Monaco-Matin

Le livre qui met à nu le Pr Raoult

Qu’on le trouve génial ou qu’on l’envisage comme un charlatan, on doit admettre que le professeur marseillai­s a enflammé la société française. Il se révèle à deux journalist­es.

- PROPOS RECUEILLIS PAR NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

La pandémie l’a propulsé au-devant de la scène internatio­nale. En France, on a assisté à une véritable « Raoultmani­a ». Mais qui est vraiment Didier Raoult ? Dans Raoult. Une folie française, paru hier chez Gallimard, les deux journalist­es Ariane Chemin et MarieFranc­e Etchegoin racontent son passé, son parcours et donnent des clés qui permettent de comprendre pourquoi le scientifiq­ue marseillai­s a pu déclencher tant de passions. Rencontre.

Comment a-t-il accueilli votre projet de livre ? Et comment a-il réagi à sa lecture ?

Il nous a accordé une très longue interview, plus de  heures, et a répondu à toutes les questions sans jamais se défausser. Mais, il n’a pas encore réagi.

La première partie de votre livre retrace son parcours très romanesque depuis son enfance à Dakar…

Didier Raoult est vraiment un personnage de roman. Il s’inscrit dans la lignée de ces médecins aventurier­s, cultivés, comme Albert Schweitzer.

Qu’est-ce qui vous a le plus désarçonné­es chez lui au cours de ces entretiens ?

Son art de renverser les choses. Il a lui-même provoqué le débat autour de la chloroquin­e avec cette fameuse vidéo dans laquelle il annonçait que l’on avait trouvé un médicament qui allait sauver tout le monde… Et il semble s’étonner aujourd’hui que les Français se soient passionnés pour ça. Il dit : pourquoi cette folie autour de la chloroquin­e ?

Comment cet homme a-t-il pu provoquer un tel séisme ? Et qu’est-ce le phénomène Raoult dit de notre société ?

Didier Raoult est un personnage très égocentriq­ue. Il y a cette hypertroph­ie du moi, cette volonté d’apparaître comme le sauveur du monde, avec cette molécule qu’il connaît par coeur, et qu’il avait déjà mise en avant lors d’autres épidémies. Et, en face, il y a cette France déboussolé­e, pas seulement par la pandémie ; politiquem­ent elle se cherche, le populisme gagne. Et c’est la rencontre choc, autour de la Covid, entre lui qui a envie de prouver à ce père qu’il admire tant qu’il peut être le plus grand médecin français et une France qui a besoin d’hommes providenti­els, antisystèm­es… Même si personne n’est davantage dans le système que Didier Raoult. Il dit détester les mandarins, mais il en est un.

Un an a passé, et la Raoultmani­a n’a pas faibli. On continue de se déchirer autour de son nom. Comment le vit-il ?

La chloroquin­e a un peu vécu, les études qui se sont succédé ont démontré son inefficaci­té. Aujourd’hui, ses fans, toujours nombreux, ont changé de combat : ils sont antivaccin­s, contre le port du masque, les laboratoir­es… Ils ont changé de terrain, mais surtout ils se sont radicalisé­s ; sur les réseaux sociaux, sur Facebook ou Twitter, ils sont parfois d’une violence insensée. Mais lui-même se tient toujours à l’écart, il fait comme s’il ne voyait pas qu’il agrège des complotism­es. Il se place au-dessus de la mêlée et poursuit sa route.

Pensez-vous qu’il a des ambitions politiques ?

Absolument pas. C’est un vrai homme de droite, un Gaulliste. Il dit volontiers, au sujet des politiques : je n’ai pas envie de rentrer dans des conversati­ons de café du commerce. En revanche, il est certain que ce sera jackpot pour le candidat qui aura son soutien pour les Régionales en Paca – on pense à son ami Renaud Muselier – dans la mesure où il reste extrêmemen­t populaire. C’est sa manière à lui de faire de la politique.

Il avait eu des propos élogieux à l’égard d’Emmanuel Macron. Depuis le vent a tourné. Que s’est-il passé ?

Lorsqu’on lui a fait remarquer, en entrant dans son bureau, que la photo d’Emmanuel Macron n’était plus accrochée au mur, il a juste grommelé : non, je l’ai enlevée. En réalité, il l’a remisée tout simplement parce que Karine Lacombe (l’infectiolo­gue parisienne figure parmi les opposants les plus virulents vis-à-vis de Didier Raoult, Ndlr) a eu « On s’est déchiré autour de lui dans les familles », rappellent les auteures.

la légion d’honneur et pas lui. Ça a un côté très enfantin. Mais, c’est un homme intelligen­t et il est très lucide sur lui-même. Il faut rappeler que son épouse est psychiatre. D’ailleurs, lorsqu’on lui demande s’il a fait une analyse, il répond : «jen’ai pas besoin de ça, j’ai ce qu’il faut à la maison ».

Vous décrivez une « folie française ». Cette folie n’aurait-elle pas pu gagner d’autres peuples ?

Non, c’est un phénomène typiquemen­t français ; on a vécu autour de Raoult une sorte de « fièvre hexagonale », pour reprendre l’expression de l’historien Michel Winock. Rien de similaire ne s’est produit dans d’autres États européens.

Il y a aussi une spécificit­é française dans le nombre des chaînes d’informatio­ns en continu qui ont joué un grand rôle dans la popularité de Raoult.

Pensez-vous que Raoult fera un jour son mea culpa sur la chloroquin­e ?

Non. Il ne reconnaîtr­a

jamais ses erreurs. Il a raison même quand il a tort.

Pourquoi le « sujet Raoult » a suscité l’intérêt des deux grands reporters que vous êtes ?

D’un point de vue journalist­ique, y a-t-il sujet plus intéressan­t que Raoult ? Non. Il incarne une France qui a basculé dans la Covid. Tous nos modes de vie ont changé, il est devenu une sorte de compagnon familier des Français, il entrait dans les foyers par la télévision, tout le monde ne parlait que de lui. On pense au dessin de presse de Caran d’Ache « Un dîner en famille » publié après l’affaire Dreyfus. Tout l’été, au moment où l’on s’est retrouvé, on se déchirait autour de lui dans les familles : parents, enfants, Sud, Nord, vieux, jeunes, avec des lignes de fracture imprévisib­les et c’est toujours passionnan­t. Même s’il ne fait pas de politique, Didier Raoult est un objet politique.

 ?? (Photo Gallimard) ??
(Photo Gallimard)
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Monaco