Serge Klarsfeld : « Nos libertés sont toujours en danger »
L’avocat et historien, rescapé du nazisme et aujourd’hui âgé de 86 ans, présidait hier à Nice les commémorations du 18 Juin. L’occasion pour Serge Klarsfeld de rappeler les dangers de l’extrémisme.
Quel est votre message ?
Le général de Gaulle a su réagir le juin . Il a donné un exemple remarquable de réaction d’un citoyen face à une situation apocalyptique. Mais chaque citoyen, dans le cadre de sa vie civique, peut lui aussi lutter contre ce qu’il y a de plus dangereux dans la vie politique, c’est-à-dire les extrémismes. L’extrémisme de gauche a donné le goulag. Et l’extrémisme de droite a donné les camps d’extermination. Mon message, c’est qu’il faut défendre la démocratie en luttant contre les extrémismes de tous bords.
Comment l’entretenir ?
De même que le général de Gaulle a entendu le message de Jeanne d’Arc – car c’est le même message de la défense de la grandeur de la France –, à notre époque contemporaine, il faut continuer de défendre les libertés, privilège des grandes démocraties, qui sont toujours en danger. On ne s’en rend pas compte. Les nouvelles générations ont du mal à le réaliser car la guerre est loin. Nous en avons eu trois en ans. Puis nous avons bénéficié de ans de paix, de prospérité, de protections sanitaires et sociales. Il faut défendre ces acquis. Notamment pour tous ceux qui se sont battus pour. Car si ce n’est pas la République, ce sera un régime autoritaire, voire totalitaire et fascisant qui se mettra en place. Comme celui que j’ai connu…
Notamment à Nice…
J’ai vécu alors que j’étais à Nice ce régime totalitaire qu’était l’Allemagne hitlérienne. J’étais alors obligé de marcher d’un côté de la rue et ma mère de l’autre, juste parce qu’elle avait un accent russe. Si on l’interrogeait, elle risquait de se faire arrêter et elle ne voulait pas que l’on puisse m’arrêter aussi. Quelques mois après la guerre nous sommes partis en Roumanie. Là, c’est le régime totalitaire d’extrême gauche que j’ai découvert. J’en tire la conséquence que les peuples heureux sont les rares peuples qui bénéficient de la démocratie.
Fayard réédite Mein Kampf, vous ne vous y opposez pas…
Au contraire. Il fallait une édition critique, pédagogique, pour expliquer d’où venait Hitler et sa pensée politique. Pour comprendre comment on en est arrivé à cette catastrophe. Or dans Mein Kampf, Hitler expose déjà ce programme belliciste, criminel, extrêmement violent et que personne n’a pris au sérieux. Il fallait rétablir la vérité et l’accompagner de notes critiques qui démontrent les mensonges d’Hitler et les faiblesses de sa pensée politique. Toutes les précautions ont été prises. Ce livre ne s’appelle d’ailleurs pas Mein Kampf mais Historiciser le mal ,ce qui montre bien le parti pris des auteurs. C’est une arme qui permet de comprendre comment les démagogues peuvent arriver à prendre le pouvoir légalement.
L’éviter dépend de l’engagement de chacun ?
Dans nos démocraties, l’éducation que l’on reçoit devrait normalement former les citoyens à avoir un esprit critique et ne pas céder à leurs propres mécontentements.
C’est ce que vous constatez aujourd’hui en France ?
J’ai l’impression que les mécontentements individuels – face à l’accélération des moeurs qui changent, d’un monde en mutation technologiquement, d’un monde où on s’habitue à la violence parce qu’on la voit en images –, fragilisent le citoyen. Ça le rend plus sensible à ses propres pulsions. Et quand il n’y a plus ces références à la guerre, à la souffrance, aux méfaits de la violence et de l’intolérance, le citoyen est moins encadré du point de vue de la morale politique.