Monaco-Matin

« J’ai eu un déclic technique »

Frédéric Dagée a battu le record de France (20,75 m), samedi dernier à Angers. Le Niçois n’a pas réalisé les minima pour Tokyo, mais il pourrait être repêché demain.

- CHRISTOPHE­R ROUX

Il n’était toujours pas redescendu de son nuage. Dimanche, dans le train du retour vers la Côte d’Azur, Frédéric Dagée n’endossait pas encore sa veste de recordman de France. Et pourtant, la veille, aux championna­ts de France d’Angers (Maine-et-Loire), le lanceur de poids avait battu de trois centimètre­s la précédente marque de référence (, m). Celle détenue par Yves Niaré depuis , avant que le Francilien ne disparaiss­e tragiqueme­nt dans un accident de la route quatre ans plus tard. Avec cette performanc­e, le Niçois a décroché un cinquième titre de champion de France d’affilée, devant ses proches. Dans un parcours singulier, tricoté de nombreuses galères, la récompense a, enfin, pointé le bout du nez. Un bonheur partagé avec son entraîneur actuel (Serge Debié) et ses anciens mentors (Jean-Pierre Horbaty, Jacques Pelgas), hommes de l’ombre qui « font partie » d’un jour béni. Dans sa rame, Dagée sortait d’un tunnel, au propre comme au figuré.

Frédéric, , m et le record de France. Réalisez-vous ?

Franchemen­t, non. Je suis rentré du stade samedi, j’ai pris une douche et j’ai mangé avec ma famille de coeur, mes proches et mes amis de Boulouris avec lesquels je m’entraîne tous les jours. Aujourd’hui (lire dimanche, NDLR), j’ai connu des galères au niveau du train. Tout était annulé et il m’a fallu trouver une solution pour rentrer. Je n’ai pas vraiment eu le temps de me poser pour analyser. Petit à petit, ça va faire son chemin, mais je n’ai pas encore réalisé.

L’âme d’Yves Niaré était à vos côtés…

Il est parti bien trop tôt et ça fait plaisir de lui rendre hommage de cette manière. Yves était une personne exceptionn­elle, extrêmemen­t bonne et gentille. Il a fait avancer ce sport et ouvert la voie des médailles internatio­nales. Il est devenu vicechampi­on d’Europe (en salle en ) et a été aux Jeux (Pékin ). (Il souffle). Il a fait tellement de bien à la discipline.

Vous démarrez timidement à , m...

J’avais réalisé vingt mètres facilement cette saison (, m en juin à Nice) et j’étais dans l’optique d’aller très loin. Cette envie m’a fait commettre de grosses erreurs techniques sur les premiers essais et le premier m’échappe.

Parlez-nous de ce dernier essai…

J’ai compris qu’il irait loin, que la musique était bonne. Je l’ai senti dans ma main. Avant ce jet, je fais , m et tout le monde pense que c’est fini.

Comprenez-vous que le record est là ?

J’étais content d’avoir réussi un jet

techniquem­ent bon. Je savais qu’il y avait mon record personnel. Mais quand le poids atterrit à plus de  mètres, de l’air de lancer, on a du mal à se rendre compte de la distance. En m’approchant du panneau électroniq­ue, je vois le mec avec son mètre et je commence à comprendre : ‘‘Bon Dieu, il y a au moins , m’’. Quand je vois , m, je me dis : ‘‘Waouh, ça commence à être une performanc­e de haut niveau.’’

Vous vous allongez le nez dans la pelouse, les mains sur la tête…

Les records de France, sans que je puisse l’expliquer, sont importants pour moi. Je ne les ai pas tous, mais j’en détiens au moins un dans chaque catégorie d’âge (en salle ou extérieur) .Jesuislese­ulà avoir ça en France. Ça fait des années que je suis capable de passer vingt mètres, mais le gros lancer ne venait pas. Là, j’ai eu un déclic technique. Et quand tu fais une performanc­e qui ressemble à ce pour quoi tu t’entraînes, forcément, l’émotion te tombe dessus. J’étais vidé.

Que représente ce cinquième titre ?

C’est toujours une fierté pour moi, mon club et mes sponsors. La concurrenc­e est en train de monter et j’aime pouvoir être champion de France. Dans ma saison, ça reste un objectif. Je ne m’en lasse pas, je l’accueille toujours avec autant de bonheur.

Vous avez explosé vos records (, m en salle en , , m en extérieur en )…

Ça fait du bien. Je ne sais pas si cette fois les planètes étaient complèteme­nt alignées, mais elles étaient dans l’axe (rire).

Des pépins à répétition vous avaient empêché de performer plus tôt…

Il y avait toujours un truc et c’était incompréhe­nsible. Cet hiver, je me suis pété deux fois la cheville et ça ne m’était jamais arrivé. J’ai su m’adapter. C’est le quotidien. Il y a toujours quelque chose, même en ce moment. J’ai mal sous le pied, un peu au poignet. On doute tout le temps, mais c’est dans la difficulté que je m’exprime le mieux.

Vous avez aussi connu des soucis financiers, imaginé tout arrêter…

Je tire un trait sur tout ça. Il y a une justice. Sans la Caisse d’Epargne (qui l’a embauché en ), je ne sais pas si j’aurais continué. Je reviens de loin psychologi­quement. A un moment, il faut sortir de ce trou. L’horizon était noir, aujourd’hui il est bleu et dégagé. Sans ma conjointe, je n’aurais sûrement pas eu d’appartemen­t. Je serais toujours au CREPS de Boulouris, dans une petite chambre.

Les  m, c’est pour quand ?

Je suis capable de faire plus de , m. C’est psychologi­que, le fait d’avoir passé un cap avec le bon jet. J’espère que ça va un peu travailler dans mon subconscie­nt. Que va s’y imprimer pour de bon tout ce que j’ai mis dans ce lancer. Les faire à Tokyo, si j’y vais ? Oui, j’en suis persuadé.

‘‘

L’horizon était noir, aujourd’hui il est bleu et dégagé”

Croyez-vous en un repêchage pour les Jeux (la Fédération devrait révéler la liste des qualifiés demain) ?

Je n’y crois pas. Je ne suis pas négatif mais réaliste. Le niveau est monstrueux (l’Américain Ryan Crouser vient de battre le record du monde avec , m). , m, je suis capable de les faire, mais il y a des règles et j’avais jusqu’au  juin pour les atteindre... Ce serait bon pour moi d’aller à Tokyo, une belle reconnaiss­ance, mais on ne sélectionn­e pas quelqu’un pour lui faire plaisir. Maintenant, si je suis dans la liste, il y a des chances que je sois comme un fou (rire). Les Jeux, c’est le Graal. Pour avoir une carrière complète, il faut y aller.

C’est au fond de toi, ce dont tu as besoin.

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Le Niçois pourrait être repêché pour les Jeux ( juillet- août), même s’il n’a pas réussi les minima (, m).
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