Monaco-Matin

Benjamin Lavernhe

« C’EST QUAND MÊME UN MÉTIER ÉTRANGE »

- CÉDRIC COPPOLA magazine@nicematin.fr

Dans Le Discours, film-concept de Laurent Tirard, le sociétaire de la Comédie Française interprète Adrien. Face à la caméra, il s’adresse directemen­t au public pour lui confier ses angoisses. Ce mercredi en salles.

Savoureux en futur marié (Le Sens de la fête), ami lunaire de François Civil (Mon inconnue), amant irresponsa­ble de Laure Calamy (Antoinette dans les Cévennes), prochainem­ent roi hautain (Délicieux)… Chaque apparition cinématogr­aphique du sociétaire de la Comédie Française marque les esprits mais celui-ci restait cependant cantonné aux seconds rôles. Une erreur désormais réparée, puisque Laurent Tirard lui confie le personnage d’Adrien dans son adaptation du roman Le Discours, de Fabcaro. Un film-concept où il s’adresse directemen­t au public, lui confie ses angoisses amoureuses et son appréhensi­on d’écrire cette fameuse allocution pour le mariage de sa soeur. À découvrir à partir de demain dans les salles obscures.

Le Discours s’appuie sur une structure particuliè­re, avec un personnage qui se mue souvent en narrateur, face à la caméra. Cela implique-t-il un jeu particulie­r ?

Ce n’est évidemment pas le premier film où il y a des regards caméra, mais c’est effectivem­ent omniprésen­t. Il y a un vrai choix de narration, intégré à la mise en scène, avec l’envie que ce parti pris tienne pendant une heure trente. Je ne cache pas que ça met une petite pression car cela exige d’embarquer les spectateur­s dans le passé d’Adrien, à partir de deux problémati­ques qui paraissent un peu légères : ‘‘pourquoi le texto de ma chérie n’arrive pas ?’’ et ‘‘Dieu sait que je n’ai pas envie de faire ce discours de mariage !’’ Ma responsabi­lité était donc de prendre en charge le récit, de dicter le rythme et de provoquer l’empathie, pour faire ressentir le désarroi et provoquer le rire.

La caméra vous intimide encore ?

Encore un peu, oui ! C’est quand même un métier étrange. Un texte, avec un peu de fatigue et pas suffisamme­nt su… et c’est l’échec. La caméra est un objet exigeant. Elle vampirise. C’est intimidant car elle capte tout ce qui se passe sur un visage et j’étais bien content de la ‘‘quitter’’ par moments pour m’adresser à mes partenaire­s assis de l’autre côté de la table !

Comment définissez-vous Laurent Tirard en tant que cinéaste ? On a l’impression qu’il fonctionne énormément par références.

Ce film ressemble beaucoup à son premier long-métrage

Mensonges et trahisons et plus si affinités...

avec Édouard Baer. Je trouve qu’il emprunte à plusieurs registres. On est dans un espace mental pas forcément réaliste. C’est très ludique ! Sur le plateau, il me parlait souvent des films de Michel Gondry par l’aspect décor en cartonpâte. La névrose du personnage fait aussi penser à Woody Allen et on ressent l’influence d’Alain Resnais. Laurent Tirard est très précis et on évoquait parfois ces références, tout en restant concentré sur ce que vit Adrien.

Mon Inconnue, Antoinette dans les Cévennes, Le Discours, prochainem­ent The French

Dispatch qui sera présenté à Cannes…. Vous semblez vous diriger de plus en plus vers du cinéma très contempora­in. Un exutoire au théâtre classique ?

Même si ce n’est pas systématiq­ue, le cinéma s’appuie souvent sur des scénarios originaux, alors qu’au théâtre, et d’autant plus à la Comédie Française, on joue majoritair­ement des pièces de répertoire­s, écrites par des auteurs anciens. J’aime jongler avec les deux, passer du naturalism­e à la fantaisie puis interpréte­r des alexandrin­s. Le style de jeu du cinéma, dans sa finesse, dans son introspect­ion, dans sa véracité nourrit le théâtre… et inversemen­t. Je suis en effet certain que la liberté technique que je trouve sur les planches me sert dans des films comme

Le Discours ,oùil faut avoir une gymnastiqu­e pour aller et venir entre la caméra, ses partenaire­s, faire le narrateur… Être souvent sur les planches me donne confiance sur la gestion de mon corps dans l’espace, sur ma voix, mon articulati­on. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles je conseille toujours aux acteurs débutants de commencer par là.

«Ilyaunvrai choix de narration, intégré à la mise en scène, avec l’envie que ce parti pris tienne pendant une heure trente »

Est-ce difficile justement de jongler entre la Comédie Française et les tournages ? Certains anciens pensionnai­res, comme Pierre Niney, ont quitté l’institutio­n pour se consacrer pleinement au e art…

C’est perturbant parce que le cinéma est un train qui passe une fois, deux fois… et après c’est fini. À l’heure actuelle, j’ai la chance de ne pas avoir à choisir, mais forcément, je n’exclus pas que ce dilemme, se pose à l’avenir. La Comédie Française est un temps plein. Il s’agit de mon employeur principal et l’institutio­n stipule bien “prêter” ses pensionnai­res et ses sociétaire­s. C’est parfois infantilis­ant mais in fine, assez logique puisqu’il y plus de

 levées de rideaux par an et qu’il faut que des comédiens soient là, heureux de jouer. La star, c’est la troupe. Alors, il peut y avoir un sentiment d’injustice quand on rate un premier rôle au cinéma pour une petite apparition au théâtre mais il est normal, dans un souci d’équité, que les rôles tournent… C’est une manière particuliè­re de faire ce métier. On est moins exposé mais c’est une expérience extraordin­aire. On vit ensemble des émotions fortes.

 ?? (Photo Olivier Pierre) ?? Benjamin Lavernhe dans la série télé Un entretien.
(Photo Olivier Pierre) Benjamin Lavernhe dans la série télé Un entretien.

Newspapers in French

Newspapers from Monaco