Remous politiques autour de l’allocation aux handicapés
L’exécutif a forcé les députés à adopter « telle quelle » la proposition de loi sur le sujet, alors que de nombreux parlementaires souhaitaient la modifier.
Le gouvernement a contraint jeudi l’Assemblée nationale à voter, dans une ambiance survoltée, une révision du calcul de l’Allocation adulte handicapé (AAH) pour les personnes en couple en écartant son « individualisation », une mesure pourtant largement soutenue dans l’hémicycle et par le monde associatif. Autrement dit, les revenus du conjoint continueront, comme aujourd’hui, d’être pris en compte pour le calcul de l’AAH. Une situation qui amène certains bénéficiaires à devoir choisir entre vivre en couple, au risque de voir leur indemnité diminuer ; ou la conserver, mais en renonçant sur le plan légal à leur liaison.
Les sénateurs LR veulent continuer le combat
Au lieu de ne pas prendre en compte les revenus du conjoint, le gouvernement souhaite un abattement forfaitaire de 5 000 euros sur ces derniers. Une formule jugée « plus redistributive » : selon la secrétaire d’État aux Personnes handicapées, Sophie Cluzel, elle permettrait à 120 000 couples bénéficiaires de recevoir en moyenne 110 euros net par mois en plus.
Face à une vive contestation, y compris dans la majorité, le gouvernement a demandé un report du vote, puis a utilisé le voté bloqué, ne laissant aux députés d’autre choix que de voter sans retouche la version approuvée par l’exécutif.
Le texte doit maintenant repartir au Sénat ou, plus probablement, être intégré au prochain budget de la Sécu pour une application au 1er janvier. Le rapporteur du texte à la chambre haute, Philippe Mouiller, a toutefois déclaré hier qu’« après discussion avec [le président du Sénat] Gérard Larcher, le groupe Les Républicains et [son président] Bruno Retailleau veulent continuer le combat ».
La veille, en tout cas, cette décision a provoqué de vifs remous à l’Assemblée. Pour protester, droite et gauche ont quitté l’hémicycle. « C’est politicien, c’est nul », s’est indignée la communiste Marie-George Buffet, à l’unisson de nombreux élus sur tous les bancs, qui ont dénoncé des « artifices de procédure » et, sur un sujet aussi sensible, une « faute morale ». Les accusations ont volé de part et d’autre durant les quatre heures de cette séance électrique, dédiée à la deuxième lecture de ce texte, qui avait été initié par le groupe « Libertés et Territoires » l’année dernière, et a été repris jeudi dans le cadre d’une « niche » du groupe communiste.
« C’est le droit à l’autonomie des personnes handicapées qui est au coeur du débat », a plaidé le communiste Stéphane Peu, co-rapporteur. Sur la même ligne, de très nombreux députés, de La France insoumise jusqu’aux Républicains, ont demandé de mettre fin à une « situation inique ».
« Un portefeuille à la place du coeur »
En face, la secrétaire d’État aux Personnes handicapées, Sophie Cluzel, qui a rappelé qu’elle était mère d’une fille handicapée, a dénoncé « une vision misérabiliste du handicap » ,et assuré vouloir promouvoir des « droits réels » face aux tenants de « droits incantatoires ». En retour, François Ruffin (LFI) a accusé le gouvernement
d’avoir « un portefeuille à la place du coeur ».
Au sein même de la majorité, quelques-uns hésitaient sur leur vote, notamment côté Modem. Des divisions illustrées par les positions, au sein de LREM, du député Alexandre Holroyd et du secrétaire d’État aux Familles, Adrien Taquet. Le premier a estimé que l’individualisation de cette allocation bénéficierait « aux couples aux revenus les plus élevés, sans améliorer la condition des plus fragiles », faisant 44 000 perdants ; le second s’est, à l’inverse, prononcé récemment à titre « personnel » en faveur de la «déconjugalisation ».
L’association « APF France Handicap », a de son côté dénoncé «un coup de force honteux qui méprise les personnes en situation de handicap. Inacceptable. »