Monaco-Matin

La semaine de Claude Weill

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Dimanche

En affirmant qu’ «ils» (entendez le « système », l’oligarchie mondialisé­e) s’arrangent pour faire élire à leur guise des « petits Macron » tirés du chapeau, et que dans la dernière semaine de la campagne, comme en  et , «nousaurons un événement gravissime permettant de montrer du doigt les musulmans », Jean-Luc Mélenchon atteint la note de  sur l’échelle du « comme-par-hasard ». La seconde partie de cette prophétie conspirati­onniste, la plus choquante, sera la plus commentée. À elle seule, elle justifiera­it l’invention du concept galvaudé d’islamogauc­hisme. Je n’y reviens pas. La première, réduisant la vie électorale à un trompe-l’oeil, un théâtre de marionnett­es actionné par la main invisible du « système », mérite qu’on s’y arrête. Car c’est la démocratie représenta­tive même qu’elle met en cause. Derrière la trivialité complotist­e du propos, il faut avoir l’oreille fine et un peu de mémoire historique pour retrouver l’écho de la bonne vieille rhétorique marxiste-léniniste selon laquelle la démocratie dite « bourgeoise » n’est qu’un simulacre, un faux-nez servant à masquer et légitimer le pouvoir de l’oligarchie capitalist­e. Élections, piège à cons !

La question est de savoir si le trotskisme, variant du léninisme, est compatible avec notre démocratie représenta­tive. La plupart des trotskiste­s historique­s, implicitem­ent comme Lionel Jospin, explicitem­ent comme mon cher et regretté Henri Weber, ont choisi et abjuré le credo révolution­naire de leur jeunesse : le pouvoir se conquiert dans les urnes, pas dans la rue.

C’est beaucoup moins clair pour Mélenchon, qui joue alternativ­ement sur les deux tableaux. Disons que ça dépend des circonstan­ces. Et du résultat des élections…

Mercredi

Permission de  heures ! Cinéma (Nomadland, magnifique !). Puis flânerie au hasard. Longtemps que je n’avais pas connu ma ville aussi gaie, animée, vivante. Les terrasses débordent. La rue est à tout le monde.

Les jeunes, en bande, se frôlent et s’embrassent. Le temps est si doux, les robes si légères. Deux apprenties comédienne­s déclament leur texte. « Marivaux ou Molière, Monsieur ? – Musset ! » Elles éclatent de rire. Onze heures sont passées et tout le monde s’en fiche… Toutes proportion­s gardées, cela devait ressembler un peu à ça, la Libération, non ? Cette euphorie fait presque peur. Il y a un an, déjà, on a cru que c’était fini. Qu’on était tiré d’affaire. Le pire restait à venir. Ne pas refaire les mêmes erreurs. Nous ne sommes qu’en convalesce­nce. La pandémie n’est pas finie. À Moscou, à Santiago du Chili, les contaminat­ions flambent. Elles redécollen­t à Londres, où le variant indien, super-contagieux, a chassé l’anglais.

Bien sûr, nous avons la vaccinatio­n. Mais même avec trente millions de vaccinés mi-juin (qui y croyait ?), nous sommes encore loin de l’immunité collective. Seule une vaccinatio­n massive nous en rapprocher­a. Il ne faudrait pas que le recul de la peur pousse les gens à renoncer.

En attendant, ne faisons pas les idiots. Masques dans les lieux clos et les endroits bondés. Gestes barrière

et tout le toutim.

Mais ce soir, on n’a pas le coeur à jouer les rabat-joie.

Jeudi

Quatre mois ferme,  avec sursis. Loin des  mois ferme requis par le procureur. L’auteur de la gifle ne s’en tire pas mal. Dans les régimes autoritair­es qui semblent le fasciner, ça se serait compté en années. Le procès n’aura pas permis d’y voir beaucoup plus clair sur ses motivation­s politiques. Sans doute parce qu’il n’y voit pas très clair luimême. Marine Le Pen a parlé d’une

« bouillie idéologiqu­e» . C’est bien résumé. Un mélange de références d’extrême droite, de culture gilet jaune, de ressentime­nt contre le système. Des sujets d’intérêt allant de Staline à Hitler, une fascinatio­n pour la chevalerie médiévale, les mangas, les arts martiaux, et une étrange curiosité pour le négationni­sme… Plus le prévenu s’expliquait, plus paraissaie­nt hors sol les débats médiatique­s sur la prétendue « significat­ion » de son geste. Sociologie de pacotille. Faire de ce marginal sans emploi, un peu paumé dans sa tête, un représenta­nt de la colère du peuple, c’est lui tailler un costume bien trop large. S’il est représenta­tif de quelque

chose, c’est de la confusion intellectu­elle qui se répand, dans un pays où beaucoup de repères ont sauté. Extrême droite, extrême gauche, pour beaucoup, désormais, ça ne fait plus guère de différence : le mot important, c’est « extrême ».

Pour moi, la vérité du geste de ce Damien T. se lit moins dans ses motivation­s confuses que dans son récit des faits : « Il s’est dirigé vers moi. J’ai vu son regard sympathiqu­e et menteur qui voulait faire de moi un potentiel électeur… » Et si la vraie raison de son passage à l’acte, c’était la peur de se laisser subjuguer, dépouiller de la carapace qu’il s’est fabriquée ?

« J’imagine qu’une des raisons pour lesquelles les gens s’accrochent si obstinémen­t à leurs haines est qu‘ils sentent qu’une fois la haine disparue, ils devront faire face à leurs souffrance­s. » (James Baldwin).

« Faire de ce marginal sans emploi, un peu paumé dans sa tête, un représenta­nt de la colère du peuple, c’est lui tailler un costume bien trop large »

Samedi

Farine pour Mélenchon. Encore un agité : « Souveraini­ste de gauche », dit-il. Ce qui pourrait presque définir… Mélenchon. Allez comprendre!

Quelques jours plus tôt, c’était le tour François de Rugy, à Nantes. À Arles, hier, un candidat RN aux départemen­tales a été agressé, un colleur d’affiches blessé.

Il y a une contagion de l’intoléranc­e et de la haine. C’est fragile, la démocratie. Tout ce qui l’affaiblit est un pas vers l’ensauvagem­ent du monde.

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Journalist­e, écrivain et chroniqueu­r TV edito@nicematin.fr

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