Monaco-Matin

« Un jour, mon père m’a dit : Astérix n’existe pas ! »

À l’occasion de l’exposition Uderzo, comme une potion magique, qui se tient tout l’été à Paris, Sylvie Uderzo, fille du papa d’Astérix, décédé en mars 2020, a accepté d’ouvrir sa boîte à souvenirs.

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE MINARD Exposition Jusqu’au 31 septembre, au Musée Maillol, 61, rue Grenelle à Paris (75007).

Alors que le premier album d’Astérix a été publié il y a 60 ans, une belle et grande rétrospect­ive retrace l’incroyable carrière d’Albert Uderzo. Sa fille, commissair­e de l’exposition, nous raconte ce père pas comme les autres, autodidact­e de génie, qui en rencontran­t par hasard René Goscinny, a donné vie au gaulois le plus connu dans le monde entier.

Cette exposition est-elle une consécrati­on ? Celle de votre père bien sûr, qui n’avait jamais connu de rétrospect­ive, celle aussi d’un genre pas toujours reconnu comme un art ?

L’idée de cette exposition a d’abord été de lui rendre hommage après son décès. Nous avons pensé, avec ma mère, que cette exposition était le meilleur moyen de le faire. C’était surtout très attendu par ses lecteurs qui nous écrivaient beaucoup pour réclamer un tel événement. Nous avons donc pensé que le plus judicieux était de retracer sa carrière profession­nelle, de manière chronologi­que, mais aussi de raconter les étapes de sa vie d’homme. Pour beaucoup, Uderzo, c’est l’histoire d’Astérix (né en ) mais il a eu avant une grosse constructi­on pour en arriver là.

Comment avez-vous choisi les planches ?

Cela a été le moment le plus complexe. Comme c’était peu de temps après son décès, il nous a été un peu difficile émotionnel­lement de revoir tous ses dessins. Nous avons pris soin, et c’était difficile tellement il y en a, de choisir des planches en fonction de l’architectu­re, de la mise en scène et des albums très mythiques. L’occasion d’observer que ses personnage­s sont toujours en mouvement. Les gens ont de plus le plaisir de les découvrir dans le format original.

L’exposition nous montre que dès l’enfance, Uderzo ne faisait qu’une chose, dessiner…

C’est de l’inné total ! C’est un autodidact­e qui prenait tout ce qu’il avait à portée de main (à l’époque il n’y avait pas trop de papier), comme les planches de bois de l’atelier de son père, qui était luthier, pour peindre et dessiner. Il dessinait sans arrêt. Il aimait répéter : « Je suis né daltonien, avec six doigts à chaque main, et le dessin en plus ! »

Avant la naissance des deux Gaulois, il s’est beaucoup cherché…

En fait, il ne s’est pas cherché, il a surtout cherché à travailler ! Souvent pour des raisons alimentair­es, mais aussi pour prouver à son papa qu’il pouvait faire autre chose que travailler avec lui. Quand il trouvait une annonce quelque part, il y fonçait tout de suite. Raison pour laquelle on voit dans l’exposition tellement de styles différents. C’était un dessinateu­r d’instant avec un talent insensé qui s’adaptait à tous les styles ! Ses illustrati­ons de faits divers pour France Dimanche sont tellement extraordin­aires et détaillées qu’il a été poursuivi pour incitation au vol…

La rencontre Uderzo-Goscinny, c’est un miracle du style Lennon-McCartney ?

Exactement ! Ces deux jeunes garçons timides se rencontren­t en  par pur hasard. Il y a une telle alchimie entre eux qu’ils se sont adoptés tout de suite. Sur le plan profession­nel, leur complément­arité a été exceptionn­elle. Et puis c’était deux génies… Ils ont beaucoup travaillé sans jamais se prendre au sérieux. Ils disaient toujours que pour faire rire les gens, il fallait d’abord qu’ils se fassent rire euxmêmes. En règle générale, quand René avait une idée, il venait à la maison et les deux s’enfermaien­t dans le bureau de papa. On entendait des éclats de rire mais nous n’avions pas le droit de rentrer.

Pourquoi ont-ils choisi la Bretagne pour installer le village des Gaulois ?

Pendant la guerre, mon père est parti rejoindre son frère aîné en Bretagne. Il avait  ans, et son frère a convaincu tout le monde pour qu’il le rejoigne en arguant qu’en Bretagne, « il mangerait au moins des patates ! » Albert a alors découvert des paysages incroyable­s, rencontré des

Sylvie Uderzo.

résistants bretons irréductib­les, appris des histoires de druide, vu des menhirs. Pour la création d’Astérix, mon père a demandé à René où il voulait situer l’histoire. Réponse : « Où tu veux, du moment qu’il y a la mer et qu’il puisse voyager ». Papa a aussitôt choisi la Bretagne !

La mort de Goscinny a été le drame de sa vie. A-t-il failli tout arrêter ?

Oui, pendant deux ans il a posé le crayon. C’était le vide sidéral sous ses pieds. Ce sont finalement les très nombreux courriers de lecteurs qui l’ont convaincu de poursuivre. Leur argument était toujours le même : votre personnage ne vous appartient plus, vous êtes obligés de continuer. Ce qui l’a beaucoup touché.

Préférait-il le personnage d’Obélix ou d’Astérix ?

Je pense qu’il avait une tendresse particuliè­re pour Obélix, mais vous n’allez pas demander à un père lequel de ses enfants il préfère !

Vous considérez-vous comme la soeur aînée d’Astérix ?

J’ai effectivem­ent trois ans de plus que mes deux frères de papier. À l’école c’était étonnant. Quand on faisait l’appel et que je donnais mon nom, on me disait toujours : « Uderzo, comme Goscinny ? » Un jour en cours d’histoire, alors qu’on étudiait nos ancêtres les Gaulois, j’ai cité Panoramix, la serpe d’or, la potion magique… Mon père a été convoqué et on a lui dit que j’étais en schizophré­nie totale, que je mélangeais la fiction et la réalité, et que c’était très grave ! Le soir, je l’ai vu arriver vers moi, raide comme la justice, et il m’a dit : « Astérix n’existe pas ! ». Il ne s’est pas rendu compte de ce que cela m’a fait. C’était pire que le jour où j’ai appris que le Père Noël n’existait pas ! Il n’imaginait pas que j’ai pu raconter sérieuseme­nt en pleine classe la vie de Panoramix…

Avant sa mort, a-t-il été soulagé par la reprise d’Astérix par Jean-Yves Ferri et Didier Conrad ? Et satisfait du résultat ?

C’est une prise de décision difficile pour un auteur que de céder ses personnage­s, même si cela est courant dans le BD. Il les a longuement rencontrés et je pense qu’il a été heureux. Il s’est dit, encore une fois face à la demande des lecteurs, que son travail avait un avenir, même sans lui. De même qu’il a toujours dit que le jour où les lecteurs ne seraient plus au rendez-vous, il arrêterait. Il a donné son avis aux nouveaux auteurs, tant sur le scénario que sur les dessins. Il est parti très satisfait du résultat.

Il avait une tendresse particuliè­re pour Obélix”

En voulant protéger votre père, dont vous pensiez qu’il était victime d’abus de faiblesse, vous avez été fâchés…

On s’est retrouvés, et c’est la seule chose qui compte. Nous étions complices et fusionnels et nous avons tout réglé et tout oublié. J’ai retrouvé mes parents comme au premier jour. C’était vraiment l’essentiel. (AGENCE LOCALE DE PRESSE)

Uderzo, comme une potion magique.

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