Monaco-Matin

MAZARINE SANS SECRET

L’interview sans concession de la fille de François Mitterrand En dédicace au salon du livre de Cap-d’Ail

- PROPOS RECUEILLIS PAR JOELLE DEVIRAS

Quelques heures avant de dédicacer son dernier roman Et la peur Continue, dans le cadre de la cinquième Nuit Blanche des livres organisée samedi par la Villa Les Camélias de Cap-d’Ail, Mazarine Pingeot s’est confiée aux membres du Monaco Press Club. Ses questionne­ments quant à son travail d’auteure, sa passion pour la philosophi­e, la relation qu’elle entretenai­t avec son père François Mitterrand, sa vie cachée puis dévoilée… Rencontre avec Mazarine.

Vous êtes une auteure prolixe. Écrire, est-ce une nécessité ?

L’intérêt de l’écriture, c’est d’arriver à dire des choses qui généraleme­nt se passent de mots ou qui ne sont pas de l’ordre du langage. Soit parce que cela ne semble pas intéressan­t, comme le quotidien par exemple. Et là, seule la littératur­e est capable de lui offrir cet espace. Ou parce que dire est parfois difficile. Il s’agit alors d’être juste par rapport à une émotion. Il y a donc toujours une dimension autobiogra­phique puisque nous sommes traversés par ces émotions, sans qu’elles ne s’incarnent dans un vécu.

Dire, écrire : quelles différence­s pour vous ?

Écrire est une manière de dire des choses que je ne pourrais pas exprimer autrement. Quand on écrit un roman, il se passe plein d’autres choses qu’un simple exercice de communicat­ion. C’est une manière de parler à nulle autre pareille. L’écriture a à voir avec le silence et fait sortir quelque chose qui, sinon, ne serait pas dit. Je suis très guidée par un désir de précision. Je sens l’obligation d’être précise dans les sentiments, dans les descriptio­ns…

Cette nécessité d’écrire, de dire, ne trouve-t-elle pas sa source dans votre enfance si singulière ?

Oui, je pense. C’est ce qui irrigue tous mes livres. C’est pour cela que la question du dire et de l’écrire est pour moi importante. Elle résonne en moi. J’ai vraiment commencé à écrire lorsque je me suis autorisée à transgress­er le secret. Secret qui était déjà éventé. Mais il m’a constituée. Parvenir à dire, écrire, était à la fois totalement nécessaire et compliqué.

Comment avez-vous été élevée, par votre mère Anne Pingeot, autour de ce secret ?

J’ai l’impression qu’il ne m’a rien été demandé. J’ai grandi alors que le secret était déjà là. Il m’a précédé. L’histoire de mes parents était secrète. Je suis arrivée dans un contexte établi, construit. C’est mon biotope naturel. C’est même l’inverse qui m’angoisse toujours un petit peu. Je n’ai pas eu à apprendre à me taire. Quand, enfant, vous voyez votre mère qui n’accompagne pas votre père dans la sphère publique, vous avez vite compris. Et tandis qu’à la maison, tout est normal, vous comprenez qu’il y a deux espaces bien séparés.

On célèbre cette année les  ans de l’élection présidenti­elle de votre père. Avez-vous un souvenir précis de ce  mai  ?

J’avais six ans. Je me souviens que j’étais à la maison avec ma mère. Mon père a appelé ma mère vers  h . Elle était très émue et très angoissée. Puis nous avons regardé la télé. Mes oncles et tantes sont passés me chercher pour aller faire la fête. Et ma mère a refusé parce qu’il y avait école le lendemain.

Y a-t-il eu un père avant et un père après l’élection ?

Nous avons déménagé pour être dans un lieu sécurisé. Mais, étrangemen­t, et contrairem­ent à ce que craignait ma mère, nous avons vécu de façon beaucoup plus normale après. Mon père rentrait tous les soirs. Le secret restait, mais la vie quotidienn­e était normalisée.

Est-ce votre père qui vous a donné l’amour de la lecture et de l’écriture ?

Je pense… Mais c’est difficile de savoir cela. Mes enfants, par exemple, détestent lire alors qu’ils sont entourés de livres à la maison. Moi-même, jusqu’en e, je détestais lire. Mes parents en étaient très inquiets. Je n’ai rien lu de la littératur­e « jeunesse ». Je l’ai découverte par Sartre et Camus ; donc assez tard. Ce fut une révélation. Mon père m’a alors initiée aux grands romans du XIXe siècle. J’ai peutêtre commencé à lire parce que j’étais assez seule.

Jeune, lisiez-vous les écrits de votre père ?

Pas du tout ! D’ailleurs, je ne les ai toujours pas lus. C’est difficile de lire les livres de ses parents ou de ses enfants parce qu’on va y chercher toujours autre chose.

Cet amour de votre père pour la lecture était-il grand à ce point ?

Oui, j’ai toujours vu mon père lire plusieurs livres en même temps.

Avez-vous été peinée de voir la collection de livres du XXe siècle de votre père partir aux enchères en  ?

Ma mère a ceux du XIXe. Mon père était un vrai collection­neur. Moi, je ne suis pas du tout bibliophil­e. Voir l’objet qui prend le pas sur le livre lui-même, c’est angoissant pour moi. Ces livres ne m’appartenai­ent pas. Chacun fait ce qu’il veut de son héritage.

Quel rapport avez-vous avec la politique ?

Ça m’intéresse vraiment, mais toujours par un détour. Comme professeur de philo, j’aborde beaucoup la politique. J’observe, je discute… J’ai une relation un peu compliquée avec la politique telle qu’elle se pratique. C’est un lieu de grande violence. Je m’en suis toujours éloignée.

Une carrière politique ne vous aurait-elle pas tentée ?

Je ne crois pas. Sinon, je l’aurais fait. Je regrette par contre de ne pas avoir connu l’exaltation des campagnes, des victoires, l’enthousias­me des foules…

Avec mon père, j’étais trop jeune et de manière toujours ambivalent­e. J’ai un engagement politique mais ça s’arrête là. Être au pouvoir, ce n’est plus être dans la bataille. C’est prendre des coups. Je crois que ce n’est pas le meilleur moment.

Vous vous souvenez de ce moment où votre existence a été révélée publiqueme­nt ?

Oui bien sûr. C’était horrible. C’était une déflagrati­on. J’avais grandi dans le secret ; ce qui avait construit mon rapport au monde. J’avais l’impression d’avoir moimême oeuvré pour protéger quelque chose, sans doute ai-je eu tort. J’y ai mis beaucoup d’énergie. Et quand, du jour au lendemain, mon visage, qui ne devait jamais apparaître, était partout affiché, c’était atroce en fait ! Du jour au lendemain, votre identité change.

N’était-ce pas un mal pour un bien ?

Je préfère évidemment la situation actuelle ; parce que cacher son identité est destructeu­r.

Comment on se sort de ce traumatism­e ?

Il faut du temps. J’ai quand même eu la chance d’être très bien entourée. D’avoir des parents très aimants. J’avais de très bons amis. J’étais plongée dans mes études et c’était aussi une manière de se protéger.

Votre père était un ami de Monaco. Il est venu dès  pour une visite officielle et a notamment élargi les eaux territoria­les monégasque­s.

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J’ai vraiment commencé à écrire lorsque je me suis autorisée à transgress­er le secret”

Je crois qu’il aimait effectivem­ent bien venir ici mais nous n’avons jamais séjourné à Monaco ensemble. Il faut comprendre qu’ici, c’était difficile de passer incognito.

Comment faisiez-vous pour partir en vacances ensemble ?

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J’ai toujours vu mon père lire plusieurs livres en même temps”

Nous partions soit à l’étranger, soit dans la famille. Mes grandspare­nts avaient une maison à Hossegor et mon père résidait à côté, à Latche. Après, il avait une maison en Provence. On ne sortait pas.

Avez-vous fait lire quelques-uns de vos écrits à votre père ?

Pas de roman malheureus­ement. Oui, il lisait mes dissertati­ons. Il était tellement bon public que je ne sais pas si cela m’a permis de grandir en écriture. Mais il y avait ce plaisir d’échanger cela.

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 ?? (Photo Cyril Dodergny) ?? Mazarine Pingeot, ici dans le jardin de la villa Les Camélias, à Cap-d’Ail.
(Photo Cyril Dodergny) Mazarine Pingeot, ici dans le jardin de la villa Les Camélias, à Cap-d’Ail.

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