La loi Climat va-t-elle couler la pub sur l’eau ?
Seul en Europe, selon lui, à faire de la réclame via un bateau, le patron azuréen de Boatcom pourrait voir son activité interdite. Les discusssions entre sénateurs et députés décideront de son sort…
Bateau sur l’eau, la réclame au fond de l’eau… On connaissait la comptine ! Pas son détournement sur fond d’examen au Parlement de la loi « Climat et résilience », portée par la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili.
Ce projet de loi traduit celles des 146 propositions de la Convention citoyenne pour le climat qu’Emmanuel Macron avait retenues. Et l’une des mesures concerne l’interdiction des avions publicitaires ainsi que leur variante maritime : les bateaux « sandwich ».
« Ça me paraissait vertueux ! »
Un enjeu « tout petit bout de la lorgnette » qui ne résoudra pas la question du climat, mais donne le sentiment désagréable à Jean-Pierre Nevoret, le fondateur de Boatcom, société basée à La Roquette-sur-Siagne, qu’il est, dans sa catégorie, l’unique cible en France de ce texte de loi qui sera voté le 29 juin prochain : « Ma mère, tout petit déjà, me disait que j’aimais me faire remarquer, mais à ce point… ! Je suis le seul en Europe, donc en France, à exploiter un bateau publicitaire… et on fait une loi juste pour moi ? ! » Exagération façon sardine qui bouche le port de Marseille ? Le patron de Boatcom s’en défend. Son histoire a bientôt trois ans. Avec deux ingénieurs, Jean-Pierre Nevoret concrétise le concept qu’il a en tête depuis longtemps : concevoir un bateau, en l’occurrence un catamaran en aluminium recyclable de 12 mètres de long et 4 mètres de large, à double face : sous le pont, fixé entre les deux flotteurs, un filet pour collecter les déchets plastiques et autres saletés qui polluent la Méditerranée ; sur le pont, un écran LED géant de 8 mètres sur 4, sur lequel il entend diffuser de la publicité. « L’économie finance l’écologie, ça me paraissait vertueux. » Depuis trois ans, son Boatcom vogue le long des plages de Fréjus, puis, depuis le printemps, à 200 mètres de celles de Cannes, ramassant tout à la fois les déchets dans ses filets, et des clients pour les commerçants qui ont acheté des spots de pub diffusés sur son écran de32m2.« À Fréjus, tout s’est toujours bien passé. Comme je l’ai fait à Cannes sans succès, je proposais d’ailleurs aux communes du secteur des temps de passage gratuit sur mon bateau écran, leur permettant de promouvoir leur politique environnementale, sanitaire ou leurs événements. »
L’écueil cannois
Mais quand, il y a quelques semaines, Jean-Pierre décide de changer de cap et de naviguer en baie de Cannes, l’histoire n’est plus la même. Dénonçant une grave pollution visuelle, David Lisnard s’en émeut. Le préfet maritime est saisi. Pour cause de vide juridique absolu en la matière, l’homologation accordée à Boatcom est confirmée…
Mais c’était sans compter sur l’examen de la loi Climat, arrivée au Sénat lundi dernier. « Un truc de fou, s’emporte le patron de Boatcom. Sur des sujets majeurs, concernant la sécurité, la santé ou je ne sais quoi, il faut des mois voire des années pour que le Parlement légifère ; là, sur mon bateau, le seul en activité sur les côtes française, on légifère en quelques jours ! »
(1) Alors, le Boatcom constitue-t-il un habile greenwashing ou un vrai
(2) modèle économique d’un combat écodurable ?
La ministre compte sur la navette
Pour la ministre Barbara Pompili, il s’agit tout au plus d’une « pure provocation » :« Nous envisageons de lutter contre toutes les pollutions visuelles que génère dans nos vies quotidiennes et de façon de plus en plus intrusive la publicité. Celle des écrans numériques qui fleurissent dans les boutiques et diffusent des spots sur la voie publique sans que nul, notamment les maires, ne puisse la réguler. Contre les avions publicitaires. Et voilà qu’on nous rajoute le concept des bateaux, et que le Sénat met son veto à cette interdiction que nous prévoyons au 1er janvier 2022. Je le redis, il s’agit là d’une provocation ! » La fermeté de Barbara Pompili n’est sans doute pas faite pour atténuer la colère de Jean-Pierre Nevoret. Pour l’heure, sa pub peut toujours voguer le long des golfes bleus, mais la ministre n’a pas dit son dernier mot et escompte qu’au terme des navettes entre le Sénat et l’Assemblée nationale, la « réclame maritime » soit définitivement jetée au fond de l’eau !
1. En réalité, le projet de loi a été présenté par le gouvernement le 10 février dernier, et voté en première lecture par les députés le 4 mai. 2.Tactique consistant à utiliser l’argument de l’écologie pour se donner une image « verte » trompeuse.