Monaco-Matin

Marine Brenier : « Ouvrir la voie à l’aide active à mourir »

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Peu après son entrée au Parlement, à vingt-neuf ans, Marine Brenier portait déjà une propositio­n de loi sur la fin de vie. Deux ans plus tard, après un voyage parlementa­ire en Belgique au mois de janvier, « gonfléeàbl­oc» et «sansego» , elle soutient «à100%» le projet du député de La Rochelle-Ile de Ré, Olivier Farloni (PRG).

Pourquoi, si jeune, prenez-vous à coeur ce sujet ?

J’ai une formation en droit de la santé. A la sortie de mon master , j’avais réfléchi à faire une thèse sur les lois Leonetti. Cette question m’a toujours passionnée et, comme la très grande majorité des Français, j’ai approché personnell­ement des situations de fin de vie assez difficiles. Je pense à mes grands-parents. Pas d’obstinatio­n déraisonna­ble mais sédation longue pour ma grand-mère, dans de très bonnes conditions. Puis mon grand-père, décédé à la maison, mais pour qui cela a été long. Pour en avoir discuté avec des médecins spécialisé­s en soins palliatifs, on part du postulat que la personne placée sous sédation ne souffre pas et qu’elle n’a pas conscience de ce qu’elle subit, mais on n’en a aucune certitude.

Sous sédation, le patient, selon vous, peut souffrir ?

On peut supposer qu’il y a un minimum de conscience pendant cette période. Et je trouve un peu hypocrite, dans la loi Leonetti, de placer le patient dans une sorte de coma en arrêtant le curatif : on meurt petit à petit, soit de sa pathologie, soit de l’absence de nutrition et d’hydratatio­n. Ce n’est pas le médecin qui donne la mort, mais l’arrêt des soins qui y conduit. Je plaide pour la liberté. Il ne s’agit pas d’obliger quiconque à le faire, mais il me semble que, me concernant, ou concernant mes proches, on préférerai­t partir rapidement et sans douleur.

Si l’on pouvait ouvrir la voie à « l’aide active à mourir » pour qui le demande, cela me semblerait plus humain.

Entrouvrir cette porte, est-ce dangereux, comme le pense Jean Leonetti ?

Sur le plan éthique, certains médecins estiment que ce n’est pas la même chose de laisser le patient mourir et de lui donner le produit lui permettant de partir. Là encore, n’est-ce pas un peu hypocrite ? Le protocole de sédation conduit inévitable­ment à la mort. Quant aux abus, comme tout le monde, je me suis posé la question. Raison pour laquelle j’ai organisé ce voyage parlementa­ire en Belgique. Où quelqu’un atteint d’une dépression, par exemple, ne peut pas demander l’euthanasie. Le débat a été long dans ce pays et l’on y trouve aujourd’hui très, très peu de cas dans lesquels il peut subsister un doute. En outre, les médecins qui pratiquent savent qu’à la moindre erreur, ils peuvent aller en prison. Donc, pas de geste inconsidér­é. Enfin, le protocole est très restrictif, ouvert aux personnes majeures et capables, ayant émis un consenteme­nt éclairé et express, seulement dans le cas d’une maladie incurable avec huit-neuf mois d’espérance de vie.

Dépressif, n’a-t-on aucune raison légitime de vouloir mourir ?

Oui, mais est-ce à la collectivi­té de prendre en charge cette question ? Qu’il y ait un débat sur ce point, on peut l’entendre. En Belgique,  % seulement des personnes qui décèdent ont recouru à l’aide active. Nous souhaitons que cela reste extrêmemen­t restrictif car c’est toujours une tragédie. Mais il faut offrir cette possibilit­é. Dans le cadre de certaines maladies dégénérati­ves, les patients ont l’angoisse de s’étouffer. Quelqu’un doit être là pour dire qu’il existe cette porte de sortie.

Plus on approche de la mort, moins on est demandeur, semble-t-il…

Il est compliqué de dire, longtemps à l’avance, ce que l’on voudra. La vérité, c’est qu’on ne sait pas. C’est une question très intime. Tout dépend aussi des circonstan­ces, de la pathologie dont on souffre, de la façon dont elle est prise en charge, de sa propre appréhensi­on. Mais on a l’impression que la mort ne fait plus partie de la vie. On la met de côté, on la cache, on ne va plus voir les défunts. Peut-être estce aussi pour cela qu’on se refuse à débattre sur le sujet. Quant à ceux qui estiment que l’euthanasie n’est pas une demande des mourants mais de l’entourage, je rappelle que, pour mettre en place un protocole, il faut au préalable une volonté affirmée du patient.

L’accès aux soins palliatifs est-il garanti ?

C’est une catastroph­e. Seul le quart du territoire national est couvert. Quand on vit dans une grande ville, on peut être pris en charge à l’hôpital. Nous avons la chance, dans les Alpes-Maritimes, d’avoir un service de soins palliatifs à domicile, mais il est submergé. En tout cas, selon l’endroit où l’on habite en France, quand on ne peut plus ou quand on ne veut plus être soigné, il n’est pas toujours possible de mourir chez soi. Nous prévoyons donc que l’aide médicale active à mourir puisse se pratiquer à domicile. Pour des raisons de confort. Les personnes pour lesquelles il n’y a plus de soins curatifs préfèrent partir chez elles, parmi leurs proches.

La clause de conscience n’introduit-elle pas un autre risque d’iniquité ?

Il existe pour tout médecin une clause de conscience permettant de ne pas pratiquer, éventuelle­ment, certains actes. Un praticien pourra dire non, mais aura l’obligation de présenter le patient à un confrère qui, lui, acceptera l’aide à mourir.

Jean Leonetti met en balance liberté et vulnérabil­ité…

Parfois, il suffit d’ajuster la prise en charge de la douleur pour régler la situation, et tant mieux. Ce que je n’arrive pas à comprendre dans l’argumentai­re des « contre », c’est qu’on dirait que dans leur esprit, on ne va pas au bout de la réflexion. Bien sûr qu’il faut tout faire et à tout prix pour éviter cette issue. Cependant, malgré tout ce que l’on pourra mettre en place, des personnes voudront en passer par là. On doit les écouter. Selon les sondages,  à  % des Français sont favorables à une législatio­n en la matière. C’est un choix de société, il faut l’assumer clairement. Le Canada a légiféré il y a peu, le Portugal aussi, l’Espagne le met en place, l’Allemagne y réfléchit sérieuseme­nt et en Italie, le juge constituti­onnel a demandé au législateu­r d’intervenir sur la question. En plus de la Belgique, des Pays-Bas ou de la Suisse. Nous, pays des droits de l’Homme, devons le faire. D’autant que nos voisins reçoivent des patients français, ce qui n’est pas satisfaisa­nt.

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« Je trouve un peu hypocrite de placer le patient dans une sorte de coma en arrêtant le curatif. »

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