Chineur dîneur
Il faut le voir parler. Là, sur la jolie terrasse accrochée aux coteaux de Bellet où nous l’avons rencontré. Tout se met en mouvement. L’oeil de Thomas s’éclaire. Sa main ajuste une assiette. Il esquisse un sourire en évoquant ces verres en rotin, matière fétiche, qu’il vient de trouver. Comme habité, « Chineur dîneur » – son alias sur la toile – cause de cette table vibrionnante qu’il ne finit plus de composer. « J’aime l’appeler barbotine bohème », souffle-t-il. Dans des coupes en laiton, le trentenaire installe des pavots aux mille teintes orangées.
Roméo, le chat roux, passe dans le champ. Raccord. Voila. Le cadre est posé. Parfait pour un déjeuner, un dîner, une rêverie champêtre. « Il ne manque que les petits artichauts barigoule, les beignets de fleurs de courgette et les gambas grillées ! » Thomas dégaine son smartphone. Capture l’instant pour nourrir son fil Instagram. C’est le réseau social qu’il a choisi pour laisser libre cours à sa passion pour le « tabling », l’art de dresser des tables chics, de mettre en scène un déjeuner parfait, dans de la vaisselle souvent ancienne.
« Enfant, j’adorais l’atmosphère qui régnait à la maison avant un dîner, cette agitation quasi frénétique », sourit Thomas. Il a grandi dans les roses que sa grand-mère, Mémé Mado, produisait, au Plan de Carros. « Sous la tonnelle, il y avait toujours un petit bouquet de fleurs sur la table. »
Il n’en perdra pas un pétale. Enfance poudrée qui lui laissera un délicat parfum de fleurs en tête. Thomas deviendra paysagiste, avant de se spécialiser dans l’événementiel et, depuis quatre ans, d’évoluer comme conseiller consulaire au sein de la chambre de commerce Nice Côte d’Azur. Le goût de recevoir lui vient aussi de ses aïeux. « Ma grand-tante travaillait au Château Sainte-Anne, demeure de prestige à Fabron, où elle était gouvernante. Quand elle racontait les grandes tablées, la vie de château, ça me faisait rêver. » Devenu grand, Thomas multiplie les invitations. «Mes amis, avant de s’inquiéter du menu, demandent quelle table j’ai préparée… » Recevoir est pour le jeune homme une façon de s’amuser à créer des mariages inédits entre l’argenterie du grandpère – « un superbe cadeau dont je me sers très souvent, sans complexe » –, les verres, les assiettes anciennes. « J’ai compté et j’en ai 663 », glisse-t-il avec le sourire d’un enfant qui voudrait se faire pardonner d’une bêtise. Des simples, ornées d’un liseré or. Des bariolées. Des un peu kitsch. Il y a aussi les carafes en verre de Biot. Cristal Baccarat. Ou siglé Lalique. Les nappes anciennes en lin ou en coton. Les petites décos en étain. Les figues en albâtre de Toscane. « Tout est de famille ou chiné », souligne l’allergique à la vaisselle jetable. Thomas écume les brocantes, les vide-greniers… Prétexte à des week-ends dans les Bouches-du-Rhône et le Var. « C’est presque un acte militant, pour la sauvegarde du patrimoine. » Puis il cogite, assemble, fignole. Dépareille, fait du « mix and match ». Photographie aussi, pour échanger avec d’autres dresseurs de belles tables, sur Internet. Donner des idées pour des collaborations futures avec des chefs, pour des shootings, des événements, demandes en mariages, épousailles et baptêmes… Une passion, pas (encore ?) une activité professionnelle en soi.
« Parmi mes projets de développement, j’aimerais proposer de la vente de vaisselle ancienne chinée. Et aussi louer des boxes avec le nécessaire pour une belle table prête à dresser grâce à un mode d’emploi. » Et saupoudrer ainsi, dans nos intérieurs confinés longuement balayés du regard ces mois derniers, un peu du monde merveilleux de Chineur dîneur…