Monaco-Matin

Armageddon, avec Bruce Willis, ça ne marche pas… ”

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Les astronomes l’ont baptisé Apophis. C’est un gros caillou d’environ 380 mètres de diamètre. Du genre que l’on ne voudrait pas prendre sur la tête. En avril dernier, Apophis est pourtant passé tout près de nous. À quelque 30 000 kilomètres. Il se trouvait alors douze fois plus près de la Terre que la Lune. Une paille à l’échelle de l’univers. Suffisante néanmoins pour éviter une collision… Jusqu’à la prochaine fois, du moins.

Car les scientifiq­ues le savent : Apophis reviendra nous rendre visite. Voilà pourquoi Paolo Tanga, une astronome de l’Observatoi­re de la Côte d’Azur, en collaborat­ion avec des collègues parisiens, mais aussi grecs, brésiliens et américains, a profité de son passage pour observer attentivem­ent cet astéroïde. Grâce à une technique remise au goût du jour par la mission Gaïa de l’Agence spatiale européenne (ESA), la méthode des occultatio­ns stellaires, dont le laboratoir­e azuréen s’est fait une spécialité. Un travail de très haute précision puisqu’il revient à «mesurer la taille d’une pièce d’un euro à une distance de 1 000 km ! » La fenêtre d’observatio­n n’a duré qu’un dixième de seconde. Et en ce laps de temps, les chercheurs ont réussi à récolter suffisamme­nt d’informatio­ns pour calculer avec précision la trajectoir­e d’Apophis. Avec une bonne nouvelle à la clé : il n’y a pas de risque que cet astéroïde vienne heurter la Terre au cours des cent prochaines années.

Tir de canon sur un astéroïde

L’alerte peut donc être levée ? Pas vraiment, en réalité. Car des Apophis, il y en a des milliers qui gravitent autour de nous. « Certains mesurent plus d’une dizaine de kilomètres de diamètre », confie le Pr Philippe Stee, directeur de l’unité mixte de recherche Joseph-LouisLagra­nge, l’un des trois laboratoir­es de l’Observatoi­re de Nice. Qu’adviendrai­t-il si l’un d’eux prenait la direction de notre planète ? « La probabilit­é est faible, mais elle existe, souligne ce chercheur. Une telle collision, si elle venait à se produire, menacerait d’extinction notre civilisati­on. Comme pour les dinosaures, il y a des millions d’années. C’est pourquoi on ne peut pas se permettre d’attendre. » Un réseau de satellites dédiés scrute déjà l’obscurité afin de détecter ces menaces venues du fin fond de l’univers. Reste à savoir comment nous en viendrions alors à bout.

« Le scénario d’Armageddon, avec un Bruce Willis qui irait déposer une bombe nucléaire sur l’astéroïde, ça ne marche pas, prévient ce scientifiq­ue. D’abord parce que dans l’espace, il n’y a pas d’effet de souffle, rappelle-t-il. Ensuite, parce que des traités internatio­naux en Europe nous interdisen­t d’envoyer des engins nucléaires dans l’espace. Imaginez ce qui se passerait en cas d’incident au décollage. Enfin, parce que même si on parvenait à fracturer l’objet stellaire en plusieurs morceaux, on ne ferait en fait que multiplier les problèmes. » La solution serait d’arriver à dévier la menace. Et c’est précisémen­t ce que va bientôt tenter de faire l’Observatoi­re de la Côte d’Azur. « Nous sommes responsabl­es d’une mission spatiale de l’ESA, en collaborat­ion avec la Nasa », dévoile Philippe Stee. Dans quelques mois la mission Dart (Nasa) va être lancée, puis dans quelques années, la mission Hera (ESA) prendra son envol pour rejoindre un petit astéroïde binaire. « Nous allons, en quelque sorte, tirer un boulet de canon dessus. Et nous reviendron­s le voir trois ans plus tard pour constater les effets que cela a eu, si on a fracturé l’objet ou mieux, si on l’a dévié de sa trajectoir­e », explique le chercheur azuréen.

Cela revient à mesurer une pièce d’un euro àkm!”

Matisse, des salles blanches du Mont-Gros au Chili

Plusieurs milliers de tonnes de matière extraterre­stre gravitent ainsi au-dessus de nos têtes. «Le plus dur est d’arriver à les voir » ,notele directeur du laboratoir­e Lagrange. Or, l’impression­nante lunette astronomiq­ue qui se cache sous la coupole du Mont-Gros, construite en 1885 par Gustave Eiffel en personne, n’y suffit plus. Sa lentille de 76 cm reste l’une des plus grosses au monde, mais cet instrument d’optique a depuis été supplanté par les télescopes et leurs miroirs géants, capables de mieux capter la lumière. Les plus gros font jusqu’à dix mètres de diamètre. Mais là encore, les chercheurs azuréens sont à l’origine d’une petite révolution qui risque de bouleverse­r nos connaissan­ces sur l’univers.

Le projet Matisse aura mobilisé durant près de 15 ans une vingtaine de chercheurs et d’ingénieurs du laboratoir­e. Sur le plan internatio­nal, ce sont plus de 120 personnes qui ont travaillé ensemble. «Ce dispositif a été élaboré ici, dans nos salles blanches du Mont-Gros, s’enorgueill­it Philippe Stee. Il permet de combiner quatre télescopes de 8 mètres de diamètre, et d’exploiter même la distance qui les sépare, pour au final obtenir l’équivalent d’un super télescope de 200 mètres ! » Matisse a été installé l’an passé au Chili. Mais la crise sanitaire a retardé son utilisatio­n. «Les observatio­ns vont désormais pouvoir reprendre. » À la grande joie des astronomes de l’Observatoi­re de Nice. Et pour cause : « Comme c’est nous qui l’avons mis au point, nous avons obtenu, en rétributio­n de ces années de travail, du temps d’observatio­n. Nous allons pouvoir exploiter en exclusivit­é les premières acquisitio­ns de Matisse avant qu’elles ne soient partagées avec le reste de la communauté scientifiq­ue internatio­nale », explique le directeur de l’UMR Lagrange, qui espère bien que ses équipes profiteron­t de cette longueur d’avance « pour être les premiers à faire de nouvelles découverte­s »…

À la recherche d’une forme de vie extraterre­stre

Et pourquoi pas atteindre «leSaint Graal de l’astronomie » en identifian­t, à travers cette immensité,

 ?? (Photo Frantz Bouton) ?? Le Pr Philippe Stee dirige l’unité de recherche Lagrange, à l’origine de nombreuses découverte­s.
(Photo Frantz Bouton) Le Pr Philippe Stee dirige l’unité de recherche Lagrange, à l’origine de nombreuses découverte­s.

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