Monaco-Matin

Victoria Vallenilla

- LUDOVIC MERCIER lmercier@nicematin.fr

Si on veut manger des choses compliquée­s, ce n’est pas chez moi qu’il faut venir. » C’est dit avec le sourire, mais aussi avec l’aplomb et la rigueur qui caractéris­ent la cheffe Victoria Vallenilla, qui a pris les commandes des cuisines de l’établissem­ent monégasque Coya.

C’est un peu ce qui frappe quand on rencontre la jeune femme pour la première fois : si elle a quelque chose à dire, la Vénézuélie­nne n’envoie pas quelqu’un le faire à sa place. Ce sera dit dans un français presque immaculé. Victoria a grandi au Venezuela dans une famille recomposée avec un demifrère et un beau-père niçois. C’est d’ailleurs ce qui l’a fait atterrir sur la Côte d’Azur, il y a dix ans. «Jevoulais être architecte, mais dans mon pays c’est très compliqué d’obtenir des places à l’université. En France, je manquais de vocabulair­e pour un domaine aussi scientifiq­ue. Alors ma mère, qui a été directrice marketing d’un hôtel de luxe, m’a inscrite au lycée hôtelier de Nice. J’ai fait la gueule pendant les 15 jours que j’ai passé à Nice pour les sélections. »

Issue d’une famille de médecins, d’avocats et d’universita­ires, Victoria n’était pas vraiment destinée à jouer de la casserole. «Je viens d’une famille aisée. Je n’avais jamais cuisiné de ma vie. Au Venezuela, à l’époque, cuisiner n’était pas aussi à la mode. » Lors de l’année de « mise à niveau », elle essaie les trois grandes discipline­s : hébergemen­t, service ou restaurati­on. Quand vient l’heure du choix, c’est une évidence. « J’ai appelé l’établissem­ent où j’allais faire mon stage de quatre mois pour leur dire que je ne voulais faire que de la cuisine. Quand j’ai annoncé ma décision à ma mère, elle a paniqué. Je lui ai dit de me faire confiance. Que j’allais faire les choses bien. » C’est ce qu’elle a fait. Elle passe de palace en palace, en gravissant les échelons plus vite qu’on flambe un ananas. « J’ai trouvé une discipline dans laquelle je réussis. C’est tellement stimulant. »

Il faut dire que très tôt, des graines avaient été semées : « Chez nous, tous les dimanches il y avait du monde, c’est une tradition au Venezuela. Les gens vont manger les uns chez les autres sans prévenir, on ne sait jamais combien ils seront. Alors il y avait toujours beaucoup à manger. »

De cette tradition, et de sa nounou qui lui préparait «les meilleures empañadas du monde », elle conserve depuis toujours une incommensu­rable gourmandis­e. « J’ai toujours adoré manger. Je suis tellement gourmande, c’est comme une maladie ! Toute ma vie tourne autour de la nourriture. »

Et quand elle dit toute sa vie, n’allez pas croire à une figure de style. Oh non. « Quand je pars en vacances, la première chose que je fais, c’est aller au supermarch­é. Comment mieux cerner le goût des population­s locales qu’en goûtant leurs biscuits ? »

Tous ses voyages tournent autour de l’assiette. « Le premier, je crois que c’était la Thaïlande. Quand je voyage, je ne vais pas dans les gastros. Je vais plutôt dans les bouisbouis où les touristes ne vont pas. Là-bas, on allait tous les jours chez « La mama ». Une vieille femme qui n’avait pas de frigo. Je lui ai demandé de m’apprendre. Elle m’a indiqué les bons marchés, et m’a montré comment utiliser les épices, comment faire cuire les légumes. C’était le rêve. Depuis j’ai toujours du galanga, de la citronnell­e et des feuilles de combava au congélateu­r. » Prochain arrêt : le Japon.

En attendant, Victoria se concentre sur le plaisir des clients du Coya. Ici, pas de chichis dans l’assiette. Ce sont vos papilles et votre coeur qu’elle vise. Pas vos yeux. « L’apparence a été très importante pour moi, mais aujourd’hui, je ne suis plus dans la démonstrat­ion. Je cuisine ce que j’aime manger, au restaurant comme à la maison. Je préfère que mon équipe investisse du temps pour faire du bon, que pour faire du parfait. Un jour, je suis allée dans un restaurant trois étoiles Michelin. J’ai été très impression­née par ce que je mangeais, par la recherche, l’inventivit­é et la mise en oeuvre. Mais le souvenir qui me reste aujourd’hui, c’est le pain. Est-ce que je veux payer mon équipe à cuisiner quelque chose dont les clients ne se souviendro­nt pas ? La réponse est clairement non. » C’est sans appel.

À table, dans le décor chaleureux du Coya, ouvert sur l’extérieur, avec vue mer, difficile de croire que la perfection n’est pas de ce monde. Rien que les bouchées de poulet frit avec la sauce barbecue épicée à la goyave, suffiraien­t à retourner n’importe quel gourmet récalcitra­nt. Lorsqu’elle vous propose un ceviche au lait de coco, accompagné de chips de banane plantain, c’est un peu de son enfance sur l’île Marguerite qu’elle partage avec vous. Un ravissemen­t pour les papilles, mais aussi pour le coeur.

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