Monaco-Matin

Destremau se met à nu

Après Seul au monde, le skipper toulonnais évoque son nouveau voyage dans Retour en enfer. Le récit d’un combat qui s’achève par une leçon de sagesse et l’espoir d’un nouvel amour. Exaltant.

- PHILIPPE BERSIA Savoir + Retour en enfer paru aux éditions X.O. 262 pages, dont 16 de photos. Prix : 19,90 euros.

Vous avez aimé son premier voyage autour du monde et son livre Seul au monde ? Vous allez vraiment « kiffer » la suite. A l’issue d’une course de souffrance­s où il a été très vite ramené à ses insuffisan­ces – qu’il a payées au prix fort – Sébastien Destremau, l’iconoclast­e navigateur toulonnais, a continué d’accomplir son destin et sa mue. Avec ce nouveau récit, il évoque encore, le poids de son héritage familial, ses liens tortueux mais tellement humains avec ses frères, ses absences en tant que père mais aussi ses amours et, bien sûr, ses galères quotidienn­es. Son échec ? Quel échec ? « Ce que je pourrais ressentir comme un échec m’a réconcilié avec moi-même. La mer m’a vaincu mais j’ai repris la barre de mon destin. J’étais seul au monde, je ne serais plus jamais seul », affirme-t-il aujourd’hui, la course loin derrière lui.

Son voyage intérieur

Depuis son premier exploit qui a ému le grand public, Sébastien Destremau n’a pas vraiment changé. Mais il a cheminé, évolué et élargi ses horizons. Le Toulonnais qui avait beaucoup donné en 2016 lors de son premier Vendée Globe, ne cachant déjà pas grand-chose de sa vie et de ses états d’âme, s’est dépouillé du reste pour son retour dans l’enfer bleu.

Dans ce nouvel ouvrage, il ne retient rien, pour aller encore plus loin dans l’introspect­ion et tout partager de son voyage intérieur. Le style est direct, les textes « écrits au fil de l’eau », magnifiés par Henry Haget, son partenaire d’écriture, et l’on plonge directemen­t au coeur de l’action, pris, nous aussi, dans une tempête d’émotions.

Car l’histoire extraordin­aire de Sébastien va bien au-delà d’une simple épreuve sportive. Elle nous ramène aussi, implacable­ment, à l’essence de nos choix et de nos vies ordinaires.

Pour l’amour de Véronika

Mais qu’est-ce qui a pu pousser ce drôle d’oiseau à repartir sur un nouveau Vendée Globe, après avoir fini bon dernier la première fois ? Il s’est longtemps posé la question, et son périple lui a apporté des réponses qu’il dévoile dans cet ouvrage. Au-delà de son contexte familial et même de sa soif inextingui­ble d’aventures et de liberté, c’est tout simplement, l’amour de Véronika, la muse cachée de son premier Vendée Globe, qui l’a poussé à essayer de reproduire les conditions de leur rencontre. S’il est reparti dans

« L’âpreté de la lutte et les illusions perdues ont fait tomber mon égoïsme et mes humeurs de vieil enfant », Retour en enfer.

cette galère, ce n’était pas seulement pour dire Merci à tous ceux qui l’ont aidé dans sa vie et sa folle entreprise, mais bien pour essayer de la retrouver. En vain. Juste après le départ de sa « dame noire », il avait pourtant rencontré Marine. Le coeur encore déchiré par la perte de Véronika, il ne pensait pas pouvoir l’aimer comme elle le méritait, et croyait bien lui avoir dit adieu sur les pontons des Sablesd’Olonne. Comme à toutes les autres, pour préserver le plus important, sa liberté évidemment.

Mais au fil de ses pérégrinat­ions, de ses pensées et de ses galères, l’image de son infirmière particuliè­re finit par s’imposer comme une évidence, jusqu’à reléguer le fantôme de Véronika à un simple trait d’écume.

« À défaut de me conduire jusqu’à destinatio­n, mon périple m’a mené à l’essence même de mon être. L’âpreté de la lutte et les illusions perdues ont fait tomber mon égoïsme et mes humeurs de vieil enfant, assure aujourd’hui le corsaire des temps modernes. Il n’y a pas d’âge pour exercer la profession d’homme libre. Mais avec le poids des ans, c’est un dur métier. »

Peau après peau, galère après galère

Bien sûr, il se doutait que ce serait plus dur que la première fois. « Mais pas à ce point-là », confiet-il à son retour. Pour sa première, il s’était mis à nu, cette fois il a dû s’écorcher vif, nous livrant peau après peau, galère après galère, son ressenti et ses questionne­ments, seul au milieu du monde. « La deuxième fois, même guidé par une force immense, je me sens tout petit et c’est ça qui est grand », écrit-il ainsi dès le passage des Açores. Seul face à l’immensité. Il n’a alors accompli que 2,7 % du Vendée Globe et estime être déjà à 120 % de ce qu’il peut donner…

Bien sûr, avec ses moyens minimalist­es (300 000 euros de budget), il ne courrait après rien ni personne. Mais chaque jour de plus en mer était déjà une victoire. Encore qualifié in extremis, et parti des Sables-d’Olonne à l’arrache, selon son mode de fonctionne­ment préféré, Sébastien n’a quasiment eu aucun répit dans cette aventure à cause d’un problème de safran (secteur de barre placé trop bas), qui perturbera son pilote automatiqu­e dès le départ et finira par causer la rupture du système hydrauliqu­e de Merci. Cahin-caha, il nous raconte ainsi comment il est arrivé au cap de Bonne-Espérance, déjà quinze jours après les premiers, puis au niveau de l’Australie où l’attendaien­t deux de ses enfants, Jade et Marshall. L’envie de les rejoindre à Noël, la tentation de renoncer qui le disputait encore à l’orgueil de poursuivre pour ne pas décevoir tous ceux qui ont crû en lui, pour prolonger encore et encore le souffle indomptabl­e de l’aventure. Résilient, et toujours vivant...

Mais jusqu’ou et encore combien de temps ? Au soixante-neuvième jour, face à la Nouvelle-Zélande, Merci bricolé et colmaté de toute part, ne répond quasiment plus et Sébastien, bon dernier, évoque alors « un cadavre qui marche ». L’envie d’aller voir un peu plus loin ne l’a pas quitté. Mais l’humilité, la sagesse et la raison, des termes nouveaux dans son vocabulair­e de flibustier lui imposent alors de lâcher l’affaire, ce qu’il fait une fois reçue la bénédictio­n de ses frères. Impossible d’aborder les quarantièm­es rugissants et le cap Horn sans se mettre réellement en danger. Cette fois, son sort est scellé, il le sait. Et ses proches accueillen­t sa décision avec un immense soulagemen­t. La mort dans l’âme, Sébastien empanne vers les côtes néo-zélandaise­s. Sa déception est immense, à la hauteur de son investisse­ment. Mais elle ne fera pas long feu. Déjà, de nouvelles aventures et, surtout, un nouvel amour l’appellent. Désormais plus proche de tous ceux qu’il aime et enfin capable de leur dire, le voilà prêt à lui offrir sa chance.

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(Repro DR) assure aujourd’hui Sébastien dans
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