille « officielle », construit sa vie dans un pays étranger, à plusieurs milliers de kilomètres du Pont-de-Mars, de Mende, de Chanac et de tous les châteaux habités par ses ancêtres.
Contacté par Var-Matin, le dernier comte Dupont de Ligonnès n’a pas souhaité participer à notre enquête historique. « Je ne vois aucune raison de mettre en scène ma personne. » La suite de l’épopée est désormais entre ses mains.
Aucune raison de me mettre en scène”